Commentaires des pièces de cette messe par Dom Baron.
INTROÏT
LE TEXTE
Acclamez Dieu, toute la terre, Alleluia.
Un psaume chantez à son nom, Alleluia.
Donnez de l’éclat à sa louange, Alleluia.
Ps. – Dites à Dieu : Que terribles sont tes œuvres !
Devant la grandeur de ta puissance,
Ils te mentiront tes ennemis.
(obligés qu’ils seront de te louer). Ps. LXV. 1, 2, 3.
Ces deux versets, dans le Psaume, sont adressés à toute la terre comme une invitation à louer Dieu avec éclat pour l’un des nombreux miracles qu’il fit pour sauver son peuple.
Ils sont tout à fait à leur place au temps de Pâques et particulièrement en ce IIIe dimanche où le Christ, pour la première fois, nous dit à l’Evangile qu’il va retourner dans la gloire du Père et nous y donne rendez-vous pour « une joie que personne ne nous ravira jamais ».
C’est l’Eglise qui les chante, toute l’Eglise ; celle du Ciel, de la terre, du purgatoire, appelant ses membres, et toute la création en eux, à louer Dieu d’avoir ressuscité son Fils, et nous avec lui, en nous communiquant, par le Baptême et l’Eucharistie, son éternelle vie.
LA MÉLODIE
Jubilate, le premier mot de l’intonation, est revêtu du même motif que dans l’Offertoire du Dimanche dans l’Octave de l’Epiphanie ; mais, ici, la syllabe la n’a aucun développement neumatique et la mélodie, au lieu de se complaire en broderies sur le fa, remonte au la sur Déo et conduit ainsi le mouvement en arsis vers la double note du torculus par l’accent tonique, il prend sur cette bivirga, tout au sommet de la mélodie, un nouvel élan qui le fait aller, en des rebondissements thétiques mais pleins de vie, comme d’un seul jet jusqu’à la cadence de l’Alleluia. Cette première phrase est une merveille d’ardeur et d’entrain ; c’est tout l’enthousiame de l’Eglise reconnaissante et vibrante d’espoir qui passe et voudrait entrainer le monde entier dans la louange.
Dans les deux autres phrases, le mouvement est moins alerte. A quelques exceptions près, chaque syllabe a son neume et très souvent il est élargi. Ce n’est pas que l’ardeur soit moindre mais elle est plus pondérée, plus intérieure, si l’on peut dire ; quelque chose de plus religieux la pénètre. Il semblerait que l’auteur, prenant les mots dans leur sens précis, ait vu dans Jubilate omnis terra un appel à toute la création pour une acclamation générale et, dans le psalmum dicite, une invitation à la louange liturgique, d’où cette nuance assez marquée de réserve et de gravité. Le texte et la mélodie, serrés de près, prêtent à cette interprétation ; d’autant plus qu’en maints autres cas la même expression musicale se trouve sur psallere, psalmum dicere, psallentes, psallat…(Voir entre autres l’Introït du Dimanche dans l’Octave de l’Epiphanie, celui du IIe Dimanche après l’Epiphanie ainsi que l’Offertoire de ce même Dimanche, l’Offertoire de la Septuagésime et celui du IVe Dimanche de Carême).
Le psaume, par son allure décidée, est bien dans le ton, et la cadence sur inimici s’adapte parfaitement à la nuance d’ironie qui se trouve dans les mots.
La première phrase sera chantée d’un seul mouvement ; l’accent de Jubilate bien lancé, la première note du podatus de Déo légèrement allongée, la bivirga de omnis vibrante d’entrain.
Pas de contraste poussé entre les deux phrases, il se fera de lui-même. Gardez le mouvement et faites très souples les beaux rythmes de dicite nomini ejus, attaquez avec fermeté le salicus de date, mais retenez délicatement les quatre notes de te ; menez les Alleluia en crescendo vers le troisième qui sera élargi et aura de l’éclat.
ALLELUIA I
LE TEXTE
La rédemption il a envoyée, le Seigneur à son peuple. Ps. CX. 9.
C’est de la délivrance de la captivité d’Egypte ou de Babylone qu’il s’agit dans le Psaume. Ici, dans la liturgie de Pâques, c’est du salut que le Seigneur nous a envoyé par son Fils ; lequel ayant payé notre rançon de son sang, nous a délivrés de l’emprise du démon et faits libres.
L’Alleluia est ainsi une paraphrase très heureuse de l’Epître, où il nous est rappelé que c’est en tant qu’hommes libres que nous devons obéir à Dieu et aux hommes qu’il a établis sur nous.
LA MÉLODIE
L’Alleluia est celui de la messe du jour de Noël. Comme il est très spécial à la période de la Nativité, on peut se demander quelle raison l’a fait choisir pour un dimanche qui en est si éloigné. Serait-ce le mot misit ? C’est à Noël que le Sauveur a été envoyé… de telles nuances ne sont pas rares. (cf le Trait Domine audivi du Vendredi Saint)
Le verset, lui, est original. Une phrase très simple qui, dans un beau mouvement de joie, met misit en pleine évidence au sommet de l’arsis puis vient se complaire sur Dominus qu’elle baigne de révérence, de tendresse et de gratitude.
ALLELUIA II
LE TEXTE
Il fallait qu’il souffrit, le Christ
Et qu’il ressuscitât d’entre les mors,
Et qu’ainsi il rentrât dans sa gloire. Luc XXIV. 26.
Sous une forme légèrement différente, ces paroles furent dites plusieurs fois par Notre Seigneur aux apôtres pour prophétiser sa Passion et sa Résurrection. (Math. XVI. 21. – Marc IX, 30) Au matin de Pâques les deux anges du tombeau les rappelèrent aux Saintes Femmes : « Souvenez-vous qu’il a dit lorsqu’il était en Galilée ; Il faut que le Fils de l’homme… »(Luc XXOV. 7) Le soir, Notre Seigneur, lui-même, sur un ton qui comportait une nuance de reproche pour leur mémoire si courte, les redit aux disciples d’Emmaüs : « Ne fallait-il pas que le Christ souffrît et qu’ainsi il entrât dans sa gloire ».(Luc XXIV. 26)
C’est de ce dernier texte que ce verset de l’Alleluia se rapproche le plus ; on a seulement ajouté resurgere a mortuis et supprimé la forme interrogative. Ce dernier point a son importance. Par le fait que le texte est revenu une affirmation, il ne semble pas que ce soit Notre Seigneur qui le chante ici, mais plutôt l‘Eglise qui se le remet en mémoire, en méditant les détails de la Résurrection. Il devient ainsi comme une sorte de prélude à l’Evangile où Notre Seigneur, pour la première fois, va parler de sn entrée prochaine dans la gloire : dernier accomplissement de la prophétie.
LA MÉLODIE
Elle est calme, recueillie, toute baignée de paix.
La première phrase toutefois est empreinte d’une nuance très particulière de tristesse par une certaine réserve qui la maintient dans le grave et plus encore, par les cadences en demi-ton de oportébat et de Christum. Ce n’est pas la douleur aigüe de la Passion : l’Eglise ne pleure pas ; elle est dans la joie de Pâques ; mais, au souvenir de ce que le Christ a dû souffrir, une sorte d’attendrissement pénètre sa contemplation. C’est cette douleur des souffrances du Christ, cette douleur de souvenir, qui passe dans son chant et le revêt de nuances si délicates ; de celles-là mêmes que prend tout naturellement notre voix lorsque nous parlons des souffrances passées de nos amis. Resurgere a mortuis n’a pas d’expression particulière, mais il s’achève tout de même sur une cadence en ton plein où il n’y a plus de tristesse.
C’est une heureuse transition à la phrase qui va chanter le prix de la douleur, à savoir l’entrée du Christ dans la gloire. Elle le fait sur un motif deux fois répété ; sur ita et gloria ; il est plein de noblesse, de grandeur et d’éclat. L’âme y trouve tout ce qu’il lui faut pour exprimer la joie forte et pleine que les mots divins ont mise en elle en lui révélant le mystère de la souffrance du Christ et celui de sa propre souffrance qui s’y trouve enfermé. La phrase s’achève sur le jubilus de l’Alleluia déjà ébauché sur intrare à la fin de la première incise. Lui aussi, comme pour reprendre toute l’idée, a sa première partie nuancée de tristesse, elle se développe dans le grave et a ses cadences bien posées en demi-ton par le torculus, tandis que la seconde, s’établissant dans les hauteurs, y chante la joie, se posant à peine sur le mi et s’achevant en ton plein par la cadence de mortuis, qui reste suspendue, comme si l’âme continuait, dans le silence, la contemplation du Christ entrant dans la gloire.
C’est un chant délicat ; il doit être chanté doucement, sans effort dans un mouvement très souple et très lié.
Ralentir la cadence finale de l’Alleluia et de suam afin de bien lui donner son caractère contemplatif et mystérieux. Faites très expressifs les pressus de oportébat et de Christum ; Un peu plus de mouvement dans la seconde phrase. Arrondissez le sommet de ita et de gloriam.
OFFERTOIRE
LE TEXTE
Loue, mon âme, le Seigneur.
Je louerai le Seigneur durant ma vie.
Je chanterai des psaumes à mon Dieu
Tant que je serai, Alleluia. Ps. CXLV, 2.
Le verset du Psaume est, à lui seul, une sorte de dialogue ; l’âme s’invite d’abord elle-même à louer le Seigneur, puis, répondant à l’invitation, elle commence sa louange – qu’elle développera tout le long du Psaume – en proclamant qu’elle chantera le Seigneur toute sa vie.
Cette promesse d’éternelle louange est bien à sa place après l’Evangile qui vient d’être chanté. Notre Seigneur en effet n’y annonce pas seulement qu’il remonte à son Père mais il prédit son retour : « Encore un peu de temps et vous me reverrez… » Interrogé sur le sens de ce retour, il répondit : « vous êtes dans la tristesse… mais je vous verrai de nouveau et votre cœur se réjouira et personne ne vus ravira votre joie. » La réponse était imprécise ; il est probable que les apôtres n’en saisirent pas le sens profond, mais, pour nous, elle est claire ; c’est l’avènement de gloire et l’éternelle béatitude qui suivra que Notre Seigneur annonce.
Cet Offertoire se présente donc comme un chant de reconnaissance dans lequel l’âme dit à Dieu que, pour tout le bonheur qu’il lui a donné déjà et pour celui qu’il lui promet, elle le louera, tant qu’elle vivra.
LA MÉLODIE
Parole intérieure, musique intérieure. L’invitation qui prend toute la première phrase, est baignée de joie intime ; notez la plénitude des intervalles et les cadences sur mi et sur fa si délicates. L’âme, remplie de la parole divine qui lui promet une félicité accrue et sans fin avec le Christ dans la gloire, contemple, dans une atmosphère de gratitude heureuse, la bonté du Seigneur et, doucement, discrètement, intimement puisqu’elle se parle à elle-même, elle chante pour s’exciter à le louer. A part l’invitation qui traduit si parfaitement cet état de paisible bonheur, tout le reste de la phrase est une formule du IVe mode, mais le mode est lui-même si bien dans le ton !
La seconde phrase a plus de mouvement. L’âme, sans sortir de sa sainte quiétude, fait à sa propre invitation une réponse empressée, ardente. Un très bel élan, un élan de louange déjà, emporte Dominum sur les hauteurs où il s’épanouit avant d’être ramené tendrement à la tonique. Laudabo Dominum in vita mea ; elle louera, toute sa vie ; elle insiste sur ces derniers mots : épisème, quilisma, pressus ; toutes les ressources de la mélodie sont amenées pour mettre en relief cette promesse d’éternelle louange car la vie de celui qui loue le Seigneur ne finit pas.
Après avoir achevé cette affirmation d’ordre général sur la formule si tendre qui finit la première phrase, l’âme précise ce que sera sa louange : psallam. Je chanterai des Psaumes à mon Dieu. Après les quatre premières notes, qui ramènent, très heureusement ici, la nuance de bonheur profond, – le bonheur de chanter – le mot s’étend sur la tristropha, enveloppé de la même religieuse vénération que dans l’Introït sur Psalmum. Cette vénération se pénètre d’ardeur et de tendresse tout le long des arsis de Deo meo et que quamdiu et, plus encore peut-être, sur ero que le quilisma et le pressus font si expressif.
L’Alleluia reprend le motif de psallam et le prolonge par une bivirga et une clivis allongées, intensifiant ainsi pour finir le sentiment de contemplation paisible et heureuse qui enveloppe tout depuis le début.
Le mouvement sera paisible. Elargir la partie thétique de l’intonation. Bien veiller à ne pas traîner les cadences de Dominum et de mea, qui, pour un rien, deviendraient des plaintes.
On mettra un peu plus de mouvement dans la seconde phrase ; accélérant quelque peu l’arsis de laudabo, mais retenant la dernière syllabe de Dominum. Bien rythmer ero, à la fin de la dernière phrase. Ralentir progressivement l’Alleluia.
COMMUNION
LE TEXTE
Un peu de temps et vous ne me verrez plus, Alleluia.
Encore un peu de temps et vous me reverrez
Parce que je vais à mon Père.
Alleluia, Alleluia. Jean. XVI, 16.
Ces paroles ont été prononcées par Notre Seigneur après la Cène. Il prédisait là sa mort et sa Résurrection, mais aussi son retour, à la fin du monde, pour son triomphe total et définitif.
Ici, ce n’est pas le Christ de la Passion qui les chante ; le Temps Pascal s’y oppose et, plus encore, le caractère joyeux de la mélodie qui est tout à l’opposé de la gravité triste du Discours après la Cène ; c’est l’Eglise qui se les remémore ou, mieux encore, le Christ Glorieux qui, dans l’intimité de la communion, les redit à ceux qui le reçoivent en leur donnant un sens particulier d’intimité :
“Vous qui me recevez dans votre âme, vous ne me voyez pas de vos yeux de chair car je suis remonté vers mon Père, mais vous me reverrez parce que Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle, je me manifesterai à lui et je le ressusciterai au dernier jour, car là où je suis, je veux qu’il soit aussi.”
LA MÉLODIE
La première phrase, bien qu’elle évoque le départ et la séparation, n’est pas triste. C’est un récitatif, il n’exprime pas de sentiment bien déterminé jusqu’à l’Alleluia qui, lui, a une note de joie très nette, mais peut-être un peu brusquement amenée.
Il reste qu’il est une transition heureuse à la seconde phrase qui, elle, est joyeuse d’une joie éclatante ; la joie que le Christ, maintenant dans la gloire, veut communiquer aux siens comme un réconfort, en évoquant les jours où ils seront avec lui près du Père.
L’attaque de iterum en plein élan sur la dominante a bien ce caractère de force qui convainc et ranime en remplissant l’âme de vivant espoir. La dernière incise, elle, se nuance de joie aimable puis la mélodie redevient grave à l’évocation du mystère de la Paternité divine, bien plus profond et bien plus béatifiant que celui du Christ et que la joie de son visage à jamais contemplé.
Liez de près l’Alleluia de la première phrase à me, qui sera bien posé, et chantez-le avec une certaine douceur afin d’atténuer ce qu’a d’un peu brusque cette note de joie.
La deuxième phrase sera chantée d’un seul mouvement, avec entrain, la double note de iterum bien appuyée.
Ralentissez quelque peu le vado ad Patrem qui sera bien balancé. Les Alleluia auront leur nuance de joie délicate si on ne les force pas. Elargissez légèrement le podatus du second.
Cantiques pour Pâques
Écoutes de pièces
Epître, évangile et préface chantés de cette messe, voir ici