La répétition de l'introït Inclina Domine
Commentaires des pièces de cette messe par Dom Baron.
INTROÏT
LE TEXTE
Versez votre rosée, cieux, d'en haut, et que le nuages pleuvent le Juste. Qu'elle s'ouvre, la terre, Et qu'elle germe le Sauveur.
Ps.- Les cieux disent la gloire de Dieu
Et l'œuvre de ses mains, il la proclame, le firmament. Isaïe, XLV, 8 - Ps. XVIII, 2.
Au chapitre XLV, Isaïe rapporte ce qu'il a entendu le Seigneur dire à Cyrus, qu'il va susciter pour être son christ, sauver le peuple et rebâtir la cité et le temple. A la vision de ce sauveur d'un moment, par delà lequel il voit le Messie et son œuvre éternelle, il est transporté et, interrompant sa prophétie, lance vers le ciel son désir ardent pour que soit bâtie la venue des deux libérateurs. Il le fait sous la forme poétique de la rosée qui fait germer la plante, symbolisant ainsi l'action divine qui fera de Cyrus et du Christ des sauveurs parfaits.
Au sens liturgique, c'est l’Église qui appelle le Messie. Rien n'est à changer dans l'image du prophète, mais il faut lui donner tout son sens divin. La rosée sollicitée du ciel, c'est l'action fécondante du Saint-Esprit ; la terre, c'est Notre-Dame, fleur de la race, qui s'ouvre au sommet de la tige de Jessé et qui, fécondée sous l'ombre mystérieuse de l'Esprit du Très-Haut, va produire son fruit divin ; le Verbe fait chair.
Cette prière admirable et tout à fait à sa place le Mercredi des Quatre-Temps, tout entier consacré à l'Annonciation. Il faut lui garder ici la même interprétation ; d'autant que, par l'Offertoire et la Communion tout au moins, le mystère continue d'être fêté. Et il faut la chanter comme la prière suprême, entendue de Dieu par delà les siècles, et qui a contribué à faire venir plus tôt l'heure du Messie et de Notre-Dame ; mais aussi, comme la supplication qui va mériter aux âmes de recevoir le Verbe fait chair quand il va revenir et de se livrer à l'influence de son Esprit comme la terre à la rosée, lui donnant ainsi ce qu'il attend d'elles pour réaliser la plénitude de son Incarnation.
Le Psaume, lui, n'est pas une prière ; il est la constatation joyeuse des merveilles de Dieu qui se réalisent dans le mystère.
LA MÉLODIE
Une prière ardente de deux phrases qui s'opposent ici, encore, suivant le texte, comme le ciel et la terre.
La première est un admirable mouvement de l'âme portant on désir, comme dans le graduel. Qui sédes, aussi haut que possible, jusqu'aux nuées fécondes d'où va venir la céleste rosée, puis redescendant douce et paisible comme descendra le Juste qu'elle chante. La supplication est ardente sur le pressus de caeli, les quilismas de désuper, le pressus de pluant, mais il n'y a pas d'inquiétude, de doute, d'angoisse ; au contraire, une grande sérénité et une joie discrète se mêlent partout à la prière dans la tonalité claire du mode de fa ; la joie de l'Eglise qui sait, car elle en jouit déjà, tout le bonheur qu'il y a pour elle dans cette pluie fécondante qu'elle sollicite.
La seconde a moins d'élan. C'est la terre que l'Eglise regarde et encore qu'il s'agisse de Notre-Dame, ce chef-d'œuvre de grâce qui va produire la nature humaine du Christ, n'est-elle pas tout en bas par comparaison avec l'infinie perfection du verbe qui va y descendre ? Et puis, c'est le mystère dont la profondeur ne saurait se chanter ; Aussi, après l'ardeur de la supplication sur aperiatur, la mélodie revient-elle au mode de ré, et en des neumes qui s'effacent de plus en plus, elle s'éteint, gracieusement d'ailleurs, sur Salvatorem, le mot du désir.
La deuxième note de ra dans Rorate doit être élargie. Le crescendo de la première incise sera ardent mais sans éclat ; c'est une prière. Bien accentuer nubes et aller sur le pressus de pluant en progression.
Veiller à ce que tur dans aperiatur ait bien sa valeur et qu'on ait le temps d'articuler. Térra sera légèrement retenu ainsi que les quatre dernières notes de gérminet.
Le Psaume sera chanté dans un bon mouvement et pénétré déjà de la joie du « Gloria in excelsis » qu'il prophétise.
GRADUEL
LE TEXTE
Il est proche, le Seigneur,
De tous ceux qui l'invoquent,
De tous ceux qui l'invoquent dans la vérité.
Verset. - La louange du Seigneur,
Elle la chantera, ma bouche,
Et que toute chair bénisse le Seigneur. Ps. CXLIV, 18, 21.
Dans la première partie, le psalmiste exprime une idée très simple ; à savoir que le Seigneur est tout disposé à écouter ceux qui le prient. Toutefois, il a précisé d'un mot : ceux qui le prient dans la vérité ; c'est-à-dire qui lui demandent, en toute sincérité, des chose vraies ; entendons : ceux qui sont conformes à sa volonté, car la vérité, c'est, en même temps, ce que Dieu pense et ce que Dieu veut.
Le Verset, lui, est un hommage de reconnaissance de l'âme qui promet à Dieu une louange sans fin en retour de la bienveillance qu'il lui témoigne.
Au sens liturgique, peut-être serait-on porté à s'appuyer sur les premiers mots Prope est Dominus pour faire entrer ce texte dans le cadre de l'Avent. Ce ne serait pas absolument exact car c'est en tout temps que le Seigneur exauce ceux qui savent le prier. Il ne faut pas non plus le rattacher à l'Epître qui vient d'être lue, mais à l'Epître du mercredi précédent pour laquelle il a été choisi. Dans cette Epître, on nous ait entendre l'histoire d'Achaz qui, par manque de confiance, refusa de demander un prodige au Seigneur et qui reçut, en réplique, d'Isaïe la fameuse prophétie qui annonçait le prodige des prodiges : « Le Seigneur vous donnera lui-même un signe : Voilà qu'une Vierge concevra et enfantera un Fils et son nom sera Emmanuel ». A la fin de ce récit, ces deux versets viennent sur es lèvres de l'Eglise comme une sorte de réflexion. Repliée sur elle-même et gardant bien présent à l'esprit tout ce qu'elle vient d'entendre, elle se dit : Achaz a eu tort...Le Seigneur est tout près de ceux qui l'invoquent et bientôt il sera plus près d‘eux encore ; car le prophète a dit que Celui qui doit venir aura nom Emmanuel, ce qui veut dire : Dieu est avec nous.
Cette annonce précise de l'Incarnation amène alors la grande louange du Verset. Laudem Domini...
LA MÉLODIE
(V) Prope est Dominus omnibus invocantibus éum omnibus qui invoquant éum in verita te.
Elle est composée de trois formules : celle de Prope est Dominus et les deux de éum. Ces formules sont reliées entre elles par les motifs presque syllabiques de omnibus invocantibus et de omnibus qui invoquant. Un seul mot est original, in veritate, encore s'achève-t-il en une formule finale commune.
Le fait qu'elle est à ce point centonisée n'empêche pas qu'elle soit très expressive. L'auteur s'est servi de formules toutes faites mais il les a choisies pour le texte et les a disposées de telle sorte qu'elles puissent en exprimer au mieux le contenu. Notez qu'elles sont placées sur les mots importants : Dominus, le nom divin, et éum qui le représente ; et que, par le contraste que font leurs neumes avec les motifs syllabiques qui les entourent, elles les mettent en particulier relief. Aussi bien est-ce le mot de l'Epître : Pete signum a Domino, dit Isaïe. Non tentabo Dominum, répond Achaz. Propter hoc dabit Dominus ipse vobis signum, réplique le prophète.
L'intonation est grave. (Cette formule n'est employée que sur le mot Dominus ; de sorte qu'elle est moins une formule centon qu'un motif réservé uniquement au nom du Seigneur, comme plusieurs autres.) Mais ce serait une erreur d'y voir la moindre tristesse. Au contraire, on y discerne déjà en une nuance discrète la joie qui se dégage du texte et qui caractérise tout le Graduel. Toute pénétrée de respect, elle se retient, s'efface, sur le nom divin, mais, sitôt après, elle se laisse aller, se développe sur omnibus invocantibus et va s'épanouir sur éum en un bel élan qui se détend dans la plénitude de la cadence en fa. Elle passe dans la seconde phrase, s'élève avec grâce sur omnibus, puis redescend dans le grave où elle se revêt à nouveau sur éum d'une certaine révérence qu'elle garde jusqu'à la fin.
Le Verset. - Laudem Domini loquétur os méum Et benedicat omnis caro nomen sanctum éjus.
La joie est ici enthousiaste. Lancée avec une ferme assurance sur la distropha de Laudem, elle se développe en une sorte de contemplation sur Domini : légère, souple, heureuse. Une nuance de tendresse plus marquée passe avec le si b, puis l'exaltation, grandissant à nouveau, va vers loquétur os méum où elle atteint toute sa puissance d'expression sur les mots mêmes qui disent la joie de pouvoir chanter à jamais.
L'enthousiasme est le même dans la seconde phrase. Sitôt qu'elle a été ramenée à la dominante, la mélodie s'élance à l'extrême limite du mode, enveloppant de toute sa puissance l'ardent souhait de l'Eglise. Elle s'y arrête d'ailleurs ensuite en un gracieux mouvement descendant, puis, pour finir, se pénètre à nouveau de tendre respect sur nomen sanctum éjus.
Comme on le voit, ce verset a un caractère de joie éclatante qui ne s'est pas encore rencontré au cours de l'Avent. L'auteur a-t-il voulu donner là comme une première annonce de la joie de Noël et en pénétrer déjà l'âme des fidèles ? On a d'autant plus de raisons de le croire que les formules 53 et 54 sont particulières à la période de la Nativité. On les trouve ailleurs, mais elles sont si fréquemment répétées au temps de Noël qu'elles contribuent, sans aucun doute, pour leur part, à créer l'atmosphère musicale. El semble que ce soit comme le début d'un crescendo de joie qui, parant du Mercredi des Quatre-Temps, jour consacré à l'Annonciation, jour de l'Incarnation, atteint toute sa puissance aux jours de Noël et de l'Epiphanie.
Ne pas chanter l'intonation avec des effet de basse, mais avec la simplicité et la douceur qui conviennent à une contemplation paisible. Le crescendo est le premier éum sera discret et mené dès le début de l'incise ; C'est une formule assez délicate mais très expressive. Il y a sur le do une distropha, puis al première note de la clivis ou du climacus ; les distrophas seront posées doucement et la voix, renforcée, ira vers la note qui suit pour la répercuter, délicatement. Il s'en suivra une onction pénétrée de ferveur qui servira admirablement le pronom éjus qui tient la place de Dominus.
Retenir quelque peu veritate ; la tristropha, douce. Bien distinguer dans la vocalise qui suit, sur le la, les deux distrophas, du pressus ; lles reçoivent doucement le posé de la voix ; de même celle qui se trouve sur le do dans la dernière incise.
C'est une bivirga qu'il y a sur Laudem au début du Verset ; qu'elle soit appuyée, forte et bien lancée. Sur Domini, deux distrophas et répercussion sur la première note de la clivis ; même interprétation que plus haut. Une bivirga avant les deux climacus qui finissent la première phrase ; bien accuser la première note du second.
La tristropha de os, légère. Bien pendre grade à donner toute leur valeur aux trois notes qui précèdent les notes doubles de méum ; les retenir légèrement évitera le danger d'en faire un triolet. Poser nettement l'épisème vertical de omnis, allonger même un peu la note. (Dans plusieurs cas, la 2ème note est un quilisma.) Un gracieux ralenti sur sanctum, qui se poursuivra sur éjus jusqu'à la fin.
ALLELUIA
LE TEXTE
Viens, Seigneur et ne tarde pas.
Pardonne les péchés de ton peuple.
Cette phrase ne se trouve pas dans l'Ecriture. L'idée en est très simple et s'applique sans difficulté à l'un ou à l'autre des sens de l'Avent. C'est une prière dont l'objet est nettement déterminé : la prière de tout le peuple de Dieu, de toute l'Eglise, suppliant le Christ de venir sauver le monde.
LA MÉLODIE
On la rencontre deux autres fois au cours de l'année : le XXe Dimanche après la Pentecôte (Alleluia Paratum cor méum) et à la messe Loquebar d'une Vierge Martyre (Alleluia Adducentur).
Elle commence dans le grave et se meut lentement dans toute la première phrase, comme la prière très humble du pécheur qui n'ose pas lever les yeux, accablé qu'il est sous ses fautes. Ce n'est que dans la seconde incise qu'elle prend un peu d'ardeur, il y a sur et noli tardare un très bel accent de pressante supplication.
Dans la seconde phrase, la prière est plus aisée sur relaxa. La longue vocalise de facinora est, en elle-même, assez indifférente, mais elle prend, avec les mots, un caractère de prière fort bien adapté. Il y a, dans la répétition du motif initial, une progression qui fait la supplication de plus en plus forte. La première fois, elle monte par trois degrés au si b ; la seconde fois, par un seul mouvement de quarte, elle atteint le do qu'elle marque d'un pressus ; la troisième, elle s'y pose sans préparation et y demeure trois temps. Il y a là une vigueur accrue du plus heureux effet. La mélodie redescend ensuite dans le grave et finit sur une formule propre à certains graduels du Ier mode, elle aussi très priante et très humble, avec une touche assez marquée de crainte révérentielle.
L'Alleluia, lui, est du IIIe mode, mais l'unité demeure parfaite et l'expression y trouve son bien. L'Alleluia ayant en lui-même un caractère de louange que le contraste rend plus marqué encore.
Prendre garde de faire trop longue la double note initiale de l'Alleluia, lequel doit avoir un certain mouvement. Bien balancer le rythme de l'arsis ; la vocalise légère.
Veni Domine tranquille et discret. Crescendo sur noli ; tardare sans éclat. Noter que, dans les thésis de la seconde phrase, toutes les notes doubles sont des distrophas, légères donc ; de même les deux qui précèdent la clivis sur le do, à la dernière reprise du motif. Par contre plé dans plébis est une bivirga. Lier avec soin les grands intervalles de l'avant-dernière incise.
OFFERTOIRE
LE TEXTE
Salut, Marie, de grâce remplie,
Le Seigneur (est) avec toi.
Bénie (es-)tu entre les femmes,
Et béni le fruit de ton sein.
C'est la salutation de l'Ange Gabriel à Notre-Dame et celle d'Elisabeth combinées en un seul texte, lequel forme la première partie de la Salutation angélique. Il n'y manque que le dernier mot, Jésus, qui d'ailleurs ne fut pas dit par Elisabeth.
Au sens liturgique toutefois, ce n'est ni l'Archange ni Elisabeth qui saluent Notre-Dame ; la combinaison des deux salutations en un seul texte s'y oppose. C'est toute l'Eglise qui, au moment où est commémorée la Conception de Notre Seigneur, fait monter sa louange vers celle que Dieu a choisie pour sa mère. Elle a entendu, au cours de la semaine écoulée, le mercredi, le récit de l'Annonciation, le vendredi, celui de la Visitation ; elle recueille, sur les lèvres de l'Archange et d'Elisabeth, les paroles inspirées pour les redire à Notre-Dame, comme l'hommage le plus parfait qu'elle puisse rendre à sa sainteté incomparable et à sa maternité divine.
Bien noter que c'est une salutation. Ceci implique que les chanteurs soient en communication directe avec Notre-Dame : qu'ils chantent pour elle et qu'ils aient conscience que du haut du ciel, elle les écoute et reçoit leur hommage dans la joie de son cœur maternel.
LA MÉLODIE
Quatre phrases (Ave Maria gratia plena ne forme qu'une seule phrase. La grande barre qui suit Maria doit être considérée comme une demi-barre). Les trois premières, en progression l'une sur l'autre, conduisent l'idée jusqu'à Benedicta tu, point culminant de la louange. La quatrième redescend vers le grave où elle s'achève dans la contemplation du mystère.
Il n'y a pas d'éclat dans l'Ave de l'intonation ; c'est un salut gracieux enveloppé de vénération profonde et tendre. Tout le long de la première phrase, l'âme se complaît dans cette attitude d'humble hommage ; elle s'anime seulement, d'un accent de ferveur, sur le nom béni. Un bel élan, habilement préparé, porte la syllabe accentuée de Maria à la dominante où les notes doubles et répercutées mettent un peu plus d'ardeur, d'admiration et d'amour. Mais ce n'est qu'en passant. Elle revient au grave sur gratia pléna et s'y enveloppe plus encore de contemplation ; aussi bien y a-t-l ici quelque chose de plus que la salutation. C'est déjà le mystère, le mystère indicible de l'Immaculée. La phrase s'achève sur pléna par un pressus qui met bien en valeur ce mot de plénitude, qui ne peut se dire que du Christ et de sa Mère.
Dès le début de la seconde phrase, la mélodie, établie sans préparation sur la dominante, prend tout de suite une allure de louange éclatante. C'est une qualité nouvelle que l'Eglise salue en Notre-Dame : son union avec Dieu. La plénitude de la grâce, c'est déjà le Seigneur avec l'âme ; mais, sur les lèvres de l'Archange, le Dominus técum indiquait une modalité spéciale de l'union divine. Le Seigneur est avec Notre-Dame comme il n'est avec personne. C'est de cette union merveilleuse que l'Eglise félicite Marie. La mélodie la sert admirablement. Le s'épanouit sur Dominus en un beau motif plein d'élan, deux fois répété, qui dit l'admiration enthousiaste que provoque l'infinie grandeur de Dieu, tandis que, sur técum, elle se retient comme recueillie, étonnée, confondue d'admiration, devant l'ineffable sainteté de Notre-Dame.
Elle se reprend sur Benedicat tu pour s'élancer cette fois à la limite de son étendue. C'est le troisième mot de a louange. Il est la conséquence des deux autres. C'est parce qu'elle est pleine de grâce et que le Seigneur est avec elle que Marie est bénie entre toutes les femmes ; nouvelle Eve, celle que toutes les nations diront Bienheureuse. La mélodie le met au-dessus de tout ; elle dépasse la dominante, monte et plane, à loisir, dans les hauteurs, s'appuyant sur des notes doubles et des pressus qui lui permettent de déployer toute sa puissance et de colorer d'accents de ferveur ce mot de bénédiction. Il s'achève sur le pronom tu en une belle cadence pleine et large qui va tout droit à Notre-Dame avec une nuance délicate de tendresse. La seconde incise ramène à la dominante le mot muliéribus. L'admiration s'y prolonge, toujours fervente ; notez le pressus et le torculus avec son mouvement hardi de quarte retombant sur la bivirga de la syllabe accentuée. D'une façon assez inattendue, la phrase s'achève par une cadence en demi-ton sur si qui laisse la mélodie en suspens, comme si l'Eglise, évoquant en une sorte de contemplation toutes les femmes de la race, les voyait se perdre en une perspective infinie, tendues en un geste de bénédiction vers Notre-Dame qui, de très haut, enveloppée dans la gloire du Verbe Incarné, les domine toutes de l'éclat de sa maternité.
La quatrième phrase est, de toutes, la plus profonde. Ici, c'est le mystère ; le mystère du Verbe fait chair dans le sein de Notre-Dame. La mélodie abandonne les hauteurs, descend par degrés, sur benedictus qu'elle souligne seulement d'un pressus, descend encore sur fructus, puis demeure dans le grave, presque sans se mouvoir. Un motif deux fois répété de quelques notes qui montent et descendent par degrés conjoints sur véntris, un dernier pressus sur tui comme pour faire rejaillir la gloire du Fils sur la Mère - car c'est pour le Fils qu'est toute la louange dans cette dernière phrase - et c'est tout. L'ineffable ne saurait s'exprimer.
Il faut chanter avec beaucoup de souplesse. On y veillera particulièrement dans l'intonation. Le climacus qui s'achève sur la première note pointée sera légèrement retenu pour donner à cette demi-cadence sur mi toute sa valeur d'admiration gracieuse et tendre.
Chanter Maria avec beaucoup de ferveur. Les deux premières notes de ri bien appuyées, assez fortes, avec l'élan de l'accentuation : ce sont deux virgas ; les deux autres sont des distrophas ; la répercussion en sera délicate et il y aura un crescendo jusqu'à la répercussion, très délicate aussi, de la virga. La cadence sur sol très peu ralentie, de façon à rattacher Maria à gratia pléna. Une pause.
Discret a tempo au départ de Dominus dont les thésis seront légères, comme le sera la tristropha de técum, qu'on renforcera toutefois pour la lier au climacus. Sur ne dans Benedicta, une bivirga, bien l'appuyer et mener le crescendo e un bel enthousiasme vers le pressus. Conduire avec mesure l'admirable descente de benedictus fructus, sans que la voix perde brusquement de sa sonorité. Véntris tui très lien avec le salicus bien doux.
COMMUNION
LE TEXTE
Voici qu'une Vierge concevra
Et enfantera un Fils,
Et il sera appelé de son nom Emmanuel. Isaïe, VII, 14.
Cette parole fut dite comme une prophétie par Isaïe à Achaz. « Le Seigneur vous donnera lui-même un signe : voici qu'une vierge enfantera... » Le signe promis arrivera le jour de l'Annonciation. C'est le mot même du prophète en effet que l'Archange dit à Notre-Dame : « Voici que vous concevrez et enfanterez un Fils et vous lui donnerez le nom de Jésus ».
Ce texte est tout à fait à sa place le jour où est commémorée l'Annonciation. Toutefois il ne semble pas qu'il doive être chanté ici comme une prophétie ; c'est l'Eglise qui après avoir entendu la parole du Prophète à l'Epître, et celle de l'Ange à l'Evangile, y revient, au moment de la communion. Contemplant dans la lumière de la grâce sacramentelle, l'Incarnation qui se prolonge par l'Eucharistie dans tout le Corps Mystique, elle chante la joie de l'Emmanuel, du Dieu avec nous, en même temps que le mystère de Noël dans lequel à nouveau va s'accomplir mystiquement la parole divine.
LA MÉLODIE
Une joie émerveillée ; on en caractériserait bien ainsi, en deux mots l'expression. Elle est très discrète dans sa première incise, avec quelque chose de recueilli, de contemplatif, répandu sur toute la thésis de concipiet. Dans une sorte de jouissance profonde, l'âme admire le mystère de la Vierge Mère.
Et voilà qu'elle s'anime et que son admiration prend de l'ampleur. Un souffle puissant passe, qui emporte les mots dans l'enthousiasme, Filium après pariet, comme si l'âme, de plus en plus éclairée, réalisait ce qu'est le mystère de la maternité divine.
Mais, à peine a-t-elle saisi cette seconde merveille, qu'une troisième s'offre à elle : le mystère de Dieu avec nous cette fois, et vocabitur Emmanuel... Elle n'a pas le temps de s'arrêter si peu que ce soit ; de la première phrase, le souffle d'allégresse passe dans la seconde, l'entraînant dans la progression jusqu'à la distropha de vocabitur. Là quelque chose change. Le mystère s'étend. Il s'étend jusqu'à l'âme. Elle sent qu'elle y entre, en ce moment de la communion. Elle se recueille, se refermant sur les merveilles qui s'opèrent en elle. La mélodie la suit dans sa contemplation. Elle n'a plus le souci des notes éclatantes, ni des mouvements à grand espace ; elle se retient. Notez les clivis allongées de vocabitur, elle descend peu à peu vers le grave, jusqu'à ce qu'elle arrive à Emmanuel, le mot du mystère. Elle s'y complaît, en une formule qui, comme celle du véntris tui de l'Offertoire, se contente de quelques notes conjointes qui descendent et montent mais où passe toute la tendresse de l'âme pour l'Hôte divin qui est avec elle.
L'intonation paisible ; de même concipiet dont les podatus seront bien posés. Ceux de pariet aussi, tout le sommet en sera élargi. Le lier étroitement à Filium qui sera à peine retenu afin que l'enthousiasme aille croissant sur et vocabitur. C'est une bivirga qu'il y a sur vo. Retenir quelque peu tur. Beaucoup de grâce et de ferveur sur Emmanuel, qui sera très ralenti.
- Polyphonies pour l'Avent
- L'hymne Creator alme siderum en alternance grégorien/polyphonie
- L'hymne Creator alme siderum en grégorien
- Les cantiques de l'Avent (CD)
- Les cantiques de l'Avent (Partitions)
Epître, évangile et préface chantés de cette messe, voir ici
Commentaires des pièces de cette messe par Dom Baron.
LEÇONS DES MATINES : En août : Ecclés. En septembre : Job, Tobie, Esther ou Judith.
ÉPÎTRE : Il faut marcher selon l’Esprit (Gal. V. VI.)
ÉVANGILE : Résurrection du fils de la veuve de Naïm (Luc VII, 11)
IDÉE CENTRALE : On peut, partant de l’Évangile, tout grouper autour de la vie surnaturelle que le Christ nous a donnée au Baptême qu’il entretient en nous, qu’il nous rend avec tant de miséricordieuse bonté si nous nous y laissons mourir. C’est cette vie que l’Église dans la collecte, demande à Dieu de purifier et de fortifier. C’est elle aussi que Saint Paul dans l’Épître, nous presse de mettre pleinement en acte – car nous ne l’avons qu’en puissance – « si nous vivons par l’Esprit, marchons aussi par l’Esprit » et cela jusqu’à ce qu’ayant ainsi « semé dans l’Esprit tout au long de nos années » nous « moissonnions de l’Esprit » l’épanouissement de cette vie, à jamais dans l’éternité. Enfin c’est elle encore qui est figurée sous la vie naturelle rendue au fils de la veuve de Naïm. Le Christ, cédant aux prières et aux larmes de l’Église, notre Mère, nous la rend dans la joie de sa miséricordieuse bonté, chaque fois que, l’ayant perdue, nous revenons à lui pour la lui redemander.
INTROÏT
LE TEXTE
Incline, Seigneur, ton oreille vers moi et exauce-moi. Sauve ton serviteur, mon Dieu, qui espère en toi. Aie pitié de moi, Seigneur, parce que vers toi j’ai crié tout le jour.
Ps. – Réjouis l’âme de ton serviteur, parce que vers toi, Seigneur, j’ai élevé mon âme.
Ps. LXXX. 1.2.3.
Très belle prière d’une âme humble, d’un « serviteur » aimant qui se trouve dans l’angoisse et qui, plein de confiance, fait appel à la pitié de Dieu, pour que, répondant à sa prière qui ne cesse de tout le jour, il le remonte. Notre prière, à nous aussi, quand la honte et la douleur du péché montent à nos lèvres et que la confiance en la miséricorde nous fait lever les yeux; pauvres et misérables que nous sommes alors, mais serviteurs tout de même, fils de la servante fidèle, notre Mère l’Église qui, comme la veuve de Naïm, nous suit en pleurant.
LA MÉLODIE
Elle est du commencement à la fin pénétrée d’humilité confiante. Ce n’est pas la dépression accablée et plaintive de l’Exurge ni la tristesse monotone et lourde aussi du Reminiscere; à la réserve discrète de la prière, se mêle ici une touche de confiance qui l’éclaire déjà tout en la gardant très humble.
La première incise est celle du Rorate.
Prière paisible et confiante qui monte vers le pressus de Domine où elle revêt un accent d’intense supplication, mais qui, au lieu de continuer à s’élever comme Rorate, dans une sérénité lumineuse, descend, discrète, effacée sur les clivis allongées. Elle remonte, mais comme timide, sur aurem tuam et finalement revient au ré où elle murmure le mot qui supplie, avec ardeur encore, mais si humblement : exaudi me.
Elle s’avive à nouveau sur salvum fac au début de la seconde phrase, insiste délicatement sur servum tuum puis, quittant le ré pour la tonalité claire du mode de fa, monte en une magnifique progression vers sperantem. Ce n’est plus de la supplication, c’est de la joie de l’espérance qui pour un instant chante sur les lèvres de l’humble serviteur.
Pour un instant seulement car, passée la cadence de in te si pénétrée de joie aimante, l’humble supplication revient sur les rythmes élargis des mots qui demandent pitié : miserere mihi Domine. La mélodie descend très bas. Il semble que l’âme soit plus que jamais envahie par le sentiment de son indignité après le beau cri d’espoir et qu’elle n’ose plus élever la voix; elle ne fait que rappeler son cri de tout le jour : quoniam ad te clamavi tota die. C’est un rappel discret mais où passe tout de même l’ardeur de la confiance et de l’amour qu’elle a gardés intacts au fond de sa misère.
Le psaume demeure dans cette atmosphère, en demandant la joie.
GRADUEL
LE TEXTE
Il est bon de louer le Seigneur. Et de chanter un psaume à ton nom, ô Très Haut.
Verset. – Pour publier le matin ta miséricorde, et ta fidélité durant la nuit.
Ps. XCI. 2, 3.
Ces deux versets disent le bonheur qu’il y a à chanter la gloire de Dieu. Après l’Épître, qui s’achève sur l’image splendide du juste moissonnant la vie éternelle, ils sont, sur les lèvres de l’Église, un chant de joie enthousiaste qui célèbre la miséricorde et la fidélité de Celui qui nous a donné son Esprit pour mettre en nous sa propre vie et nous inspirer à jamais le chant de sa Gloire et de notre béatitude.
LA MÉLODIE
Elle commence, comme celle du Graduel Bonum est confidere du Dimanche précédent , par une bivirga épisématique. On y sent tout de suite une plénitude de joie qui se déploie ensuite dans le grave tout au long de la thésis. La mélodie monte alors d’un bond à la dominante sur les notes de l’accord parfait et s’y fixe, ferme et légère à la fois sur la tristropha de confiteri, et enveloppant Domino d’une ferveur enthousiaste. Il y a là une très belle expression de louange ardente et pleine de joie. Cette ferveur se prolonge dans la phrase suivante, s’avive même sur la cadence de tui et sur les distrophas et les répercussions de Altissime et atteint toute sa
puissance sur la cadence splendide de la formule finale.
Le verset
La joie ici est plus exubérante encore. Ce sont les formules des grandes allégresses que nous avons si souvent trouvées. Elles ne prennent pas sur ce texte nouveau de nuances particulières. Elles revêtent seulement les mots de leurs ornements somptueux, et l’âme, à travers elles, peut dire à loisir à son Dieu le bonheur qu’elle a à chanter du matin au soir sa miséricorde et sa fidélité sans défaillance.
ALLELUIA
LE TEXTE
Parce que Dieu est le Suprême Seigneur, et le Grand Roi sur toute la terre.
Ps. XCIV. 3
En eux-mêmes ces mots n’ont pas de sens, faute d’une proposition principale. En fait, c’est l’idée du Graduel qui continue : Il est bon de chanter le Seigneur parce qu’il est le Suprême Seigneur, le Grand Roi… Ainsi l’âme, ici encore, exalte le Dieu qui lui a donné la vie et qui va tout à l’heure, dans l’Évangile, manifester sa puissance par son Fils d’une manière si éclatante.
LA MÉLODIE
La bivirga de Deus attaquée par un mouvement de quarte ascendante, le salicus, la trivirga du sommet et le retard que les clivis allongées apportent au mouvement donnent à la première incise quelque chose de noble et de grand. L’âme, avec une fierté imposante proclame à la face de la terre la suprême Majesté de son Dieu. Mais sur Dominus, aussitôt après, une nuance de douceur se mêle à cette solennelle grandeur et la domine peut-être.
Simple nuance qui s’efface au début de la troisième phrase devant l’affirmation solennelle qui revient très marquée sur Rex magnus et qui se prolonge jusqu’à la fin par une formule des graduels du VIIe mode, qui la sert d’ailleurs très bien.
OFFERTOIRE
LE TEXTE
J’ai attendu et attendu le Seigneur et il m’a regardé. Et il a exaucé ma prière et il a mis dans ma bouche un cantique nouveau, une hymne à notre Dieu.
Ps. XXXIX. 2, 3, 4.
Le Psaume XXXIX est messianique, et sans doute dans le sens strict. Par delà le Psalmiste, c’est donc au Christ que s’appliquent ces deux versets. Ils se diraient bien de sa Résurrection car le verset 3, qui n’est ici qu’en partie, continue ainsi : « Il m’a tiré de la fosse fatale », c’est-à-dire de la mort.
Au sens liturgique, il faut les entendre du Christ total, de tout le Corps mystique qui déjà participe à la résurrection de son chef. Le cantique nouveau sera ainsi la liturgie, et plus particulièrement ici, la louange Eucharistique qui remplit le cœur des fidèles, et qui spontanément monte à leurs lèvres quand ils sentent la transformation vitale qu’opère en eux le sacrement.
Belle paraphrase de l’Évangile aussi. Comme le Christ a exaucé la prière muette et les larmes de la veuve pleurant son fils, il a exaucé notre Mère l’Église et mis dans sa bouche et dans celle de ses enfants, rendus à la vie, le chant de l’action de grâces pour le pardon.
LA MÉLODIE
C’est un chant très calme, doux et contemplatif. L’âme comme sortie soudain de la mort, ou du danger de mort, ou seulement des épreuves purificatrices, sent monter en elle, enveloppée de paix et de joie, la gratitude. Elle chante au Seigneur ce bonheur profond et livre discrètement, à qui sait le comprendre, le fruit de son expérience.
On le notera, il n’y a pas de mouvements à grands intervalles; tout va par degré conjoints ou presque. Il y a bien une montée assez marquée sur exspectavi mais la retombée est si douce sur Dominum et si évocatrice d’intimes relations dans la tendresse et la joie !
La reprise sur et respexit a le même caractère, notamment la cadence si paisible et si lumineuse.
La deuxième phrase est toute en IIe mode, avec des cadences simples et d’une exquise fraîcheur.
Sur immisit, la joie s’exalte et s’extériorise davantage. L’âme laisse son enthousiasme monter quelque peu pour chanter le bonheur qu’elle a à trouver sur ses lèvres le chant qui peut dire toute sa gratitude. Notez comme elle s’attarde sur les mots et met en particulier relief par le pressus de la fin canticum novum.
Il y a sur les trois derniers mots une suavité qu’on ne trouve sur aucun des autres; on sent que l’âme se complait avec tendresse sur cette pensée qui est, au fond, l’expression de toute sa vie.
COMMUNION
LE TEXTE
Le pain que je donnerai, c’est ma chair pour la vie du siècle. Jean VI. 52.
Ce verset de Saint Jean, choisi peut-être en raison du temps de la moisson, s’applique de lui-même au moment de la communion mais comme il entre bien aussi dans l’idée centrale de cette messe ! C’est le « Pain vivant » qui donne la vie, et qui la rend, et qui la garde… à jamais.
LA MÉLODIE
C’est le Christ Jésus qui parle à ceux qui sont avec lui dans la joie intime de la présence Eucharistique. Il chante sur un ton de douceur aimable, familière, attirante, qui est bien marqué dès l’intonation sur la cadence en demi-ton de Panis. Il insiste sur ego et plus encore sur mea. Mais c’est surtout vita qu’il met en relief. Le motif est très beau; il y passe une joie qui se revêt de tendresse sur la demi-cadence en mi et qui s’achève paisible après la reprise des premiers neumes sur des formules communes mais qui la servent bien.
Epître, évangile et préface chantés de cette messe, voir ici