Commentaires des pièces de cette messe par Dom Baron.
L’Église fête aujourd’hui tous ceux qui jouissent au ciel de la vision face à face de Dieu : le Christ, sa Mère et, autour d’eux, les Anges, les Archanges, les Trônes, les Dominations, les Principautés, les Puissances, les Vertus, les Chérubins, les Séraphins, les Patriarches, les Prophètes, tous les justes de l’ancienne loi ; les Apôtres, les Docteurs, les Confesseurs, les Anachorètes… tous les élus enfin, de toute tribu, de toute langue, de toute nation. La Toussaint, c’est la fête de l’Église triomphante.
C’est encore quelque chose de plus.
Parce que la vie qui vient du Christ en eux fixe leur intelligence et leur volonté sur le même objet : Dieu contemplé, aimé, glorifié, ces myriades et myriades d’esprits ne font qu’un avec le Christ ; ils sont ses membres, son complément, son achèvement ; ils sont du Christ, ils sont le Christ, Lui et eux, c’est ce que Saint Augustin appelle le Christ total.
La Toussaint, c’est la fête du Christ total, de la plénitude du Corps mystique ; de tout le créé subsistant dans le Christ, réconcilié avec le Père par le sang de la Croix et s’épanouissant en la louange de la gloire de sa grâce dont il l’a gratifiée en son Bien-Aimé. C’est la fête du ciel, selon cette vision de l’Apocalypse qui nous est lue à Matines et à la Messe et à travers laquelle nous nous plaisons à évoquer, par delà le symbolisme des images splendides, la liturgie de l’éternité.
Cette fête de la création glorifiée, telle que nous la verrons éternellement, est bien à sa place à la fin de l’année liturgique et dans le cycle des saints. N’est-elle pas la conclusion des mystères du Christ et le témoignage de sa vertu sanctificatrice ?
Le 1er Dimanche de l’Avent, nous chantons à vêpres : « Voici le Seigneur qui vient et tous ses saints avec lui ».
Les voici venus.
La nuit de Noël sur le berceau de l’Enfant-Dieu, l’Église déclamait la prophétie d’Isaïe : « Tu as multiplié le peuple et fait grande la joie… Ils se réjouiront devant toi comme se réjouissent les moissonneurs, comme se réjouissent les vainqueurs autour du butin conquis ». (Isaïe IX. 3.)
La voici, la joie de la moisson et de la conquête.
Avant de mourir le Christ avait dit : « Père, ceux que tu m’as donnés, je veux que là où je suis, ils soient avec moi… Comme toi, Père, en moi et moi en toi, qu’eux aussi soient en nous. » (Jean XVII. 22,21.) Le voici le rassemblement dans l’unité.
A l’Ascension, commença de monter le cortège de la « captivité, captive de l’amour » et le ciel de se remplir sous l’action de l’Esprit sanctificateur.
Voici le cortège clos – car la Toussaint, fête de l’éternité, enclot le passé et le futur. – voici le ciel plein. « Ceux qu’il a prédestinés, il les a appelés ; ceux qu’il a appelé, il les a purifiés ; ceux qu’il a purifié, il les a glorifiés. » (Rome. VIII. 20.)
La fête, il va de soi, est célébrée dans une atmosphère de triomphe et d’exaltation grandiose. C’est le ton notamment des antiennes des vêpres et des hymnes de toutes les heures. A la messe toutefois cette exaltation se revêt de nuances. La joie est plus discrète, plus intérieure, avec cependant des élans d’enthousiasme dans lesquels l’âme, à certains moments, se livre tout au souffle de l’admiration et de l’espoir. (La fête est de deux siècles postérieure à Saint Grégoire mais presque toutes les pièces de la messe sont empruntées à des offices primitifs.)
INTROÏT
Gaudeamus de l‘Assomption de Notre-Dame.
L’Eglise a choisi, comme ouverture, l’invitation à la joie dont elle s’est servie, le 15 Août, pour célébrer la montée au ciel de Notre-Dame. C’est bien ainsi. Le même chant qui fêtait la Mère en son entrée dans le Royaume fête les fils qui l’ont suivie, et qui l’entourent à jamais dans la béatitude. Avec eux, réjouissons-nous et louons le Fils de Dieu qui a fait cette réunion. Gaudeamus…
La mélodie est toute de joie ardente et discrète à la fois, nous l’avons dit, montant enthousiaste ou se détendant en des motifs gracieux, retenus, enveloppés de vénération tendre sur les noms bénis qui sont l’objet de la louange : Domino, sanctorum omnium, angeli, Filium Dei.
GRADUEL
LE TEXTE
Craignez le Seigneur, tous ses saints,
Car rien ne manque à ceux qui le craignent.
Le Verset. – Ceux qui cherchent ainsi le Seigneur
Ne manquent d’aucun bien.
(Ps. XXXII, 10, 11.)
Le Psaume XXXII est de David. Le Seigneur l’avait tiré d’un pas difficile. Il lui exprime sa gratitude : Benedicam Dominum in omni tempore…et pris d’un zèle ardent, il ecommande aux Justes de pratiquer ce qui lui a toujours valu cette divine protection : Timéte Dominum : aimez le Seigneur – car c’est bien dans ce sens de crainte filiale qu’il faut entendre ici timéte – cherchez-le et rien ne vous manquera. C’était à l’avance le conseil de Notre-Seigneur : Cherchez d’abord le Royaume de Dieu et sa justice et le reste vous sera donné par surcroit.
Après l’Epître où Saint Jean nous chante, en termes splendides, sa vision de l’éternelle liturgie, telle qu’elle sera dans les cieux nouveaux et la terre nouvelle… telle qu’elle est déjà au-dessus de nous, en ce matin d’apothéose, ces deux versets nous viennent comme la voix de l’Eglise tournée vers nous ; de l’Eglise du ciel, de tous ceux qui chantent là-haut leur gratitude et qui nous livrent le dernier mot de leur expérience pour nous aider sur le chemin : « Aimez le Seigneur, cherchez à l’aimer toujours mieux, et vous aurez ce que nous avons : tous les biens en lui… non déficient omni bono.
LA MÉLODIE
C’est la joie qui la caractérise. Elle est discrète, retenue, dans l’intonation, mais on la sent ardente déjà dans la montée vers l’accent tonique de Dominum. Elle va s’épanouir en vénération sur les longs neumes du nom divin et peu à peu se laisser aller, sur omnes sancti, enthousiaste cette fois, communicative, enveloppant ces deux mots qui nous sont destinés du chaud accent de la charité fraternelle, telle qu’on la vit dans la famille de l’éternité. Le mouvement large qui les enveloppe se détends ensuite souple et gracieux sur éjus et se prolonge en quelques neumes qui très heureusement riment avec Dominum. Aussi bien, c’est encore le nom du Seigneur et la même vénération aimante.
Sur le motif ardent de omnes qu’elle reprend, la mélodie, au début de la seconde phrase, monte vers nihil où elle trouve son expression. Sur ces deux notes – qui sont deux virgas épisématiques – les saints, du fond de leur béatitude, affirment avec une conviction toue pénétrante de leur bienheureuse expérience, que rien, absolument rien ne manque à qui sait aimer. C’est la formule du nihil solliciti sitis de l’Introït du IIIème Dimanche de l’Avent . C’est bien aussi la même idée : Saint Paul s’employant là, de toute son ardeur, à communiquer la joie du Seigneur tout proche dont il a, lui aussi, l’expérience. Deux rythmes ternaires détendent le mouvement dexcendant à la tonique et pour la troisième fois le Seigneur est loué sur éum. C’est la formule qui chante le vonheur d’être comme des frères ensemble, dans le Graduel Ecce quam bonum du XXIIème Dimanche après la Pentecôte ; la miséricorde du Cœur de Jésus montrant la voie aux pécheurs, dans le Graduel de la fête du Sacré-Cœur ; le désir de l’Eglise de chanter à jamais la gloire du Seigneur dans l’Alleluia Paratum cor méum du XXe Dimanche après la Pentecôte ; l’allégresse profonde des vierges allant vers l’Epoux dans l’Alleluia Adducéntur régi ; la joie éternelle des confesseurs couronnés de pierres précieuses dans le Graduel Domine prævenisti… Admirable phrase, grave, solennelle, baignée d’humble respect, de vénération, d’amour. Il semble que l’âme, en la chantant, s’anéantit, comme perdue devant la grandeur de la miséricordieuse bonté de son Dieu qui l’a appelée à la joie de la vie sans fin.
Le Verset (I) . – Inquiréntes autem Dominum non déficient omni bono.
La joie ici s’allège, si l’on peut dire. Sur de longs neumes qui se déroulent en courbes gracieuses, légers, tout en mouvement, comme au-dessus de l’espace et du temps, l’Eglise bienheureuse évoque tout ce que la recherche de Dieu, de sa volonté, de son bon plaisir lui a valu de bonheur, jadis et maintenant à jamais. Elle achève sa guirlande sonore en une cadence sur mi qui enveloppe Dominum de tendresse délicate et, après une affirmation bien marquée sur non déficient par le podatus de non et l’épisème de la clivis initiale, elle reprend la formule finale de la première partie, rendue plus expressive encore par le pressus et la tristropha de omni, et chante à nouveau, sur cette splendeur le bien ineffable qui ne lui fera plus jamais défaut : Dieu contemplé face à face.
Faites l’intonation légère et souple, en veillant bien à donner à l’accent tonique de Timéte toute son élasticité . Celui de Dominum bien au lever donnera à la retombée du mouvement la douceur et l’onction qui conviennent au nom divin. Les neumes en seront très liés. On y reliera de très près omnes. Le crescendo de l’arsis sera discret et progressera jusqu’à l’accent tonique de Sancti. Le torculus du sommet sera bien arrondi et la retombée gracieuse ; l’intervalle sol-fa-sol-ré-fa élargi. Faites éjus très expressif, le sommet de la vocalise arrondi, et complaisez-vous sur la cadence.
Quoniam sera chanté comme omnes et le crescendo ira vers nihil qui sera très affirmatif. Veillez bien à la régularité des neumes de la thésis. Elargissez le torculus sol-la- ré de éum et, à partir du pressus, faites un léger crescendo vers la note jointe pour amorcer l’arsis qui suit, vous aurez ainsi une très belle expression de joie profonde et pleine. La remontée sera délicate, et toute la dernière incise considérée comme la fin du mouvement qui s’achève progressivement sur la bivirga, la distropha, l’oriscus et le torculus final.
Le verset sera léger ; pas rapide mais très lié. Il faut se complaire sur cette splendide vocalise et prendre le temps de réaliser ce que disent les mots et la musique. Ce n’est pas une joie exubérante, c’est une contemplation. Mais que la vie y passe et ardente, notamment sur les derniers neumes de inquiréntes. C’est dans cette montée à la dominante que l’âme commence à se livrer à la joie extérieure. Il faut appuyer progressivement les trois notes longues fa-sol-la et, bien en mouvement, aller vers la clivis du sommet qui recevra un allongement expressif. Autem sera pris dans ce nouveau mouvement plus vif. Les deux pressus seront bien appuyés et, de ce sommet, tout en un élan, descendront, très liés, les longs neumes de la thésis. Une légère reprise de mouvement sur le salicus de la fin préparera la cadence sur mi qui sera retenue. Affirmez bien le non déficient en donnant un peu de longueur à la première note du podatus. Que la cadence finale soit grave, montant en crescendo jusqu’à la clivis allongée qui suit le quart de barre. Il y aura une détente sur le climacus la-fa-ré, et la première note de la clivis qui suite sera bien en élan de façon à ce que la retombée se fasse souple sur la double note. Suivra alors le crescendo descendant et la paix de la longue cadence finale.
ALLELÚIA
LE TEXTE
Venez à moi, vous tous qui peinez
Et ployez sous le fardeau.
Et, moi, je vous referai.
(Math. XI. 28.)
Par-dessus l’immense assemblée qui vient de nous chanter son bonheur, c’est maintenant la voix de l’Agneau immolé qui s’élève : « Venez à moi … et je vous referai : je vous referai comme je les ai refaits, ceux qui m’entourent dans la gloire ; et vous serez en pleine vie, en pleine force, en pleine baute, en pleine jeunesse à jamais, car, par l’Eucharistie, je vous infuserai ma vie de ressuscité et je mettrai devant vous de quoi tremper dans mon sang votre robe et de quoi payer la palme que vous porterez en me suivant dans la gloire, éternellement. »
LA MÉLODIE
Une grande douceur aimable et qui se fait attirante, pressante même, sur la belle cadence de ad me enveloppe toute la première incise. La vocalise de laboratis s’élève alors baignée de paix, légère, aérienne, comme un chant venant de très loin et de très haut. Elle n’exprime pas l’idée d’effort pénible incluse dans le mot, c’est l’appel du venite ad me qui en elle se prolonge. L’expression de fatigue, d’accablement sur onerati estis, très marquée d’ailleurs, par la retenue du quilisma, la distropha et la répercussion. Il y passe en même temps une nuance délicate de tendresse compatissante. Reficiam reprend le motif de venite et la vocalise se développe dans la même bonté douce et enveloppante ramenant pour finir les cellules rythmiques centrales de laboratis.
Veillez bien à faire de tout le venite ad me un seul mouvement très lié, touchant à peine les ictus, faisant les pressus très doux et très expressifs tout de même. Retenez bien ad me et faites-le attirant. Vous élargirez la montée de omnes mettant bien l’ictus sur la virga qui précède le porrectus et l’allongeant légèrement. La vocalise de laboratis sera très souple, assez ample. Mettez bien en valeur son admirable construction en détaillant les cellules mélodiques et leurs répétitions.
L’incise do-mi-ré-mi-fa-mi-ré-do-mi-ré-mi-fa-ré est faite d’une cellule répétée une fois. L’incise do-ré-do-la-sol-do-si-do-ré-do-la-sol-fa-sol-la-do-si-do-ré-do-la-sol-fa-sol a une cellule nouvelle, quoique apparentée rythmiquement à la précédente, répétée deux fois, avec chaque fois un développement plus poussé. L’incise do-mi-ré-mi-fa-mi-ré-do-mi-ré-mi-fa-ré reprend la première incise. Il faudra, il va de soi, élargir la dernière incise. Le torculus de et sera bien arrondi et onerati aura tout le poids qu’exigent les neumes.
Faites une légère reprise a tempo sur et ego ; que la vocalise finale, comme celle de l’Alleluia, soit très douce, très liée avec la dernière cadence très élargie.
OFFERTOIRE
LE TEXTE
Les âmes des justes sont dans la main de Dieu.
Et il ne les touchera pas, le tourment de la malice.
Ils paraissent aux yeux des insensés être morts,
En fait, ils sont dans la paix.
(Sag. II. 2, 3.)
Après avoir entendu Saint Jean nous dévoiler, à l’Epître, quelque chose des splendeurs du ciel, les élus chanter au Graduel les biens infinis dont ils jouissent, le Christ dans l’Alleluia nous appeler à lui et chanter lui-même à l’Evangile le cantique des Béatitudes, l’Eglise, repliée sur cette vision du bonheur, chante sa contemplation. « Les âmes des justes sont dans la main de Dieu… » L’image est délicieuse, mais que ne dit-elle pas à qui en scrute les profondeurs ! Ils sont en Dieu…emportés, avec le Christ, dans le courant d’amour infini qui va du Père au Fils dans le Saint Esprit, enveloppés de la présence, perçue cette fois, des Trois divines Personnes, bercés dans leur amour qui les inonde de joie, inclus dans leur mutuelle louange. Et à jamais heureux. La souffrance, ce fruit du mal, ne les touchera plus.
Pour ceux qui ne savent pas voir, pour ceux qui n’ont pas le sens des réalités : insipiéntium, ils sont morts, disparus de la scène. On les a vus partir avec peine, ou avec indifférence, ou avec joie, ou avec haine. Ils ne sont plus… Erreur. C’est tout le contraire. Ils sont, et ils sont plus que jamais. Ils vivent la plénitude de la vie, dans la paix, hors du trouble, hors de l’inquiétude, dans la lumière qui éclaire tout, dans la possession du bien qui satisfait tout désir, dans ce repos béatifiant que répand en eux l’ordre infini qu’ils contemplent dans la sagesse de Dieu…Illi autem sunt in pace.
LA MÉLODIE
Elle est calquée et de très près sur l’Offertoire Stétit angélus de Saint Michel. L’expression d’ensemble est bien la même : une joie paisible avec ici et là des élans d’enthousiasme. Le sujet d’ailleurs est au fond le même : une contemplation plus descriptive là, plus expressive ici, de la liturgie de l’éternité, dans la joie profonde de cette grande fête de famille qu’est la Toussaint.
La première phrase est discrète, toute intérieure. L’Eglise recueillie en la splendide vision des Saints en Dieu, se complaît à chanter pour elle seule. C’est d’abord un balancement léger entre les notes longues de justorum, puis une cadence aimable achve le mot et l’intonation. Aussitôt après, la mélodie monte à la dominante enveloppant animae d’une ardeur encore retenue mais qu’on sent vibrante déjà. Elle ne fait toutefois que toucher le si b et revient à la tonique pour chanter, dans une atmosphère de bonheur paisible, le repos de tout le ciel en Dieu, in manu Déi. Les deux mots sont admirables ; des broderies d’une finesse exquise s’enroulent autour des deux syllabes de manu puis la ferveur monte à nouveau et enveloppe Déi de vénération, mais de force aussi, donnant à cette cadence un accent de sécurité absolue.
Ce caractère de force s’accentue dans la seconde phrase, qui, en fait, continue la première. La joie en même temps s‘extériorise ; elle revêt une nuance de fierté, de défi qui lui donne je ne sais quoi de triomphal ; notez l’élan superbe de et avec les deux notes allongées qui le scandent, le balancement rythmé de la clivis et des podatus de non tanget, le pressus de illos, les salicus de torméntum ; il n’est pas jusqu’à la cadence de malitiae qui n’ait quelque chose de dominateur.
Visi sunt oculis insipéntium n’est qu’un récitatif quelque peu orné au début. Il ne manque pas d’expression. L’auteur a-t-il voulu dans les neumes qui s’enroulent autour de visi sunt oculi et dans le grave insipiéntium mori évoquer la pensée sombre de la mort chez ceux qui n’ont pas d’espérance? Il semble bien. En tout cas, il a réalisé entre cette phrase et la suivante, qui chante la paix heureuse des élus, un contraste qui est une merveille.
Sur les intervalles hardis : do ré la do, Illi autem jaillit comme un cri de joie débordante. Il s’épanouit un instant sur le pressus, dans la sonorté claire de la syllabe accentuée puis se prolonge, sur la teneur élevée du mode de fa, dans une ardeur sans cesse renouvelée, tout en mouvement, libre, souple, agile avec les souffle de lavie, comme les saints dans la lumière… joie de l’Eglise qui exalte les siens et chante son espérance. Par courbes successives, la guirlande sonore descend, se pose sur sol, deux fois sur fa, puis en une cadence toute de paix touche enfin la tonique.
Alors monte, large, puissant et sonore le mot de la louange : Alleluia. L’Eglise acclame pour finir celui qui a si bien su refaire dans l’éternelle vie ceux qui sont venus à lui de la grande tribulation. (On aura intérêt à comparer cet Offertoire avec le Graduel et la Communion de la Messe de l’Octave des saints Apôtres Pierre et Paul, le 6 Juillet – la Communion est aussi celle de la Vigile de la Toussaint. – Le texte est le même, l’expression générale aussi. Des détails sont traités diversement, mais toujours avec grand art. On notera en particulier dans la Communion, la paix dont est enveloppé illi sunt in pace, en contraste avec visi sunt qui cette fois semble bien évoquer l’ironie des sages pour les insensés, à moins que ce ne soit l’ironie des insensés pour les sages.)
Il faut chanter toute la première phrase très simplement, je veux dire sans recherche d’effet ; dans un mouvement sans lenteur, pas trop vite non plus ; paisiblement, d’une voix à la fois légère et chaude. Un crescendo léger partira du salicus de animae vers la première note du torculus lequel sera arrondi avec grâce. In manu sera chanté d’un seul mouvement, très lié, les ictus faits seulement d’intention. Ar contre Déi sera très rythmé : la voix, bien appuyée sur la virga pointée puis, plus fortement sur la note allongée du salicus, ira en crescendo vers la virga du sommet qui sera bien rond, et la détente se fera quelque peu élargie et gracieuse.
Le rythme sera aussi très marqué dans la seconde phrase – à note que la première note du podatus de et est allongée. Posez bien la première note des podatus de tanget. Il y a dans toute cette phrase un caractère de grandeur, de noblesse, de force qui doit être mis en relief. La cinquième note de mén dans torméntum doit être allongée comme la seconde, mais sans être heurtée, ce qui enlèverait à la sérénité de cette cadence qui reproduit si heureusement, en la développant, celle de Déi. Articulez bien malitiæ.
Ne donnez pas une couleur sombre à la troisième phrase. Chantez-la simplement en retenant seulement quelque peu insipiéntium et en articulant assez fortement mori.
Le mouvement Illi autem sera a tempo, rien de plus. Liez bien l’intervalle de quinte qui monte au la, appuyez-y votre crescendo qui s’épanouira sur le pressus, souple et chaud, remontera en s’appuyant cette fois sur le salicus, se détendra à nouveau, par-dessus le quart de barre, sur le fa pointé après avoir enveloppé d’une légère reprise d’intensité la montée au do, repartira enfin vers le sommet pour revenir au fa et s’éteindre avec le mouvement sur la belle cadence de sunt in pace.
L’Alleluia sera scandé, sonore, large aussi : un crescendo partant du second podatus do-ré ira, passant le quart de barre, jusqu’au la et se détendra retenu, mais toujours sonore, jusqu’au dernier neume. L’accent tonique et la dernière syllabe seront nettement articulés.
COMMUNION
LE TEXTE
Bienheureux les cœurs purs,
Car ils verront Dieu.
Bienheureux les pacifiques,
Car, fils de Dieu ils seront appelés.
Bienheureux ceux qui souffrent pour la justice
Car, à eux, est le Royaume des Cieux.
(Math. V. 8. 10.)
Trois des béatitudes ; les trois dernières.
L’Eglise les chante, à la fin de la messe, comme une dernière louange aux Bienheureux. Ils ont pratiqué la pureté de cœur, ils ont aimé la paix et l’ont faite en eux et autour d’eux, ils ont passé à travers la persécution sans faiblir. A cause de cela, ils ont la limpidité du regard qui leur permet de voir Dieu ; devenus un avec le Christ, Prince de la paix, ils jouissent en lui de l’ineffable paternité de Dieu ; en lui, enfin, pour qui ils ont souffert et sont morts, ils ont le royaume qui n’appartient qu’à ceux qui l’ont conquis sur la Croix et par la Croix.
Aucune de ces trois béatitudes ne se rapporte directement à la Communion. Il reste tout de même que c’est la communion au corps du Christ, qui a fait les saints purs, pacifiques et forts, de sorte que l’Eglise, en les louant, fait monter jusqu’à Dieu sa gratitude et loue, en même temps, ceux qui, à cet instant même, puisent dans l’Eucharistie la force d’être déjà quelque peu, un jour en plénitude, Bienheureux, pour avoir pratiqué la béatitude des purs, des forts et des pacifiques.
LA MÉLODIE
Quatre phrases qui riment entre elles par leurs cadences finales établies successivement en fa, en fa et en ré.
La première s’élève d’abord tout simple et joyeuse, dans la sonorité claire des notes élevées puis, peu à peu, prend de la gravité avec la mélodie qui s’infléchit, et s’achève sur le motif de la rime, toute recueillie, dans le mystère de la vision béatifique.
La seconde débute dans le grave. La mélodie, toute intérieure au commencement, devient de plus en plus ardente. Notez le pressus de pacifici et le filii Déi. Elle s’achève, elle aussi, sur la rime mais en fa dans la tonalité claire du VIème mode… La joie monte.
Elle éclate, cette joie, dans le splendide élan de Beati au début de la troisième phrase. C’est comme un immense cri d’enthousiasme, qui s’élève de l’Eglise vers le cortège de ceux qui, dans leur robe blanche, suivent l’Agneau, palme en main… « Ceux qui ont passé par la grande tribulation et qui ont trempé leur robe dans le sang de l’Agneau. » La mélodie se détend ensuite en un rythme qui descend, cadencé comme une marche de procession, mais pour s’élancer à nouveau tout de suite sur la dernière syllabe de patiuntur. Ce n’est plus l’enthousiasme, il s’est mué peu à peu en admiration. L’idée de la souffrance avec la cadence sur si bécarre y met une nuance de compassion, puis le mouvement redescend vers la rime en fa. Enfin dans un rythme grave, solennel, empreint du mystère de la rime en ré, l’Eglise chante le royaume des cieux et tout le bien qu’y ont trouvé ceux qui ont donné leur vie pour le Roi.
Le mouvement sera léger, assez vif, plein d’élan.
Le rythme binaire de l’intonation bien marqué, sans heurt toutefois. La descente liée, l’accent tonique de Déum bien lancé et expressif. Elargissez la virga du sommet de vidébunt.
La deuxième phrase, très rythmée, un bon crescendo ira vers le pressus de pacifici ; un autre, plus ample, et chaud, enveloppera filii Déi qui sera légèrement élargi.
Très ample, la montée de Beati au début de la troisième phrase ; la thésis bien rythmée. La cadence de patiuntur délicate, et expressive ; y relier de très près l’incise qui suit.
Ne pas faire le mouvement de la dernière phrase trop lent, mais paisible. Régnum cælorum très expressif.