Comme pour la plupart des messes, l’histoire de la messe de Requiem est à l’image de ce que fut la formation du répertoire que nous connaissons aujourd’hui.
Les recherches historiques du dernier siècle ont largement prouvé que le répertoire grégorien ne se réduit pas un fond primitif romain que le pape Grégoire le Grand aurait systématisé pour fournir le corpus actuel. Cette image d’Epinal n’a pas résisté à une étude sérieuse, laquelle met à jour les méandres d’une histoire dont nous ne connaîtrons sans doute jamais le détail.
Dans le Graduel Vallicelli (C 52) – l’un des Graduels (1) notés les plus anciens et qui date vraisemblablement du XIe siècle – on trouve trois messes pour les morts. La messe Réquiem ætérnam débute avec l’introït du même nom et suivi du Graduel Requiem; les autres parties diffèrent par rapport à ce que nous connaissons aujourd’hui. Introït et Graduel Requiem se retrouvent dans la plupart des manuscrits et ce dès le IXe siècle.
Le Graduel fait partie du répertoire primitif de l’Eglise de Rome dans laquelle le graduel sur une corde de fa était la mélodie-type. Certes, le graduel que nous chantons aujourd’hui n’est pas exactement le même que celui qu’exécutaient les chantres de l’Eglise primitive. Entre temps, diverses influences (la Schola cantorum romaine, les influences gallicanes) l’ont amplifié et poli. Il est de ce fait le témoignage le plus évident de la complexité de la formation du répertoire. Néanmoins il nous relie de façon vivante au passé de l’Eglise jusque dans les premiers siècles, où le chant de l’Eglise a pris naissance.
L’Introït est, par nature, postérieur aux chant responsorial (Graduel, Trait, Alleluia) et ne fut créé qu’à partir du moment où les chrétiens purent célébrer le culte dans les églises qu’ils construisirent à partir du IVe siècle.
Le Trait Absolve figure également dans les manuscrits du XIe siècle, même si le Trait De profundis (fixé aujourd’hui au dimanche de la Septuagésime) fut alors chanté davantage aux messes pour les défunts. La mélodie originelle, celle du cantique romain était très simple, proche de la psalmodie. Quand au IXe siècle, la mélodie grégorienne arriva à Rome, elle ne fit qu’une bouchée de la version romaine sans doute trop simpliste. C’est un exemple de la manière dont s’est formé le répertoire, par la fusion du fond primitif romain avec le chant gallican en provenance de la Gaule carolingienne à partir du VIIIe siècle.
Si le texte de l’Offertoire se trouve dans l’un des principaux manuscrits du XIe siècle (Graduel vatican latin 5319) et prouve ainsi son origine romaine, sa mélodie sur une corde de ré le classe dans les parents pauvres du genre, les offertoires appelés vulgairement «bouche-trou» dont les éléments mélodiques viennent de l’étranger. Il se réduit à une psalmodie enrichie qui ne manque cependant pas de charme.
Enfin la Communion Lux æterna est le dernier vestige proprement grégorien de cette messe.
La Séquence Dies irae étant de facture récente, son histoire nous est davantage connue. Les critiques s’accordent à en attribuer la composition à un Frère mineur italien du XIIIe siècle, Tommaso de Celano et admis comme prose liturgique dans la seconde moitié du XIVe siècle par certains missels, d’où vers la fin du même siècle, il passa dans quelques missels italiens. Au siècle suivant, il pénétra en France et les pays du nord et devint d’un usage universel à partir de la réforme du missel romain en 1570. Cette prose ne faisait pas partie de la liturgie des défunts, mais du Ier dimanche de l’Avent: on la chantait entre l’épître aux Romains et l’évangile de saint Luc qui traitent tous deux du jugement dernier; d’ailleurs l’ensemble de la prose fait allusion au jugement qui suivra la résurrection et non à la mort et au jugement personnel.
Musicalement, cette pièce est marquée par son temps: le plain-chant du haut Moyen-Age qui a vulgarisé le chant de l’Eglise en le réduisant à un chant monosyllabique duquel émergent quelques neumes simples. L’ensemble n’est pas sans valeur, même si la mélodie se réduit à trois ritournelles inlassablement répétées sur les 17 premières strophes.
Bernard Lorber
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1 Le Graduel est le livre contenant les chants de la messe, le Vespéral contient les chants de l’Office divin.