L'introït Exaudi Domine du 5e dimanche après la Pentecôte par la Schola Bellarmina
Commentaires des pièces de cette messe par Dom Baron.
INTROÏT
LE TEXTE
Versez votre rosée, cieux, d'en haut, et que le nuages pleuvent le Juste. Qu'elle s'ouvre, la terre, Et qu'elle germe le Sauveur.
Ps.- Les cieux disent la gloire de Dieu
Et l'œuvre de ses mains, il la proclame, le firmament. Isaïe, XLV, 8 - Ps. XVIII, 2.
Au chapitre XLV, Isaïe rapporte ce qu'il a entendu le Seigneur dire à Cyrus, qu'il va susciter pour être son christ, sauver le peuple et rebâtir la cité et le temple. A la vision de ce sauveur d'un moment, par delà lequel il voit le Messie et son œuvre éternelle, il est transporté et, interrompant sa prophétie, lance vers le ciel son désir ardent pour que soit bâtie la venue des deux libérateurs. Il le fait sous la forme poétique de la rosée qui fait germer la plante, symbolisant ainsi l'action divine qui fera de Cyrus et du Christ des sauveurs parfaits.
Au sens liturgique, c'est l’Église qui appelle le Messie. Rien n'est à changer dans l'image du prophète, mais il faut lui donner tout son sens divin. La rosée sollicitée du ciel, c'est l'action fécondante du Saint-Esprit ; la terre, c'est Notre-Dame, fleur de la race, qui s'ouvre au sommet de la tige de Jessé et qui, fécondée sous l'ombre mystérieuse de l'Esprit du Très-Haut, va produire son fruit divin ; le Verbe fait chair.
Cette prière admirable et tout à fait à sa place le Mercredi des Quatre-Temps, tout entier consacré à l'Annonciation. Il faut lui garder ici la même interprétation ; d'autant que, par l'Offertoire et la Communion tout au moins, le mystère continue d'être fêté. Et il faut la chanter comme la prière suprême, entendue de Dieu par delà les siècles, et qui a contribué à faire venir plus tôt l'heure du Messie et de Notre-Dame ; mais aussi, comme la supplication qui va mériter aux âmes de recevoir le Verbe fait chair quand il va revenir et de se livrer à l'influence de son Esprit comme la terre à la rosée, lui donnant ainsi ce qu'il attend d'elles pour réaliser la plénitude de son Incarnation.
Le Psaume, lui, n'est pas une prière ; il est la constatation joyeuse des merveilles de Dieu qui se réalisent dans le mystère.
LA MÉLODIE
Une prière ardente de deux phrases qui s'opposent ici, encore, suivant le texte, comme le ciel et la terre.
La première est un admirable mouvement de l'âme portant on désir, comme dans le graduel. Qui sédes, aussi haut que possible, jusqu'aux nuées fécondes d'où va venir la céleste rosée, puis redescendant douce et paisible comme descendra le Juste qu'elle chante. La supplication est ardente sur le pressus de caeli, les quilismas de désuper, le pressus de pluant, mais il n'y a pas d'inquiétude, de doute, d'angoisse ; au contraire, une grande sérénité et une joie discrète se mêlent partout à la prière dans la tonalité claire du mode de fa ; la joie de l'Eglise qui sait, car elle en jouit déjà, tout le bonheur qu'il y a pour elle dans cette pluie fécondante qu'elle sollicite.
La seconde a moins d'élan. C'est la terre que l'Eglise regarde et encore qu'il s'agisse de Notre-Dame, ce chef-d'œuvre de grâce qui va produire la nature humaine du Christ, n'est-elle pas tout en bas par comparaison avec l'infinie perfection du verbe qui va y descendre ? Et puis, c'est le mystère dont la profondeur ne saurait se chanter ; Aussi, après l'ardeur de la supplication sur aperiatur, la mélodie revient-elle au mode de ré, et en des neumes qui s'effacent de plus en plus, elle s'éteint, gracieusement d'ailleurs, sur Salvatorem, le mot du désir.
La deuxième note de ra dans Rorate doit être élargie. Le crescendo de la première incise sera ardent mais sans éclat ; c'est une prière. Bien accentuer nubes et aller sur le pressus de pluant en progression.
Veiller à ce que tur dans aperiatur ait bien sa valeur et qu'on ait le temps d'articuler. Térra sera légèrement retenu ainsi que les quatre dernières notes de gérminet.
Le Psaume sera chanté dans un bon mouvement et pénétré déjà de la joie du « Gloria in excelsis » qu'il prophétise.
GRADUEL
LE TEXTE
Il est proche, le Seigneur,
De tous ceux qui l'invoquent,
De tous ceux qui l'invoquent dans la vérité.
Verset. - La louange du Seigneur,
Elle la chantera, ma bouche,
Et que toute chair bénisse le Seigneur. Ps. CXLIV, 18, 21.
Dans la première partie, le psalmiste exprime une idée très simple ; à savoir que le Seigneur est tout disposé à écouter ceux qui le prient. Toutefois, il a précisé d'un mot : ceux qui le prient dans la vérité ; c'est-à-dire qui lui demandent, en toute sincérité, des chose vraies ; entendons : ceux qui sont conformes à sa volonté, car la vérité, c'est, en même temps, ce que Dieu pense et ce que Dieu veut.
Le Verset, lui, est un hommage de reconnaissance de l'âme qui promet à Dieu une louange sans fin en retour de la bienveillance qu'il lui témoigne.
Au sens liturgique, peut-être serait-on porté à s'appuyer sur les premiers mots Prope est Dominus pour faire entrer ce texte dans le cadre de l'Avent. Ce ne serait pas absolument exact car c'est en tout temps que le Seigneur exauce ceux qui savent le prier. Il ne faut pas non plus le rattacher à l'Epître qui vient d'être lue, mais à l'Epître du mercredi précédent pour laquelle il a été choisi. Dans cette Epître, on nous ait entendre l'histoire d'Achaz qui, par manque de confiance, refusa de demander un prodige au Seigneur et qui reçut, en réplique, d'Isaïe la fameuse prophétie qui annonçait le prodige des prodiges : « Le Seigneur vous donnera lui-même un signe : Voilà qu'une Vierge concevra et enfantera un Fils et son nom sera Emmanuel ». A la fin de ce récit, ces deux versets viennent sur es lèvres de l'Eglise comme une sorte de réflexion. Repliée sur elle-même et gardant bien présent à l'esprit tout ce qu'elle vient d'entendre, elle se dit : Achaz a eu tort...Le Seigneur est tout près de ceux qui l'invoquent et bientôt il sera plus près d‘eux encore ; car le prophète a dit que Celui qui doit venir aura nom Emmanuel, ce qui veut dire : Dieu est avec nous.
Cette annonce précise de l'Incarnation amène alors la grande louange du Verset. Laudem Domini...
LA MÉLODIE
(V) Prope est Dominus omnibus invocantibus éum omnibus qui invoquant éum in verita te.
Elle est composée de trois formules : celle de Prope est Dominus et les deux de éum. Ces formules sont reliées entre elles par les motifs presque syllabiques de omnibus invocantibus et de omnibus qui invoquant. Un seul mot est original, in veritate, encore s'achève-t-il en une formule finale commune.
Le fait qu'elle est à ce point centonisée n'empêche pas qu'elle soit très expressive. L'auteur s'est servi de formules toutes faites mais il les a choisies pour le texte et les a disposées de telle sorte qu'elles puissent en exprimer au mieux le contenu. Notez qu'elles sont placées sur les mots importants : Dominus, le nom divin, et éum qui le représente ; et que, par le contraste que font leurs neumes avec les motifs syllabiques qui les entourent, elles les mettent en particulier relief. Aussi bien est-ce le mot de l'Epître : Pete signum a Domino, dit Isaïe. Non tentabo Dominum, répond Achaz. Propter hoc dabit Dominus ipse vobis signum, réplique le prophète.
L'intonation est grave. (Cette formule n'est employée que sur le mot Dominus ; de sorte qu'elle est moins une formule centon qu'un motif réservé uniquement au nom du Seigneur, comme plusieurs autres.) Mais ce serait une erreur d'y voir la moindre tristesse. Au contraire, on y discerne déjà en une nuance discrète la joie qui se dégage du texte et qui caractérise tout le Graduel. Toute pénétrée de respect, elle se retient, s'efface, sur le nom divin, mais, sitôt après, elle se laisse aller, se développe sur omnibus invocantibus et va s'épanouir sur éum en un bel élan qui se détend dans la plénitude de la cadence en fa. Elle passe dans la seconde phrase, s'élève avec grâce sur omnibus, puis redescend dans le grave où elle se revêt à nouveau sur éum d'une certaine révérence qu'elle garde jusqu'à la fin.
Le Verset. - Laudem Domini loquétur os méum Et benedicat omnis caro nomen sanctum éjus.
La joie est ici enthousiaste. Lancée avec une ferme assurance sur la distropha de Laudem, elle se développe en une sorte de contemplation sur Domini : légère, souple, heureuse. Une nuance de tendresse plus marquée passe avec le si b, puis l'exaltation, grandissant à nouveau, va vers loquétur os méum où elle atteint toute sa puissance d'expression sur les mots mêmes qui disent la joie de pouvoir chanter à jamais.
L'enthousiasme est le même dans la seconde phrase. Sitôt qu'elle a été ramenée à la dominante, la mélodie s'élance à l'extrême limite du mode, enveloppant de toute sa puissance l'ardent souhait de l'Eglise. Elle s'y arrête d'ailleurs ensuite en un gracieux mouvement descendant, puis, pour finir, se pénètre à nouveau de tendre respect sur nomen sanctum éjus.
Comme on le voit, ce verset a un caractère de joie éclatante qui ne s'est pas encore rencontré au cours de l'Avent. L'auteur a-t-il voulu donner là comme une première annonce de la joie de Noël et en pénétrer déjà l'âme des fidèles ? On a d'autant plus de raisons de le croire que les formules 53 et 54 sont particulières à la période de la Nativité. On les trouve ailleurs, mais elles sont si fréquemment répétées au temps de Noël qu'elles contribuent, sans aucun doute, pour leur part, à créer l'atmosphère musicale. El semble que ce soit comme le début d'un crescendo de joie qui, parant du Mercredi des Quatre-Temps, jour consacré à l'Annonciation, jour de l'Incarnation, atteint toute sa puissance aux jours de Noël et de l'Epiphanie.
Ne pas chanter l'intonation avec des effet de basse, mais avec la simplicité et la douceur qui conviennent à une contemplation paisible. Le crescendo est le premier éum sera discret et mené dès le début de l'incise ; C'est une formule assez délicate mais très expressive. Il y a sur le do une distropha, puis al première note de la clivis ou du climacus ; les distrophas seront posées doucement et la voix, renforcée, ira vers la note qui suit pour la répercuter, délicatement. Il s'en suivra une onction pénétrée de ferveur qui servira admirablement le pronom éjus qui tient la place de Dominus.
Retenir quelque peu veritate ; la tristropha, douce. Bien distinguer dans la vocalise qui suit, sur le la, les deux distrophas, du pressus ; lles reçoivent doucement le posé de la voix ; de même celle qui se trouve sur le do dans la dernière incise.
C'est une bivirga qu'il y a sur Laudem au début du Verset ; qu'elle soit appuyée, forte et bien lancée. Sur Domini, deux distrophas et répercussion sur la première note de la clivis ; même interprétation que plus haut. Une bivirga avant les deux climacus qui finissent la première phrase ; bien accuser la première note du second.
La tristropha de os, légère. Bien pendre grade à donner toute leur valeur aux trois notes qui précèdent les notes doubles de méum ; les retenir légèrement évitera le danger d'en faire un triolet. Poser nettement l'épisème vertical de omnis, allonger même un peu la note. (Dans plusieurs cas, la 2ème note est un quilisma.) Un gracieux ralenti sur sanctum, qui se poursuivra sur éjus jusqu'à la fin.
ALLELUIA
LE TEXTE
Viens, Seigneur et ne tarde pas.
Pardonne les péchés de ton peuple.
Cette phrase ne se trouve pas dans l'Ecriture. L'idée en est très simple et s'applique sans difficulté à l'un ou à l'autre des sens de l'Avent. C'est une prière dont l'objet est nettement déterminé : la prière de tout le peuple de Dieu, de toute l'Eglise, suppliant le Christ de venir sauver le monde.
LA MÉLODIE
On la rencontre deux autres fois au cours de l'année : le XXe Dimanche après la Pentecôte (Alleluia Paratum cor méum) et à la messe Loquebar d'une Vierge Martyre (Alleluia Adducentur).
Elle commence dans le grave et se meut lentement dans toute la première phrase, comme la prière très humble du pécheur qui n'ose pas lever les yeux, accablé qu'il est sous ses fautes. Ce n'est que dans la seconde incise qu'elle prend un peu d'ardeur, il y a sur et noli tardare un très bel accent de pressante supplication.
Dans la seconde phrase, la prière est plus aisée sur relaxa. La longue vocalise de facinora est, en elle-même, assez indifférente, mais elle prend, avec les mots, un caractère de prière fort bien adapté. Il y a, dans la répétition du motif initial, une progression qui fait la supplication de plus en plus forte. La première fois, elle monte par trois degrés au si b ; la seconde fois, par un seul mouvement de quarte, elle atteint le do qu'elle marque d'un pressus ; la troisième, elle s'y pose sans préparation et y demeure trois temps. Il y a là une vigueur accrue du plus heureux effet. La mélodie redescend ensuite dans le grave et finit sur une formule propre à certains graduels du Ier mode, elle aussi très priante et très humble, avec une touche assez marquée de crainte révérentielle.
L'Alleluia, lui, est du IIIe mode, mais l'unité demeure parfaite et l'expression y trouve son bien. L'Alleluia ayant en lui-même un caractère de louange que le contraste rend plus marqué encore.
Prendre garde de faire trop longue la double note initiale de l'Alleluia, lequel doit avoir un certain mouvement. Bien balancer le rythme de l'arsis ; la vocalise légère.
Veni Domine tranquille et discret. Crescendo sur noli ; tardare sans éclat. Noter que, dans les thésis de la seconde phrase, toutes les notes doubles sont des distrophas, légères donc ; de même les deux qui précèdent la clivis sur le do, à la dernière reprise du motif. Par contre plé dans plébis est une bivirga. Lier avec soin les grands intervalles de l'avant-dernière incise.
OFFERTOIRE
LE TEXTE
Salut, Marie, de grâce remplie,
Le Seigneur (est) avec toi.
Bénie (es-)tu entre les femmes,
Et béni le fruit de ton sein.
C'est la salutation de l'Ange Gabriel à Notre-Dame et celle d'Elisabeth combinées en un seul texte, lequel forme la première partie de la Salutation angélique. Il n'y manque que le dernier mot, Jésus, qui d'ailleurs ne fut pas dit par Elisabeth.
Au sens liturgique toutefois, ce n'est ni l'Archange ni Elisabeth qui saluent Notre-Dame ; la combinaison des deux salutations en un seul texte s'y oppose. C'est toute l'Eglise qui, au moment où est commémorée la Conception de Notre Seigneur, fait monter sa louange vers celle que Dieu a choisie pour sa mère. Elle a entendu, au cours de la semaine écoulée, le mercredi, le récit de l'Annonciation, le vendredi, celui de la Visitation ; elle recueille, sur les lèvres de l'Archange et d'Elisabeth, les paroles inspirées pour les redire à Notre-Dame, comme l'hommage le plus parfait qu'elle puisse rendre à sa sainteté incomparable et à sa maternité divine.
Bien noter que c'est une salutation. Ceci implique que les chanteurs soient en communication directe avec Notre-Dame : qu'ils chantent pour elle et qu'ils aient conscience que du haut du ciel, elle les écoute et reçoit leur hommage dans la joie de son cœur maternel.
LA MÉLODIE
Quatre phrases (Ave Maria gratia plena ne forme qu'une seule phrase. La grande barre qui suit Maria doit être considérée comme une demi-barre). Les trois premières, en progression l'une sur l'autre, conduisent l'idée jusqu'à Benedicta tu, point culminant de la louange. La quatrième redescend vers le grave où elle s'achève dans la contemplation du mystère.
Il n'y a pas d'éclat dans l'Ave de l'intonation ; c'est un salut gracieux enveloppé de vénération profonde et tendre. Tout le long de la première phrase, l'âme se complaît dans cette attitude d'humble hommage ; elle s'anime seulement, d'un accent de ferveur, sur le nom béni. Un bel élan, habilement préparé, porte la syllabe accentuée de Maria à la dominante où les notes doubles et répercutées mettent un peu plus d'ardeur, d'admiration et d'amour. Mais ce n'est qu'en passant. Elle revient au grave sur gratia pléna et s'y enveloppe plus encore de contemplation ; aussi bien y a-t-l ici quelque chose de plus que la salutation. C'est déjà le mystère, le mystère indicible de l'Immaculée. La phrase s'achève sur pléna par un pressus qui met bien en valeur ce mot de plénitude, qui ne peut se dire que du Christ et de sa Mère.
Dès le début de la seconde phrase, la mélodie, établie sans préparation sur la dominante, prend tout de suite une allure de louange éclatante. C'est une qualité nouvelle que l'Eglise salue en Notre-Dame : son union avec Dieu. La plénitude de la grâce, c'est déjà le Seigneur avec l'âme ; mais, sur les lèvres de l'Archange, le Dominus técum indiquait une modalité spéciale de l'union divine. Le Seigneur est avec Notre-Dame comme il n'est avec personne. C'est de cette union merveilleuse que l'Eglise félicite Marie. La mélodie la sert admirablement. Le s'épanouit sur Dominus en un beau motif plein d'élan, deux fois répété, qui dit l'admiration enthousiaste que provoque l'infinie grandeur de Dieu, tandis que, sur técum, elle se retient comme recueillie, étonnée, confondue d'admiration, devant l'ineffable sainteté de Notre-Dame.
Elle se reprend sur Benedicat tu pour s'élancer cette fois à la limite de son étendue. C'est le troisième mot de a louange. Il est la conséquence des deux autres. C'est parce qu'elle est pleine de grâce et que le Seigneur est avec elle que Marie est bénie entre toutes les femmes ; nouvelle Eve, celle que toutes les nations diront Bienheureuse. La mélodie le met au-dessus de tout ; elle dépasse la dominante, monte et plane, à loisir, dans les hauteurs, s'appuyant sur des notes doubles et des pressus qui lui permettent de déployer toute sa puissance et de colorer d'accents de ferveur ce mot de bénédiction. Il s'achève sur le pronom tu en une belle cadence pleine et large qui va tout droit à Notre-Dame avec une nuance délicate de tendresse. La seconde incise ramène à la dominante le mot muliéribus. L'admiration s'y prolonge, toujours fervente ; notez le pressus et le torculus avec son mouvement hardi de quarte retombant sur la bivirga de la syllabe accentuée. D'une façon assez inattendue, la phrase s'achève par une cadence en demi-ton sur si qui laisse la mélodie en suspens, comme si l'Eglise, évoquant en une sorte de contemplation toutes les femmes de la race, les voyait se perdre en une perspective infinie, tendues en un geste de bénédiction vers Notre-Dame qui, de très haut, enveloppée dans la gloire du Verbe Incarné, les domine toutes de l'éclat de sa maternité.
La quatrième phrase est, de toutes, la plus profonde. Ici, c'est le mystère ; le mystère du Verbe fait chair dans le sein de Notre-Dame. La mélodie abandonne les hauteurs, descend par degrés, sur benedictus qu'elle souligne seulement d'un pressus, descend encore sur fructus, puis demeure dans le grave, presque sans se mouvoir. Un motif deux fois répété de quelques notes qui montent et descendent par degrés conjoints sur véntris, un dernier pressus sur tui comme pour faire rejaillir la gloire du Fils sur la Mère - car c'est pour le Fils qu'est toute la louange dans cette dernière phrase - et c'est tout. L'ineffable ne saurait s'exprimer.
Il faut chanter avec beaucoup de souplesse. On y veillera particulièrement dans l'intonation. Le climacus qui s'achève sur la première note pointée sera légèrement retenu pour donner à cette demi-cadence sur mi toute sa valeur d'admiration gracieuse et tendre.
Chanter Maria avec beaucoup de ferveur. Les deux premières notes de ri bien appuyées, assez fortes, avec l'élan de l'accentuation : ce sont deux virgas ; les deux autres sont des distrophas ; la répercussion en sera délicate et il y aura un crescendo jusqu'à la répercussion, très délicate aussi, de la virga. La cadence sur sol très peu ralentie, de façon à rattacher Maria à gratia pléna. Une pause.
Discret a tempo au départ de Dominus dont les thésis seront légères, comme le sera la tristropha de técum, qu'on renforcera toutefois pour la lier au climacus. Sur ne dans Benedicta, une bivirga, bien l'appuyer et mener le crescendo e un bel enthousiasme vers le pressus. Conduire avec mesure l'admirable descente de benedictus fructus, sans que la voix perde brusquement de sa sonorité. Véntris tui très lien avec le salicus bien doux.
COMMUNION
LE TEXTE
Voici qu'une Vierge concevra
Et enfantera un Fils,
Et il sera appelé de son nom Emmanuel. Isaïe, VII, 14.
Cette parole fut dite comme une prophétie par Isaïe à Achaz. « Le Seigneur vous donnera lui-même un signe : voici qu'une vierge enfantera... » Le signe promis arrivera le jour de l'Annonciation. C'est le mot même du prophète en effet que l'Archange dit à Notre-Dame : « Voici que vous concevrez et enfanterez un Fils et vous lui donnerez le nom de Jésus ».
Ce texte est tout à fait à sa place le jour où est commémorée l'Annonciation. Toutefois il ne semble pas qu'il doive être chanté ici comme une prophétie ; c'est l'Eglise qui après avoir entendu la parole du Prophète à l'Epître, et celle de l'Ange à l'Evangile, y revient, au moment de la communion. Contemplant dans la lumière de la grâce sacramentelle, l'Incarnation qui se prolonge par l'Eucharistie dans tout le Corps Mystique, elle chante la joie de l'Emmanuel, du Dieu avec nous, en même temps que le mystère de Noël dans lequel à nouveau va s'accomplir mystiquement la parole divine.
LA MÉLODIE
Une joie émerveillée ; on en caractériserait bien ainsi, en deux mots l'expression. Elle est très discrète dans sa première incise, avec quelque chose de recueilli, de contemplatif, répandu sur toute la thésis de concipiet. Dans une sorte de jouissance profonde, l'âme admire le mystère de la Vierge Mère.
Et voilà qu'elle s'anime et que son admiration prend de l'ampleur. Un souffle puissant passe, qui emporte les mots dans l'enthousiasme, Filium après pariet, comme si l'âme, de plus en plus éclairée, réalisait ce qu'est le mystère de la maternité divine.
Mais, à peine a-t-elle saisi cette seconde merveille, qu'une troisième s'offre à elle : le mystère de Dieu avec nous cette fois, et vocabitur Emmanuel... Elle n'a pas le temps de s'arrêter si peu que ce soit ; de la première phrase, le souffle d'allégresse passe dans la seconde, l'entraînant dans la progression jusqu'à la distropha de vocabitur. Là quelque chose change. Le mystère s'étend. Il s'étend jusqu'à l'âme. Elle sent qu'elle y entre, en ce moment de la communion. Elle se recueille, se refermant sur les merveilles qui s'opèrent en elle. La mélodie la suit dans sa contemplation. Elle n'a plus le souci des notes éclatantes, ni des mouvements à grand espace ; elle se retient. Notez les clivis allongées de vocabitur, elle descend peu à peu vers le grave, jusqu'à ce qu'elle arrive à Emmanuel, le mot du mystère. Elle s'y complaît, en une formule qui, comme celle du véntris tui de l'Offertoire, se contente de quelques notes conjointes qui descendent et montent mais où passe toute la tendresse de l'âme pour l'Hôte divin qui est avec elle.
L'intonation paisible ; de même concipiet dont les podatus seront bien posés. Ceux de pariet aussi, tout le sommet en sera élargi. Le lier étroitement à Filium qui sera à peine retenu afin que l'enthousiasme aille croissant sur et vocabitur. C'est une bivirga qu'il y a sur vo. Retenir quelque peu tur. Beaucoup de grâce et de ferveur sur Emmanuel, qui sera très ralenti.
- Polyphonies pour l'Avent
- L'hymne Creator alme siderum en alternance grégorien/polyphonie
- L'hymne Creator alme siderum en grégorien
- Les cantiques de l'Avent (CD)
- Les cantiques de l'Avent (Partitions)
Epître, évangile et préface chantés de cette messe, voir ici
Commentaires des pièces de cette messe par Dom Baron.
LEÇONS DES MATINES : David pleure Saül et Jonathas (II Rois. 1)
ÉPITRE : Conseils de Saint Pierre sur la charité. (I Pierre III. 8)
ÉVANGILE : Notre-Seigneur demande que la justice et la charité ne soient pas seulement extérieures (Math. V. 18)
IDÉE CENTRALE : Il semble qu’on peut faire de la pratique de la charité et spécialement de la charité fraternelle l’idée centrale de ce dimanche.
David nous en offre un émouvant exemple en pleurant Saül, qui le jalousait à mort, aussi bien que Jonathas qu’il aimait comme un frère. La collecte nous fait demander dans une admirable formule ce qui en est le principe : le sentiment de l’amour de Dieu « afin que nous l’aimions en tout être et plus que tout être, in omnibus et super omnia« .
Dans l’Épître, Saint Pierre nous en enseigne la pratique et Notre-Seigneur lui-même, dans l’Évangile, nous recommande avec instance d’avoir une justice imprégnée d’une charité qui soit douce et qui mette la réconciliation avant le sacrifice, car on ne saurait aimer Dieu sans aimer le prochain.
INTROÏT
LE TEXTE
Écoute, Seigneur, ma voix qui crie vers toi. Sois mon aide ; ne m’abandonne pas et ne me délaisse pas, Dieu, mon salut.
Ps. – Le Seigneur est ma lumière et mon salut, qui craindrai-je ? Ps. XXVI. 7, 9, 1.
C’est encore le Psaume XXI, comme dimanche dernier, mais on a choisi, cette fois, pour l’antienne, les versets qui expriment la confiance suppliante, et réservé pour le psaume, ceux qui chantent la confiance enthousiaste.
Ainsi composé, cet Introït se présente comme la prière d’une âme qui a besoin de Dieu, qui ne sent pas assez sa présence aimante et qui a peur d’être délaissée. Ce n’est pas que la confiance lui manque absolument mais elle ne monte pas.
L’objet de sa prière n’est pas précisé, mais rien ne s’oppose à ce que ce soit la charité précisément. L’âme peut demander que le Seigneur lui donne de sentir son amour dans l’intimité, comme le fera le prêtre dans la collecte. Elle peut demander le secours du Seigneur pour la pratique de l’amour du prochain qu’elle trouve parfois si difficile, qui est si délicate et où elle sent que, d’elle-même, elle ne peut rien.
Dans le Psaume, comme si elle était déjà exaucée, l’âme sent sa confiance renouvelée; elle lance, avec une ferme assurance cette fois, le cri enthousiaste de dimanche dernier : « Le Seigneur est ma lumière, qui craindrai-je ? »
LA MÉLODIE
La première phrase est d’une très grande simplicité. Aucun sentiment n’est poussé. L’âme n’est ni accablée, ni angoissée, humble certes, mais rien de plus. Il y a un accent plus marqué sur la première clivis de Domine mais on ne saurait dire si c’est de la supplication ou de l’amour, encore qu’une nuance de plainte monte sur le salicus de meam. Clamavi descend et remonte alourdi par les clivis allongées : la cadence sur fa par le salicus renouvelle la plainte toujours très délicate – si c’en est une – et c’est tout. Aussi bien cette première phrase n’est pas la prière proprement dite, elle est seulement comme une demande de prise en considération ; le cri suppliant qu’elle annonce ne s’élève qu’au début de la seconde.
Il n’est pas véhément ; il monte graduellement du ré au do où il atteint, sur la bivirga épisématique de esto, son maximum d’intensité et d’expression. La mélodie revient ensuite au calme du début. L’âme continue à faire pression mais c’est tout à fait à l’intérieur, dans l’intimité paisible où elle s’entretient avec le Seigneur. On notera particulièrement les podatus de derelinquas, la retombée sur me, et toute l’incise de neque despicias me dont le quilismas, le porrectus et le mouvement très lié et très gracieux sont si caractéristiques de la douce pression que permettent les relations d’amitié. Deus meus est une exclamation. Le porrectus allongé, la cadence sur do, très douce et retenue par la virga pointée et la distropha, la remontée sur le salicus et enfin la cadence mystique du IVe mode l’enveloppent d’une tendresse qui relie admirablement la confiance suppliante du début à la confiance triomphante du Psaume, comme si cette pression aimante avait obtenu la grâce demandée.
GRADUEL
LE TEXTE
Notre Protecteur, regarde, ô Dieu, et jette les yeux sur tes serviteurs.
Verset. – Seigneur, Dieu des vertus, écoute les prières de tes serviteurs. Ps. LXXXIII 1, 10
Dans le Psaume on lit : respice faciem Christi tui : jette les yeux sur la face de ton consacré. Le consacré pour le Psalmiste c’est le Roi d’Israël, chargé de représenter Dieu au milieu de son peuple et de figurer à l’avance le consacré par nature : le Christ. C’était une forme de prière à laquelle Dieu pouvait difficilement résister.
Ici, faciem Christi a été remplacé par servos tuos : tes serviteurs. En un sens, c’est la même chose, car nous sommes tous des consacrés ayant participé, par le Baptême et l’Eucharistie, à l’onction qui fait le Christ prêtre et roi. En invoquant ce titre, à nous non plus Dieu ne peut rien refuser. L’objet de la prière est le même que dans le psaume. L’Église demande que le Seigneur jette sur nous un regard de bienveillance, présage de ses grâces de choix. Ces grâces sont imprécises, mais, tout naturellement, nous sommes portés à demander ce que l’Épître nous invite à pratiquer : la parfaite justice « C’est à cela que vous avez été appelés afin de recevoir en héritage la bénédiction ». Laquelle n’est pas autre chose que le regard de Dieu fixé sur nous en infinie tendresse.
LA MÉLODIE
L’intonation se développe dans le grave. Il faut bien se garder de la faire triste ou sombre ; une nuance de vénération, c’est tout. Notez que la cadence en do est bien majeure et quelle a même quelque chose d’aimable. Sur aspice, la prière monte ; elle est ardente mais ne presse pas, les porrectus et la clivis allongée y mettent je ne sais quoi de mesuré, de retenu. Très réservée de même la reprise sur Deus qui, elle aussi, finit en une cadence toute empreinte de paix heureuse.
Respice, au début de la seconde phrase, avec le sib, le quilismas et la cadence en demi-ton, a un caractère de supplication plus marqué qui se prolonge jusqu’à la fin de la formule finale mais sans atténuer l’atmosphère de sérénité et de paix.
La première phrase du verset ne comprend que Domine Deus virtutum. Est-elle une prière ? Peut-être seulement une contemplation éveillée dans l’âme par le mot Domine. Il est certain que les deux premières incises, jusqu’au second quart de barre – un motif presque exclusivement réservé au Seigneur – n’ont rien de suppliant, elles sont plutôt tout empreintes de joie paisible, quant à la troisième, cette superbe montée que nous avons déjà rencontrée si souvent, elle peut être une ardente prière mais elle demeure enthousiaste. Il semble bien qu’ici, comme en tant d’autres cas, l’âme oublie un instant qu’elle demande pour contempler, admirer, louer le Dieu des vertus à qui elle s’adresse.
Par contre, la deuxième phrase, en plein accord cette fois avec le texte, est une vraie prière. Et très suppliante dès le début ; notez l’élan vers la virga au sommet de exaudi, le pressus, la distropha la répercussion, et surtout la descente de preces par le sib qui ramène, degré par degré, l’humble vénération de la première partie. Il y a une reprise assez vive sur tuorum ; elle relance l’invocation qui trouve alors à se déployer à loisir sur la très belle formule finale, à la fois si suppliante et si paisible.
ALLELUIA
LE TEXTE
Seigneur, dans ta force, il se réjouira le roi, et, dans ton salut, il aura une joie extrême. Ps. XX. 1.
Le Roi est revenu vainqueur ; le peuple s’en réjouit et rend grâce à Dieu. Il s’agit de David. On peut même penser à sa consécration car, dans le verset qui suit, on loue le Seigneur d’avoir posé sur sa tête une couronne d’or. Mais, par delà le Roi d’Israël, il s’agit du Christ qui reviendra victorieux de la mort et qui se réjouira de la force de Dieu qui l’a sauvé. Et dans le Christ il s’agit aussi de l’Église qui le continue et de ses membres qui, rois et prêtres eux aussi, reviendront un jour vainqueurs, comme lui.
C’est dans ce sens qu’il faut entendre ce texte. L’Église qui tout à l’heure implorait l’aide de Dieu pour pouvoir pratiquer la perfection de la justice et de la charité, sent soudain qu’elle est exaucée et, dans sa confiance ravivée, elle chante et le Christ qui se réjouit en elle et elle-même qui exulte en lui.
LA MÉLODIE
La joie quelle exprime est une joie paisible, intérieure, contemplative. Elle n’éclate pas, elle se dilate plutôt. L’âme jouit de son intimité avec le Seigneur ; elle n’en sort pas.
Domine donne le ton dès le début, il est comme un salut aimable, heureux, souriant ; toutes les notes et tous les neumes sont liés en courbes gracieuses. La même grâce souple se déploie sur in virtute tua ; enveloppant le pressus et la tristropha dans la même ligne harmonieuse. Des nuances de tendresse et de reconnaissance y passent, mais délicates et sans altérer, si peu que ce soit, la pureté de la ligne mélodique. Laetabitur, le mot de la joie, se développe dans le grave sur une formule de Graduels du Ier mode, qui le sert admirablement par son expression de plénitude. La remontée se fait en une belle progression, réservée toujours, et qui s’achève en une cadence en demi-ton sur rex qui se trouve ainsi enveloppé d’une nuance délicate de tendresse.
Vient alors dans la seconde phrase le beau motif, deux fois répété, de la contemplation, car cette mélodie qui monte lentement, et se déploie à deux reprises sur des trivirgas allongées est bien contemplative. L’âme ne dit plus rien. Sur la conjonction et, elle se repose de penser, elle aime seulement et, tout naturellement, elle chante ; elle chante un air qui s’élève doucement au rythme de son amour, plane comme en des points d’orgue prolongés et redescend, pour remonter avec une grâce achevée où passe tout la paix heureuse dans laquelle elle contemple son roi. Quand les mots reviennent, le charme s’atténue, mais l’atmosphère demeure. Vehementer n’a rien de véhément, c’est dans le grave que se développe la mélodie et, quand elle remonte pour s’étaler une dernière fois plus élargie encore sur la tonique, c’est toujours la même joie paisible et profonde qu’elle chante.
OFFERTOIRE
LE TEXTE
Je bénirai le Seigneur qui m’a donné l’intelligence. Je gardais Dieu en ma présence toujours. Puisque à ma droite il est , je ne chancellerai pas. Ps. XV. 6, 8.
Le Psalmiste dit à Dieu sa reconnaissance parce qu’il lui donne de comprendre les choses dans leur vrai sens – c’est ainsi qu’il faut entendre intellectum. Et il explique la raison de cette assistance bienfaisante du Seigneur : « Je gardais Dieu en ma présence, toujours ». Il continuera de vivre ainsi sous l’influence divine ; d’où sa confiance : « je ne chancellerai pas ».
Cet offertoire est chanté une première fois le lundi de la seconde semaine de Carême, après l’Évangile dans lequel Notre-Seigneur dit aux juifs : « je ne fais rien de moi-même, je dis ce que le Père m’a enseigné ». Il en est une belle paraphrase, soit qu’on l’entende de Notre Seigneur qui bénit son Père de lui avoir révélé toutes choses et de le conseiller en tout, soit qu’on l’entende de l’Église qui reçoit tout de l’Esprit du Christ, et de nous tous qui recevons la même assistance si nous voulons user des dons. Ici, il ne saurait être entendu que de l’Église et de nous. Elle remercie le Seigneur et nous remercions avec elle, de nous donner la lumière qui nous fait comprendre les conseils de justice et de charité qu’il vient de nous redire et tous ceux que, par son Esprit, il ne cesse de nous prodiguer.
LA MÉLODIE
C’est encore la joie qui caractérise ce chant d’action de grâces. L’intonation en fait foi, c’est celle du Gaudeamus, du Jubilate et de tant d’autres chants d’allégresse.
Le bel élan de Benedicam, mesuré et souple, va s’épanouir sur dominum en une longue tenue toute pénétrée de gratitude et d’amour. C’est la même ferveur reconnaissante qui se développe ensuite dans toute la phrase. Mihi est bien en relief, mais c’est intellectum qui, à la fin, retient tout l’intérêt. Le motif est assez apparenté à celui de Dominum ; une sorte de point d’orgue que les répercussions étendent et qui se prolonge encore en une cadence élargie. Admirable expression, l’ardeur monte vive du fa au do où elle se renforce et s’étale, comme si l’âme voulait prolonger l’évocation de ce bienfait précieux entre tous qu’est l’intelligence de la parole divine.
Au début de la seconde phrase, la montée syllabique de providebam a quelque chose de vif ; on sent l’âme comme pressée de révéler ce qui lui a valu de pénétrer le sens profond des conseils divins. Elle insiste ensuite sur conspectu meo. Pour la troisième fois la mélodie épanouit son ardeur sur une bivirga ; mais cette fois, elle module en fa ce qui lui permet par une remontée au si b d’envelopper semper d’une belle nuance de plénitude heureuse : l’âme prend conscience de toute la joie qu’elle goûte dans cette présence continuelle du Seigneur et dans le colloque d’amour qui naît entre elle et lui.
La troisième phrase est assez différente des deux autres. C’est une sorte de réflexion. L’âme tire la conséquence de la présence divine : elle n’a pas à craindre de tomber. Toutefois à partir de dextris, cette réflexion est plus faite d’amour que de raison. Après avoir mis le mot en un très fort relief, la mélodie descend brusquement et mihi se trouve dans le grave. L’âme soudain toute confuse d’une telle faveur se perd en humble révérence et s’efface. Elle ne se relève plus et, sur le dernier mot, chante en de longs neumes très liés, le bonheur de sa sécurité dans l’amour.
COMMUNION
LE TEXTE
Une seule chose j’ai demandée au Seigneur, je la demanderai avec instance : que j’habite dans la maison du Seigneur tous les jours de ma vie. Ps. XXVI. 4
C’est encore le Psaume XXVI. Après avoir exprimé sa confiance en Dieu dans une ardeur de bravoure au cours des premiers versets, le Psalmiste laisse monter son désir, son unique désir; ce n’est pas le triomphe, ni la gloire, mais d’habiter au Temple, d’être l’hôte du Seigneur, de vivre près du lieu où il se manifeste et de ne pas le quitter.
Pour nous, le Temple c’est le Ciel, en dernier ressort c’est ce que l’âme demande ici. Au moment où elle a en elle le Christ, après avoir, tout au long de la messe, sollicité le secours du Seigneur pour pratiquer la perfection de la charité, se rendant compte de toutes les difficultés qu’en comporte la pratique et enivrée d’amour aussi au contact de l’Eucharistie, elle reprend l’ardente supplication de la collecte et laisse jaillir son désir du Ciel où tout ne sera qu’amour partagé dans la Béatitude.
LA MÉLODIE
L’intonation est toute simple, mais, après une très gracieuse inclination, pleine de respect, sur le nom du Seigneur, le désir monte. C’est comme un jaillissement d’amour ardent ; splendide élan qui franchit l’octave du fa au fa et s’épanouit en pleine ferveur sur le pressus. La détente se fait sur des formules communes mais avec un pression délicate sur les virgas des sommets.
Et voici qu’au début de la deuxième phrase, le cri reprend et se prolonge sur toute l’incise. La mélodie, presque syllabique, s’est allégée et le mouvement emporte les mots les uns après les autres sur la teneur extrême du mode en une ardeur qui est comme pénétrée à l’avance de la joie désirée. Puis la détente se fait de plus en plus paisible sur le même motif que dans la première phrase. Sur les neumes qui descendent, très liés, très simples, vers la tonique, l’âme berce la joie de son espoir en l’amour sans limite et sans fin qui sera sa vie à jamais dans la maison du Père.
Epître, évangile et préface chantés de cette messe, voir ici