Parmi les cinq pièces chantées qui composent une messe, le Graduel est sans doute la plus ancienne. Une des preuves en est que les mélodies des Graduels se situent toutes dans les modes authentiques – qui sont les modes impairs (1,3, 5,7) – alors que les Alléluia, Offertoires, Introits et les Communions possèdent déjà les huit modes de l’octoechos au complet, signe de moindre antiquité.
Au cours des célébrations liturgiques des premiers siècles, le chant avait pour fonction – en grande partie mais non exclusivement – de répondre aux lectures. On sait que dès le début, les psaumes étaient utilisés à cet effet. Le psaume sans refrain était chanté par un soliste. Le texte était choisi en fonction de la liturgie du jour ; les fidèles n’ayant pas de livres liturgiques entre les mains, ne pouvaient s’associer au chant du soliste.
C’est au 4e siècle, en Orient, que prit naissance une nouvelle forme de psalmodie appelée la psalmodie responsoriale. Elle se constitue d’une alternance entre un soliste qui chante les versets d’un psaume, et les fidèles qui répondent aux solistes après chaque verset par un court refrain, lequel est un extrait de ce même psaume. Cette pratique permit d’impliquer les fidèles plus étroitement dans la pratique liturgique. Dans les écrits de saint Athanase, on trouve des exemples de réponses employées de son temps en Égypte par les fidèles: Quoniam in aeternum misericordia ejus (Ps 135), par exemple.
Cette pratique de la psalmodie responsoriale est à distinguer de la psalmodie antiphonée, laquelle est alternée par deux choeurs. La psalmodie alternée suppose un niveau de culture plus élevé et une connaissance par cœur des psaumes, ce qui ne pouvait, à l’époque, être le cas que dans les monastères. Elle fit son apparition et fut d’un usage constant en Occident à partir du VIe siècle dans les abbayes et constituait déjà la matière vitale du chant de l’Office divin.
Revenons à la psalmodie responsoriale qui fut introduite en Occident et tout d’abord à Milan, sous l’épiscopat de Saint-Ambroise. Rome ne l’adopta que quelques décennies plus tard. C’est dans les sermons de saint Léon que l’on trouve les premières preuves concernant l’alternance entre le soliste et les fidèles. À cette époque, au cinquième siècle, les fidèles participaient au chant des psaumes et la Schola Cantorum n’existait pas encore, sinon les fidèles n’auraient plus chanté…
« L’un des facteurs principaux qui ont entraîné l’abandon progressif de la vieille psalmodie sans refrain et l’engouement pour le psaume responsorial, est l’élévation du niveau de connaissance des fidèles, désormais capable de répondre aux solistes. L’Eglise postconstantinienne est une Eglise mieux instruite et plus capable. La psalmodie responsoriale en témoigne. » (Philippe Bernard, du chant romain au chant grégorien, p. 244)
Au plan mélodique, la psalmodie responsoriale était proche d’une simple psalmodie ornée.
La question se pose comment on est passé de cette psalmodie responsoriale au Graduel ? La chose a pu se faire de manière très naturelle. En effet, on était en présence d’un refrain et de versets. Avec l’apparition des Schola Cantorum (VIe siècle), l’ornementation mélodique pris de l’ampleur. On garda donc le combiné verset/refrain – la partie la plus ancienne étant le verset – en faisant précéder celui-ci par le refrain. Ce travail fut réalisé petit-à-petit par les Schola Cantorum, désireuses de développer les mélodies. A Rome, les Graduels furent chantés sur les cordes de RE, MI et Fa. Ce n’est qu’à partir du VIIIe siècle, suite à la rencontre du répertoire romain avec le répertoire carolingien que les mélodies furent fixées suivant l’octoechos – les modes grégoriens que nous connaissons – ce qui donna naissance aux Graduels que nous chantons encore aujourd’hui.
Bernard Lorber
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