Vendredi Saint

Explications pratiques sur l’agencement et les chants de la cérémonie du Vendredi Saint
Le début des Impropères interprété par la Schola Bellarmina
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Table des matières

Le livre latin français, La Semaine Sainte est le guide parfait pour suivre les cérémonies de la Semaine Sainte.

Commentaires des pièces de cette cérémonie par Dom Baron.

INTROÏT

L’office comprend quatre cérémonies : les lectures de l’Ancien Testament et de la Passion selon Saint Jean, les grandes oraisons, l’adoration de la Croix, la messe des présanctifiés.

Les Lectures

Trait Domine audivi

Habacuc III, 2-3.

C’est un très beau commentaire de la première leçon qui annonce et les miséricordes et le châtiment dont, au dernier jour, il frappera le peuple qui refuse de les recevoir.

Les formules mélodiques sont celles du IIe mode, avec quelques particularités amenées par le texte ou le contexte.

– Seigneur, j’ai entendu ta parole et j’ai eu peur. J’ai considéré tes œuvres et j’ai été épouvanté.

L’intonation, qui est celle de tous les traits du IIe mode commençant par Domine (Cendres, Mercredi Saint),  est une humble supplication. Notez le mot tuum, très en relief par la distropha et la tristropha, et la formule de considéravi ; elle ne se trouve généralement que dans les derniers versets, mais elle va bien ici avec le sentiment qui pénètre tout le texte.

– Au milieu de deux animaux tu te manifesteras, quand les années seront arrivées ; quand les temps seront accomplis, tu te montreras de nouveau.

Ce verset ne se trouve pas dans la Vulgate, il est de la traduction des Septante. La tradition a toujours vu dans la première partie une évocation de l’âne et du bœuf de la crêche de Bethléem. L’auteur du Trait le voyait certainement ainsi, car il a évoqué innotescéris une des formules du Graduel de la Messe de minuit, celle de Doino, dans le Verset. Notez à nouveau, sur tempus, la grande formule de consideravi, avec la même expression, bien à sa place sur lemot qui annonce le jugement dernier.

– En cela alors mon âme sera troublée. Dans ta colère, tu te souviendras de ta miséricorde.

– Dieu viendra du Liban, et le Saint, de la montagne ombragée et boisée.

La grande formule de Déus demeure dans la même expression et aussi la grande formule de monte, pour la troisième fois entendue.

– Elle couvrira d’ombre les cieux, sa majesté ; et de sa louange, pleine sera la terre.

La première partie de ce verset reproduit exactement le motif de Dies et la vocalise de illuxit nobis et de lux magna du verset de l’Alléluia de la Messe du jour de Noël ? C’est d’autant plus frappant que, là et ici, il s’agit des cieux qui s’ouvrent pour l’avénement du Christ : premier et second avènement !

Trait Eripe me Domine

Ps. CXXXIX, 2-10, 14.

Il fait suite à la lecture du passage de l’Exode sur l’institution de la Pâques ordonnée par Dieu à Moïse. C’est la figure précédant la réalité dont le récit sera fait à l’Evangile, mais c’est à la réalité qu’il s’applique, au Christ souffrant dont il est la prière angoissée.

Les formules musicales sont généralement très expressives.

– Délivre-moi, Seigneur, de l’homme méchant ; de l’homme indigne, délivre-moi.

Belle supplication sur Eripe me ; la même que sur Déus meus, le Dimanche des Rameaux.

– Ils ont médité leur malice dans leur cœur ; tous les jours ils ont comploté leurs attaques.

La formule de cogitavérunt rend bien ‘lactivité incessante de comploteurs, tout en demeurant pénétrée de souffrance ? Notez l’insistance sur corde.

– Ils ont aiguisé leurs langues comme celles des serpents ; le venin de l’aspic est sous leur langue.

Acuérunt, très en relief.

– Garde-moi, Seigneur, de la main des pécheurs ; et des hommes iniques, délivre-moi.

La mélodie partant du fa donne à la prière quelque chose de vif qui fait un heureux contraste avec la longue plainte qui précède.

5. – Ils n’ont pensé qu’à me renverser ;
Ils ont caché, les orgueilleux, un piège pour moi.

– Et des filets ils ont tendus devant mes pieds ;
près du chemin, ils ont mis de quoi me faire tomber.

7. – J’ai dit au Seigneur ; Tu es mon Dieu, exauce, Seigneur, la voix de ma prière.
Bel accent de confiance sur meus es tu.

8. – Seigneur, Seigneur, qui es la force de mon salut.
Couvre ma tête au jour du combat.

Même accent de confiance sur meae.

9. – Ne me livre pas contre mon désir au pécheur.
Ils ont formé des projets contre moi ; ne m’abandonne pas de peur qu’ils ne s’en glorifient.

La prière s’intensifie et devient sur ne tradas me une admirable supplication.

10. – La tête de ceux qui sont autour de moi, que le travail de leurs lèvres la couvre (de honte).
– Mais les justes loueront ton nom. Ils habiteront, les justes, devant ta face.

Notez la brillante expression de tuo, confiante et tendre, et la grande formule sur recti qui prend, sur cette vision de béatitude, une nuance de joie.

Adoration de la Croix

Ecce lignum

Voici le bois de la Croix sur lequel le Salut du monde a été suspendu.
Venez, adorons-le.

L’Eglise, par le prêtre, présent au monde la Croix rédemptrice en quelques mots très simples, sur une mélodie grave, qui se nuance d’humble repentir et de commisération pour les souffrances du Christ.

La réponse du peuple est dans la même atmosphère d’humble contrition. Toutefois chacun des mots a son expression propre. Venite est résolu comme le mouvement spontané de l’âme qui répond au geste du prêtre. C’est en même temps une sorte d’invitation. Le départ sera décidé, vigoureux et tout l’arsis aura une ferveur qui se concentrera sur la note qui précède le quilisma, laquelle coïncide d’ailleurs avec l’accent tonique. Par contre, la thésis sera paisible, élargie. Elle dessine par sa courbe l’attitude du corps qui se prosterne et de l’âme qui s’anéantit devant le Christ en Croix, confuse, repentante et soumise, dans la douleur qui lui cause les souffrances qu’il a endurées et ses propres péchés, qui les lui ont values. Dans cette attitude d’humble prostration adorémus sera chanté doucement dans un mouvement très souple et très recueilli.

Impropères

Ce sont les reproches que le Christ adresse au peuple juif.

C’est donc lui qui est en scène, et c’est lui que les chantres, la schola, toute l’assemblée représentent, quand ils chantent tout à tour les versets. Rien de plus légitime ; nous sommes le Christ qui continue et nous avons, à ce titre, le droit de parler en son nom aux Juifs. Mais, en même temps qu’aux Juifs, le Christ, à travers nous, s’adresse à nous. Ce qu’il a fait, il l’a fait pour nous tout autant que pour le peuple hébreu. De quelle Egypte ne nous a-t-il pas tirées ? De quelle manne ne nous-a-t-il pas nourris ? Vers quelle terre promise ne nous conduit-il pas ? Et ne trouve-t-il pas souvent en nous une ingratitude qui dépasse la leur ?

Chacun des trois premiers versets est suivi d’une invocation, en grec et en latin, au Dieu Saint, au Dieu fort, au Dieu Immortel, laquelle s’achève par un appel à la miséricorde. Il est assez normal d’y voir le cri des Juifs repentants, et le nôtre, et celui de tout le monde chrétien, répondant aux doux appels du Christ crucifié.

Popule meus. – Mon peuple, que t-ai-je fait ? En quoi t’ai-je contristé ? Réponds-moi.

Cette interrogation constitue le prélude et va devenir le refrain de tous les impropères. Le ton n’en est pas un ton de reproche ; le mot est trop fort de beaucoup. La mélodie est grave, triste, mais pénétrée d’une telle tendresse ! C’est une question que le Christ, délicatement, pose à son peuple, pour savoir si, comme inconsciemment – qu’il veuille bien excuser le mot –  il ne l’aurait pas, en quelque façon, froissé lui-même. Cette tendresse, qui est prête à s’accuser, pour se faire attirante, est partout dans cette admirable phrase. De la cadence si douce de Popule meus, elle s’élève lentement sur quid feci tibi et s’épanouit, sur le pressus et la clivis allongée, en un accent de délicate insistance. La même question, ardente cette fois, monte sur in quo contristavi te, puis, tout enveloppée de patiente douceur, redescend le long de la thésis sur des rythmes clames, paisibles, qui glissent, serrés les uns contre les autres, sans heurt, de peur qu’un rien de dur ne vienne compromettre l’œuvre de miséricorde. C’est le Christ doux et humble de cœur qui chante là.

La douleur y est aussi, mais, baignée dans la tendresse, elle ne se laisse voir que juste ce qu’il faut pour toucher de compassion le cœur du coupable.

Quia eduxi te de terra Aegypti. – Parce que je t’ai tiré d’Egypte, tu as préparé la Croix à ton Sauveur.

Ici, le reproche est formel, et d’autant plus, qu’il se fait à la façon d’une antithèse ; l’ingratitude de la passion et de la croix venant s’opposer au bienfait passé remis en mémoire ; mais la mélodie, qui est exactement la même, enveloppe le reproche de la même bonté. Le Christ ne reprend que pour exciter et repentir, et toujours il le fait avec une extrême délicatesse, délicatesse de l’amour qui veut la miséricorde plus que le sacrifice. C’est cet amour qui met son accent sur le pressus de eduxi, sur la cadence de te et, s’il faut bien coir une nuance de reproche sur la cadence finale de Salvatori tuo, il faut la voir baignée de douceur, d’une douceur maternelle.

Agios o théos. – Dieu Saint, Dieu fort, Dieu immortel, aie pitié de nous.

Le peuple touché de repentir, crie vers la miséricorde. Supplications ardentes. Mêmes dans les deux premières, l’ardeur est bien marquée ; notez les deux pressus. Elle prend tout sa puissance d’intercession dans la troisième ; la mélodie, établie sur la dominante, emporte la prière en un crescendo ininterrompu jusqu’au sommet de eléison où elle prend, sur le pressus, un accent d’intense ferveur ; elle rebondit sur la clivis allongée en descendant et s’achève, sur la cadence commune, en une dernière pression.

Quia eduxi te per desertum. – Parce que je t’ai conduit à travers le désert quarante ans durant et que je t’ai nourri de la manne et que je t’ai introduit dans une terre excellente ; tu as préparé une Croix à ton Sauveur !

Même mélodie, même expression. Le développement nécessité par la longueur du texte amène deux incises nouvelles qui s’achèvent en des cadences d’une douceur plaintive, émouvante, sur cibavi te et optimam.

Quid ultra debui facere tibi et non feci. – Qu’est-ce que j’aurais dû faire pour toi et que je n’ai pas fait ?

Moi-même, je t’ai planté comme ma vigne la plus précieuse, et tu es devenue pour moi plus qu’amère. C’est avec du vinaigre que tu as apaisé ma soif et d’un coup de lance tu as percé le côté de ton Sauveur.

Dans l’ensemble l’expression demeure la même. Il y a peut-être plus de douleur, un peu partout ; une douleur de déception. Elle est très vive sur vineam speciosissimam et sur et tu facta es mihi nimis amara, marquée surtout par les rythmes binaires des thésis.

Il faut évidemment chanter ces versets lentement ; les accents bien légers avec des crescendo discrets et avec un grand souci d’expression, sans forcer en rien les nuances.

Les formules psalmodiques des versets qui suivent, beaucoup plus simples, ne sont pas moins expressives. L’atmosphère de miséricordieuse bonté est d’ailleurs entretenue d’une façon fort heureuse par la répétition de Popule meus après chacune d’elles. Il faut mettre très en relief l’antithèse des ego et des et tu.

Antienne Crucem tuam

Ta Croix, nous l’adorons, Seigneur,
Et ta sainte Résurrection nous louons et glorifions.
Voilà en effet qu’à cause du bois de la Croix
Vient la joie  pour le monde entier.

Ps.- Que Dieu ait pitié de nous, et qu’il nous bénisse ;
Qu’il fasse briller son visage sur nous
Et qu’il ait pitié de nous.

Elle est chantée au moment où la Croix, après avoir été vénérée, est déposée au milieu de l’autel. C’est l’adoration collective après l’adoration individuelle. L’atmosphère est toute autre la glorification du Christ en Croix commence. La tristesse a disparu. Ce n’est pas encore la joie éclatante ; mais les accents de triomphe se font déjà entendre très nets.

La première incise reproduit exactement l’intonation du Te Déum. Le reste est assez commun, aux antiennes du IVe mode et plutôt contemplatif. Il faut noter toutefois Le beau mouvement qui chante a nuance delà joie sur vénit gaudium.

Chanter dans un bon mouvement, avec un rythme vien marqué, et ferme sur la cadence finale.

Hymne Pange lingua

La première phrase est un chant de triomphe enthousiaste et joyeux. La seconde est plus réservée sans que le caractère triomphal ait disparu. La troisième quia reproduit emprunte au texte vénération et tendresse.

Hymne Vexilla Régis

Chant de triomphe encore ; il est moins éclatant que le précédent, mais ce serait une erreur que d’en faire un chant de deuil et de mort. Le chanter avec enthousiasme, dans un rythme très marqué, et dans une sonorité puissante.

Polyphonies

Ecoutes de pièces 

  • BUXTEHUDE : Membra Jesu nostri

Le chant de la Passion selon saint Jean

Disponible dans le coffret des Matines des Jours saints.