Commentaires des pièces de cette messe par Dom Baron.
LEÇONS DES MATINES : Nathan reproche à David son péché (II Rois XII)
Épître : Nous sommes ensevelis dans le Baptême pour mourir, afin que, comme le Christ ressuscité, nous marchions dans une vie nouvelle. (Rom. VI. 3, 11)
ÉVANGILE : Multiplication des pains (Marc VIII. 1, 9)
IDÉE centrale : Il semble que ce soit l’idée de notre incorporation au Christ qui se dégage de l’ensemble des textes.
La collecte nous fait demander en premier lieu que Dieu insère en nous – notez le mot insérer – l’amour de son nom ; c’est-à-dire sa puissance d’aimer qui est l’Esprit du Christ. Caritas Dei diffusa est in cordibus vestris per Spiritum Sanctum ; puis qu’il augmente en nous la religion : la vertu qui nous unit à Dieu à travers le Christ ; alors, en retour, Dieu, par sa grâce, nourrira et conservera en nous ce qui est bon. En quelques mots, c’est toute notre transformation dans le Christ que l’Église sollicite là pour nous.
C’est cette transformation que St Paul nous présente dans l’Épître. Elle s’opère par le Baptême, mais comme en deux stades. Le premier, nous appliquant les mérites de la mort du Christ, ensevelit avec lui dans sa mort le principe de notre vie de péché. Le second insère en nous sa vie de ressuscité : cette puissance qui lui fait connaître le Père, l’aimer et trouver en lui sa Béatitude.
Ce deuxième stade est l’effet propre de l’Eucharistie dont la grâce nous est appliquée à l’avance lorsque nous recevons le Baptême. L’Évangile nous remet en mémoire la première annonce qui fut faite de ce sacrement de vie. Le Christ nous donne la pain qui nourrit précisément l’union établie entre lui et nous qui doit croître jusqu’à l’éternité où elle s’épanouira en plénitude et à jamais.
INTROIT
LE TEXTE
Le Seigneur est la force de son peuple et le protecteur qui sauve son Christ. Sauve ton peuple, Seigneur, et bénis ton héritage. Et gouverne les tiens jusqu’au siècle sans fin. Ps. – Vers toi, Seigneur, je pousserai mon cri. Mon Dieu, ne sois pas silencieux à mon égard. De peur, que si tu ne me parles pas, je sois assimilé à ceux qui descendent vers le lac. Ps. XXVII. 8, 9, 1.
L’ordre de ces trois versets est ici interverti. Le Psaume XXVII en effet est d’abord une prière personnelle : « Je crierai vers toi Seigneur »… Ce n’est que dans la dernière strophe que le Psalmiste se met à prier pour le peuple et pour le Roi : Christus, le consacré du Seigneur et son représentant. Dans cette prière pour tous – qui forme ici le corps de l’Introït – il y a deux idées. D’abord un acte de confiance en la puissance protectrice de Dieu : « Le Seigneur est la force de son peuple… », puis la supplication proprement dite ; « Sauve ton peuple, bénis-le, guide-le… »
Il n’y a rien à ajouter à leur sens littéral pour faire entrer ces versets dans la liturgie de ce Dimanche ; il faut seulement les adapter au « jeu ». C’est l’Église qui prie. Elle fait d’abord confiance à Dieu qui est sa force et qui la protège, car Christi sui doit être entendu du Christ et de tous ses membres. Après cette affirmation de sa foi, elle demande d’être sauvée, bénie, guidée par Dieu qui est à la fois son Seigneur et son Père.
L’objet de la prière est d’ordre général mais il reste loisible, et c’est facile, de le préciser en le faisant rejoindre l’idée centrale de la messe. C’est alors une plus parfaite incorporation au Christ que l’Église demande pour ses membres. Être sauvé dans le Christ, béni dans le Christ, guidé à travers le Christ, vers le Père, ce n’est pas autre chose, en effet, que d’être en lui et un avec lui.
Le Psaume, avec son caractère de prière personnelle, rentre ici dans la prière collective avec le même objet.
LA MÉLODIE
La première phrase est assurée, ferme comme une proclamation. Bien posée dès le début sur le salicus de Dominus, la mélodie monte sans exaltation, mais animée d’une joie antérieure qui la fait s’épanouir en un très bel accent de sécurité forte et de fierté heureuse sur la double note de plebis tuae. Dans l’incise qui suit, la joie s’y mêle, une joie paisible qui domine peu à peu dans les neumes à grands intervalles jusqu’à ce que vienne Christi sui, le nom béni du consacré ; alors, une vénération aimante enveloppe les neumes qui, par degrés conjoints, et retenus par le quilismas et la cadence descendent vers le grave, prostrant l’âme en adoration.
La deuxième phrase est toute prière. Du la grave, où l’avait conduite l’humble respect pour le Christ, la mélodie remonte dans un élan modéré mais fervent vers le pressus du fac, puis redescend, pour s’élever à nouveau, plus pressante cette fois, sur tu et sur Domine qu’elle établit sur la dominante en leur donnant un accent qui insiste, mais dans une sérénité accrue.
C’est cette paix heureuse que donne l’assurance d’être entendu favorablement, qui caractérise la dernière phrase. Il n’y a presque plus de pression ; l’Église sait qu’elle a pour elle les promesses du Christ, elle ne fait plus, semble-t-il, que les rappeler au Père. Notez benedic hereditati qui s’impose presque, avec tout juste une nuance délicate qui sourit plus qu’elle ne demande, et rege eos avec l’accent léger, joyeux de rege et la tristropha qui enveloppe de douceur eos – les siens -, et pour finir la belle cadence de usque in finem qui évoque, en l’élargissant, le genui te si aimable de l’Introït de la Messe de minuit. Aussi bien, tous les mots qui désignent le Corps Mystique, sont enveloppés de tendresse et de force : plebis suae christi sui, populum tuum hereditati tuae, eos.
GRADUEL
LE TEXTE
Retourne-toi (vers nous) Seigneur. Jusques à quand? (seras-tu irrité ?) Et sois propice à tes serviteurs. Verset. – Seigneur, un refuge tu t’es fait pour nous, de génération en génération. Ps. LXXXIX. 13, 1
Le Psalmiste dans le Psaume LXXXIX, après avoir demandé au Seigneur de ne pas rester détourné de son peuple, lui pose une question, qui est en même temps une plainte et une prière délicate : « jusques à quand resteras-tu fâché ? » Puis il insiste à nouveau pour qu’il le protège, comme il l’a fait, de génération en génération.
Il n’y a rien à ajouter ici à ce sens littéral.
Ce Graduel est chanté une première fois le samedi des Quatre-Temps de Carême après la troisième leçon. Il est vraiment à sa place au début de cette période de pénitence. Ici de même, après l’Épître. Saint Paul nous dit que, par le Baptême, nous avons été plongés dans la mort du Christ. Nous y restons plongés et, chacun le sait, ce n’est que très lentement que cette mort tue en nous les concupiscences mauvaises, parce que, à chaque instant, nous retournons, sérieusement ou à la légère, à la vie de péché. Sortir ainsi du Baptême, c’est sortir du Christ, ou s’en éloigner, ou, tout au moins, se soustraire à son influence. Nous faisons ainsi Dieu se détourner plus ou moins de nous.. malgré lui. C’est le pardon de ces infidélités à notre Baptême que nous demandons au Seigneur. Qu’il se retourne une fois de plus et, sa grâce aidant, nous nous replongerons dans sa mort continuant de mourir en lui, pour vivre avec lui, à jamais.
LA MÉLODIE
Dès l’intonation, elle est très priante, avec la double note – une bivirga épisématique – qui conduit la voix en progression vers la suivante, retenue, elle, par le quilisma. Il y a là une insistance, à la fois humble et pressante. La belle formule de Domine, que nous avons déjà trouvée dans le graduel Propitius esto, dimanche dernier, vient s’y joindre et continuer délicatement la pression. La mélodie, nettement établie en la, s’élève alors, ardente, sur aliquantulum. C’est un très beau motif, que la double note du début et la grande montée de la cadence font fort et suppliant. Il rend fort bien le ton direct de cette question qui est à la fois une prière et une plainte.
La mélodie se détend ensuite sur deprecare, non sans un retour à la dominante, très heureux d’ailleurs car il met sur le mot un bel accent de prière. Mais c’est peut-être sur la distropha et la répercussion de la cadence finale que la supplication est la plus émouvante.
La formule de Domine est celle de Pro patribus dans le Graduel Constitues eos. Nous l’avons déjà trouvée dans le Graduel Benedictus es du Dimanche de la Sainte Trinité. Elle formait là une très belle louange. L’auteur, ici, en supprimant la montée de fa à do et en attaquant directement sur la dominante, en a fait une admirable prière. Le contact immédiat avec le si par le do et le la lui donne en effet une nuance de mineur qui, pour être fugitive, ne lui donne pas moins quelque chose de plaintif qui la fait délicatement suppliante, jusqu’à ce qu’elle retrouve la fa et sa sérénité ; sérénité fugitive, elle aussi, car la supplication monte à nouveau et devient, sur les doubles notes de refugium, d’une ardeur qui touche à la véhémence, ardeur qui se renouvelle d’ailleurs sur factus est et non moins forte. Un beau dégradé ramène alors la mélodie à la tonique où elle devient, sur le récitatif de generatione et progenie, apaisée et toute humble. Le chœur reprend pour finir la formule finale, si expressive, de la première partie.
ALLELUIA
LE TEXTE
En toi, Seigneur, j’ai espéré, je ne serai pas confondu à jamais. Dans ta justice, libère-moi. Incline ton oreille, hâte-toi de me délivrer. Ps. XXX. 2, 3.
Ces deux versets très simples ont le même sens que ceux du Graduel et nous font demander en fait la même chose : que nous soyons délivrés de tout ce qui empêche la mort du Christ, mise en nous par le baptême, de produire son effet.
LA MELODIE
Elle s’élève sur Domine en un mouvement très simple qui, après s’être incliné une nuance de vénération aimante sur la dernière syllabe, se redresse et va s’épanouir sur la tristropha de speravi. Il y met un accent qui affirme la confiance inébranlable de l’âme et qui demande déjà ce qu’elle ne dit pas encore, puis il s’achève en une cadence admirable, toute nuancée d’intime tendresse. De cette cadence, la mélodie s’élève à nouveau, assurée, forte, insistant sur non confundar ; notez la demi-cadence si ferme sur sol et tout le mot æternam qui va vers la cadence du IVe mode, prolongeant la confiance en une sorte d’évocation de l’Éternelle Bonté de notre Dieu qui sera à jamais sur nous parce qu’il nous l’a promise.
Avec la seconde phrase, commence la prière proprement dite. La première demande est très courte. La mélodie s’élève progressivement sur in justitia dont elle renforce l’accent par une distropha, mais la supplication est toute sur les quatre dernières notes de libera me ; une pour chaque syllabe. Il y a dans la nudité de cette cadence quelque chose d’émouvant. Elle est très humble, et en même temps on y sent comme la fatigue de l’âme et le poids de tout ce qui l’alourdit et la retient à la terre de concupiscence.
La troisième phrase reprend la première. C’est une prière, au lieu d’un acte de confiance, mais il n’y a entre les deux qu’une nuance, nous l’avons dit. Il faut seulement noter le mot accelera qui, par sa cadence, prend un beau caractère de pression délicate. La formule finale est très priante, comme l’est l’Alleluia qu’elle reproduit.
OFFERTOIRE
C’est celui du Dimanche de la Sexagésime.
Nous disions alors qu’il entrait dans la liturgie de ce jour soit comme paraphrase de l’Évangile, soit comme un chant d’oblation accompagnant la cérémonie de l’offrande.
Ici, il est les deux à la fois, car l’Évangile de la multiplication des pains est l’annonce de l’Eucharistie. Notre-Seigneur avait nourri par miséricorde les quatre mille Juifs qui le suivaient ; enthousiasmés ils continuèrent de le suivre jusqu’à ce qu’il leur expliquât quelques jours plus tard que ce miracle était l’annonce d’un autre pain qui serait son corps et qui donnerait la vie éternelle ; alors, ne comprenant rien à la spiritualité de ce langage, ils le quittèrent.
Il n’y a pas que des douceurs dans l’Eucharistie. C’est un sacrement qui engage. Il faut se donner au Christ pour qu’il nous incorpore à lui, et cela aussi est dur à la nature. Il faut l’aide du Seigneur pour y arriver. En donnant à cet offertoire le sens précis d’une prière pour que l’union réalisée avec le Christ ne se brise pas, on le fait entrer, sans forcer les mots, dans l’idée de l’Évangile, du sacrifice et de toute la messe.
COMMUNION
LE TEXTE
J’entourerai (l’autel) et j’immolerai dans son tabernacle une hostie de joie. Je chanterai, et un psaume je dirai au Seigneur. Ps. XXVI. 6
Ces mots expriment l’ardente reconnaissance de l’âme. Elle a demandé au Seigneur depuis le début de la messe de l’aider à se débarrasser des obstacles qui s’opposent à son union ave lui ; à ce moment, ils sont écartés, l’union est réalisée par le sacrement. Elle est heureuse. Elle a l’Amour. Le lien est plus serré entre Dieu et elle, elle est nourrie, elle est gardée… Elle chante sa gratitude.
LA MELODIE
Dès le premier mot, les intervalles larges et pleins traduisent le bonheur de l’âme ; un bonheur profond, mais si ardent qu’il a de la peine à demeurer dans l’intimité. La mélodie en effet se dégage, s’allège tout de suite sur immolabo. Elle s’étend un instant sur tabernaculo ejus parce que la sainteté des mots la retient, mais elle monte toujours, poussée par un souffle de joie de plus en plus intense qui la fait se développer, en une progression admirable d’enthousiasme, vers hostiam ; le mot qui dit tout, car la victime qu’elle immolera sans cesse dans la joie, c’est elle.
La seconde phrase, elle, est plus grave. Il ne s’agit plus du sacrifice, mais de la louange, qui doit être intérieure aussi bien qu’extérieure et qui requiert toujours, pour être parfaite, l’amour dont elle n’est que l’expression. Toute cette partie, notamment le mot dicam, est pénétrée de cette discrétion, de cette intimité en laquelle s’épanche sans cesse la gratitude extasiée, de l’âme qui sait aimer.
Epître, évangile et préface chantés de cette messe, voir ici