Avec la Septuagésime, nous quittons définitivement le cycle de Noël pour entrer dans le cycle Pascal. Les rites extérieurs propres à cette nouvelle saison liturgique : suppression du Glória à la messe, suppression du joyeux Alléluia à tous les champs de l’Office, même au Deus in adjutorium meum intende, avec lequel il fait pour ainsi dire corps, ornements violets, tout cela est singulièrement évocateur et suffirait à caractériser l’atmosphère où va désormais se dérouler toute la liturgie : c’est maintenant l’esprit de pénitence qui va – et de plus en plus à mesure que l’on approchera des jours saints où se célèbre le mystère de la passion du Seigneur – marquer de son sceau la prière de l’Eglise.
En somme, comme le Carême est la préparation à la Semaine Sainte, le temps de la Septuagésime est la préparation au Carême. Il en est comme une sorte d’anticipation. On dirait qu’avant de commencer le grand jeûne d’expiation des péchés du monde, et pour nous y entraîner, l’Eglise nous fait faire un examen de conscience, nous remémorer les fautes et les crimes dont s’est chargée l’humanité coupable, et qui ne seront effacés que par l’effusion du sang rédempteur : péché originel et péchés actuels. De fait, elle va nous faire relire dans la Genèse, durant la semaine de la Septuagésime, le récit de la création et de la chute au paradis terrestre, et, durant la semaine de la Sexagésime, le récit du déluge, si circonstancié.
Nous avons tous étés englobés dans la sentence de mort prononcée au paradis terrestre. Il n’est que de se rappeler les affirmations répétées de saint Paul et les définitions de l’Eglise.
C’est cette conscience aiguë de notre misère foncière devant Dieu que reflète l’admirable liturgie du temps de la Septuagésime, et notamment la messe des trois dimanches de Septuagésime, Sexagésime et Quinquagésime. Mais on peut y voir également, ainsi que dans la liturgie de Carême, comment l’Eglise comprend la pénitence, faite, bien entendue, de la douleur des fautes commises, mais aussi d’une confiance invincible en la miséricorde infinie. C’est très bon pour l’âme de porter son regard à ces hauteurs.
Dans nos monastères, nous chantons, durant la procession qui précède la messe conventuelle, le répons Media vita, si célèbre au Moyen Âge.
Ce motet figure se trouve dans le volume 13 dédié aux motets grégoriens.
“Encore plus que les paroles, dit Camille Bellaigue, il faudrait pouvoir citer la musique, cette complainte rude, rauque, et par moments terribles… C’est un chant tragique et sublime. “Sancte Deus ! Sancte Fortis ! Sancte miséricors !” Sur chaque sancte ! Les voix se laissent tomber lourdement, puis remontent, comme si toute l’humanité chargeait cette note unique de tout le poids de son épouvante et de sa misère, pour la relever aussitôt de toute la force de sa foi et de son espérance”. Puis, soudain, aux versets, les voix s’élèvent, tranchant nettement sur ce qui a précédé, s’installent à l’aigu, et avec une force splendide, à la fois de supplications et de confiance, rappellent à Dieu ses bienfaits passés, comme pour Le mettre en demeure de se montrer encore.
La messe de la Septuagésime, comme tant d’autres, offre une grande variété. Les pièces qui la composent, textes et mélodies, sont très diverses d’inspiration comme de signification profonde. On ne le répétera jamais assez que la liturgie n’est pas construite sur le modèle de nos pièces classiques, au déroulement logique impeccable ; chez elle règne la plus complète de souplesse, chaque élément présentant un ou même plusieurs des aspects du mystère ; ce n’est que par leur somme que nous en percevons la physionomie totale.
Nous le constatons une fois de plus ici. C’est bien toujours de pénitence qu’il s’agit, mais de la pénitence authentique, tels que l’Eglise la conçoit, avec à la base, bien entendu, la conscience de la misère personnelle et la demande de pardon des fautes, mais aussi avec une confiance inébranlable en Dieu, l’appui sur lui, et la prière humble et servante, sans que cesse le tribut de louanges à Sa Majesté qui est le premier devoir du chrétien. À y bien regarder, il ne serait pas impossible de discerner dans chacune de cinq pièces tous ces divers points de vue, au moins esquissé.
Cette messe de la Septuagésime peut être considérée à tous égards parmi les plus belles de toute l’année liturgique.