Commentaires des pièces de cette messe par Dom Baron.
Le temps après la Pentecôte représente dans l’Année liturgique la période qui va de la descente du Saint Esprit sur les Apôtres à la fin des temps.
Il n’y a pas, dans ces quatre-vingt Dimanches qui se suivent de plan d’ensemble. Il est même impossible, à cause des changements qui ont été effectués à plusieurs reprises dans le Missel, de savoir quelle était l’ordonnance primitive de chaque messe. Il serait donc vain de chercher à dégager l’idée qui a présidé à la composition.
Doit-on pour autant se refuser à chercher dans le Missel, tel qu’il se présente à nous, un lien ente les prières, les lectures et les chants ? Nous ne le croyons pas. Du point de vue historique un tel lien est sans valeur, c’est entendu, mais il existe en réalité, il ne saurait être fictif. Or il existe et on le découvre sans qu’il soit nécessaire de solliciter les textes à l’excès. Nous nous sommes donc appliqué à le dégager, persuadé que l’unité ainsi réalisée aidera à entrer efficacement dans le jeu liturgique et à le vivre. (Nous ne l’avons pas fait pour les fêtes qui, elles, ont leur objet propre).
Il va de soi que ce lieu, n’affectant pas l’essentiel de l’expression des diverses pièces chantées, chacun peut l’utiliser, ou non.
INTROÏT
LE TEXTE
Bénie soit la Sainte Trinité et l’indivisible Unité.
Nous lui rendrons gloire
Car elle a exaucé envers nous sa miséricorde.
Ps. – Seigneur, notre Seigneur,
Que votre nom est digne d’être loué sur toute la terre ! Tobie. XII. 16. – Ps. VIII. 2.
C’est une adaptation des paroles de l’Archange Raphaël à Tobie et à son fils, au moment où il les quitte. Ceux-ci, pour le remercier de tout ce qu’il avait fait pour eux lui proposaient la moitié de l’argent recouvré grâce à lui « Alors il leur dit en secret : Bénissez le Dieu du ciel et louez-le devant tous les vivants parce qu’il a exercé envers vous sa miséricorde ».
L’Archange leur demandait de bénir et de louer le Dieu du ciel ; l’Eglise, elle, qui a reçu du Christ la révélation explicite du mystère de la vie intime de Dieu, bénit et loue la Trinité Sainte, et l’Invisible Unité des Divines Personnes.
Le choix de ces paroles d’action de grâces comme Introït est vraiment très heureux. Devant ce mystère des mystères qui nous est plus que tous les autres fermé, qui nous écrase par son infinie grandeur, la seule idée qui nous vienne en effet, après le silence, c’est la reconnaissance envers les Divines Personnes qui, de toute éternité, se sont penchés avec amour sur notre néant, qui ont fait note salut et qui nous conduisent, à travers les vicissitudes de nos existences, vers la Béatitude de leur vie intime dans laquelle elles nous veulent à jamais. Benedícta sit sáncta Trínitas…
Le Psaume est une exclamation par laquelle l’âme exprime son admiration, pour toutes les merveilles qu’elle découvre dans l’action des Divines Personnes.
LA MÉLODIE
Elle est calquée sur l’Introït Invocávit me du Ier Dimanche de Carême . Dans l’ensemble l’expression est satisfaisante.
Les mots de bénédiction s’accommodent assez bien de la première incise. Le motif de Benedícta sit est recueilli, adorant même.
Un bel élan de ferveur lui succède sur Sáncta et s’épanouit sur la triple note de indívisa. Malheureusement la cadence de Trínitas sur do par le si, qui fait la sensible de la gamme majeure, est bien mauvaise. Dans l’Introït Invocábit cette montée se reliait tout de suite à éum que le porrectus ramenait au sol.
En dépit de l’accent tonique fort mal servi, le motif de confitébimur répond bien à l’ardeur de louange que demande le mot, et l’idée de miséricorde a son expression délicate tout le long des deux dernières incises. Mais on est bien obligé de constater un peu partout que le rythme des mots et le rythme de la mélodie ne sont pas accordés.
On chantera sans forcer la voix, mais dans un bon mouvement.
La première phrase sera plutôt recueillie. Faites bien la répercussion sur la clivis qui suit la distropha de Trínitas. La double note de Indívisa devra être bien appuyée et élargie; elle devrait porter selon les manuscrits deux épisèmes horizontaux.
Donnez de l’élan à confitébimur, faites bien l’accent et veillez à arrondir le sommet. Lancez bien l’accent de fécit dans l’incise qui suit.
Le Psaume sera bien rythmé.
GRADUEL
LE TEXTE
Béni es-tu, Seigneur, toi qui sondes les abîmes.
Et qui sièges au-dessus des Chérubins.
Verset. – Béni es-tu, Seigneur,
Dans le firmament du ciel
Et digne de louange dans les siècles. Daniel III. 55, 56.
C’est encore une formule de bénédiction. Elle est empruntée cette fois au Cantique des trois enfants dans la fournaise.
L’Eglise, interprète en droit de tout le monde créé parce qu’elle est le Christ continué, s’en sert pour remercier Dieu du regard d’amour qu’il pose sans cesse et sur les esprits et sur les plus éminents des cieux et sur les êtres les plus infimes, au fond des gouffres, et lui dire sa reconnaissance pour les merveilles dont il a rempli les mondes.
Les jeunes Hébreux qui le louaient dans les flammes ne voyaient rien de plus que ce que nous voyons dans le bleu du firmament, dans les nuages qui voilent ou dans les feux dont il scintille la nuit, mais nous savons, nous, ce qu’il y a d’invisible par delà les étoiles, et, pour les milliards et les milliards de soleils que le Seigneur a créés et qui se meuvent dans l’ordre qu’il a fixé, nous pouvons le bénir et le déclarer digne de louange dans les siècles, lui qui, après nous avoir émerveillés durant notre vie de la splendeur du monde, nourrira de la beauté infinie de ses Trois Personnes la louange de note éternité. Car on vient de le chanter à l’Epître « c’est de lui et par lui et en lui que sont toutes choses. A lui la Gloire dans les siècles. Amen. »
LA MÉLODIE
(V) Benedíctus es Dómine qui intuéris abýssos et sédes súper Chérubim
L’original est le Graduel Constítues éos de la Fête des Saints Apôtres Pierre et Paul. Le calque, comme dans l’Introït, a été fait sans souci d’adapter les phrases de la mélodie aux phrases du texte. C’est ainsi que la première phrase du Graduel Constítues a été prolongée de tout le motif de mémores pour couvrir ici le texte jusqu’à abýssos. Malgré ce défaut qui, il faut bien le dire, paraît fort peu si l’on ne fait pas la comparaison, l’expression est juste. Il se dégage du Graduel Constítues éos une gravité qui devient ici sur les paroles de bénédiction qui chantent l’infini regard de Dieu, une vénération pieuse et tendre. Très marquée sur le motif de Dómine qui courbe l’âme en adoration, elle prend de plus en plus, sur intuéris abýssos, un caractère d’admiration, mêlé de grandeur, qui ne la quitte plus et qui est vraiment ce qui convient sur de telles paroles.
Le Verset. – Benedíctus es Dómine in firmaménto coéli et laudábilis in saécula.
L’adaptation ici est très bonne et l’expression parfaite. Une louange pleine de ferveur, tendre et réservée d’abord, qui s’exalte peu à peu sur Benedíctus et qui devient ardente sur les deux pressus de Dómine. Après une nuance délicate de vénération sur la finale du mot, elle rebondit sur in en un cri d’admiration exultante qui peu à peu se détend sur les beaux rythmes thétiques de firmaménto, comme si l’âme, après cette exclamation émerveillée, prolongeait en elle la contemplation de ce qu’elle ne peut ni dire, ni chanter.
La double note de Benedíctus est une bivirga épisématique, elle fait toute l’intonation grave. En fait, le Graduel tout entier doit être chanté avec ampleur.
Elargissez toute la thésis de Dómine. Allongez aussi qui et veillez à ce que intuéris soit très lié. Un crescendo discret et un léger retard du dernier climacus portera la voix avec grâce du sol au ré. Toute cette cadence doit être très liée.
Le verset sera un peu plus rapide et très léger. La double note de Benedíctus est ici encore une bivirga épisématique, la faire expressive. Pressez légèrement le mouvement sur les broderies : ré-do, ré-do, ré-do, ré-mi-do et commencez-y un crescendo qui s’épanouira sur les doubles notes de Dómine lesquelles seront retenues. Il faut faire la montée sur in ardénte et se complaire ensuite sur caéli dont les deux groupes de quatre notes la si la sol, la si sol fa, seront élargis, mais, pas les autres, à part un léger ralenti à la cadence.
ALLELÚIA
LE TEXTE
Béni es-tu, Seigneur, Dieu de nos pères. Et digne de louange dans les siècles. Daniel III. 52.
Autre strophe du cantique dans la fournaise. Les jeunes gens y exaltent le Dieu de toute la lignée d’Adam, de Noé, d’Abraham pour avoir rempli l’âme de leurs pères de l’espoir et de la joie du Messie. Avec eux, l’Eglise chante maintenant les Trois Personnes et leur action bienfaisante jour après jour en chacun de ses membres.
LA MÉLODIE
Elle est originale, ce n’est pas un calque. Cet Allelúia, texte et mélodie, est en effet celui qui a été chanté la veille, samedi des Quatre-temps, après la cinquième Leçon. (Nous l’avons trouvée sur d’autres paroles à la Vigile de Noël )
Mélodie joyeuse, d’une joie plutôt extérieure, sans être exubérante, avec de beaux élans de ferveur sur Benedíctus, sur Dómine Déus et une nuance délicate de tendresse reconnaissante sur la cadence en si de pátrum nostrórum.
La seconde phrase reprend le motif de Benedíctus es. Sur la tristropha de in saécula, comme sur celle de Benedíctus, au début, l’âme a le loisir de rassembler ses désirs d’éternelle louange avant de les faire s’épanouir sur les neumes légers du jubilus.
Le mouvement doit être dégagé. Dans la première incise du jubilus bien faire la répercussion sur la distropha et accélérez légèrement les deux clivis qui suivent.
Chantez doucement la tristropha du début, retenez quelque peu le climacus de déus et, après avoir bien rythmé les deux clivis de nostrórum, renforcez la voix sur l’arsis qui termine la phrase. Même expression de douceur et de légèreté sur la tristropha de in saécula.
OFFERTOIRE
LE TEXTE
Béni soit Dieu le Père,
Et l’unique Fils de Dieu,
Et aussi le Saint Esprit
Parce qu’il a fait envers nous sa miséricorde. Tobie. XII. 6.
C’est une merveilleuse adaptation des paroles de l’Ange aux deux Tobie.
L’auteur de l’office, au lieu de Sáncta Trínitas comme dans l’Introït, a énuméré ici les trois Personnes. Il a rattaché ainsi d’une façon très heureuse l’Offertoire à l’Evangile. Le diacre en effet vient de chanter la parole de Notre Seigneur à ses disciples : « Allez, enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit… » L’Eglise y répond par un chant qui bénit chacune des Personnes pour avoir répandu sur nous leur miséricorde à travers tous les sacrements et tous les enseignements qui nous ont été dispensés en leur nom. Chantée au moment où se prépare le sacrifice de miséricorde, l’idée prend quelque chose de plus émouvant encore.
LA MÉLODIE
C’est sur l’Offertoire Constítues éos de la Fête des Saints Apôtres Pierre et Paul que le calque a été fait. On pourra se rendre compte, en comparant les deux, que l’auteur de l’adaptation, ici plus que dans toutes les autres pièces, n’a tenu aucun compte des phrases musicales.
Il n’y a rien qui choque dans Benedíctus Déus Páter. On y trouve au contraire une certaine onction bien à sa place et un mouvement très lié et sans emphase qui convient bien à des paroles de bénédiction. Mais la cadence sur la n’est pas assez conclusive pour l’idée qui, en fait, finit bien là ; de sorte que, musicalement, nous restons quelque peu dans le vide.
Le motif de unigenitúsque, lui aussi satisfait jusqu’à la cadence en fa, mais là, à l’encontre de la première phrase, la mélodie conclut en pleine phrase littéraire ; le mouvement de la pensée est ainsi coupé. La tristropha de Déi n’aide pas à le mettre en marche à nouveau, et, quand il a repris sur le très beau motif de Fílius, et qu’il s’arrête, la mélodie, elle, n’a qu’une demi-cadence à peine accusée.
Sánctus quóque Spíritus est, de même, établi entre un départ fictif et une cadence qui ne finit pas l’idée.
Seule, la dernière phrase est bien équilibrée et donne vraiment à l’idée de miséricorde une très belle expression.
Il faut s’efforcer de pallier à ces défauts d’adaptation.
Le mieux, semble-t-il, serait de faire une seule phrase du début jusqu’à quía fécit en reliant Páter à unigenitúsque et Fílius à Sánctus quóque, et surtout en joignant étroitement, dans la seconde incise, faute de mieux, sera sauvegardée.
On retiendra toue la montée de l’intonation et le mouvement sera assez large, lié et souple. La descente qui précède le quilisma de quóque sera retenue et on fera une bonne cadence sur Spíritus.
La première note des podatus de quía sera légèrement allongée de même que tout le dernier mot.
COMMUNION
LE TEXTE
Bénissons le Dieu du ciel.
Et devant tous les vivants, louons-le,
Parce qu’il a exercé envers nous sa miséricorde. Tobie. XII. 6.
Cette fois ce sont les paroles mêmes de l’Ange ; l’auteur de l’office a seulement mis les verbes à la première personne du pluriel.
L’Eglise invite les fidèles à bénir le Seigneur, et à le bénir à l’instant même : Bénissons. C’est bien ainsi, car c’est le moment où le Christ accomplit son acte essentiel de miséricorde, en nous incorporant à lui dans l’Eucharistie, nous unissant ainsi à travers lui aux Divines Personnes.
LA MÉLODIE
Le calque cette fois est bon. Il a été fait sur la Communion Féci judícium de la Messe Me expectavérunt, seconde du Commun d’une Vierge Martyre. Les phrases sont les mêmes que dans l’original et l’ensemble rend vraiment bien le texte. Le IVe mode l’enveloppe de ses rythmes paisibles et d’une atmosphère de recueillement et de contemplation qui convient tout à fait à un chant d’action de grâces eucharistiques.
Notez la cadence de Benedícimus sur mi, si délicate, le motif de Déum caéli, commun, c’est vrai, mais qui finit si bien cette première phrase, enfin la progression sur córam ómnibus par l’attaque directe sur la dominante et la remontée sur éi à la fin de la seconde phrase.
La troisième phrase – sans doute originale – avec le bel élan de vobíscum et le long développement de misericórdiam conclut noblement et dans une teinte vraiment mystique ce chant tout intérieur.
On pourra allonger la première note du podatus de di dans l’intonation. Tout le reste de la première phrase sera chanté très simplement sans effort, d’un seul mouvement très lié.
Dans la seconde phrase, la première note de tous les podatus de ómnibus vivéntibus gagnera à être bien posée. Liez bien les neumes de confitébimur.
Faites très expressif de votre reconnaissance le motif de quía répété sur fécit et liez-y de près, en l’élargissant quelque peu, nobíscum.
Epître, évangile et préface chantés de cette messe, voir ici