La répétition de l'introït Vocem jucunditatis
Commentaires des pièces de cette messe par Dom Baron.
INTROÏT
LE TEXTE
Versez votre rosée, cieux, d'en haut, et que le nuages pleuvent le Juste. Qu'elle s'ouvre, la terre, Et qu'elle germe le Sauveur.
Ps.- Les cieux disent la gloire de Dieu
Et l'œuvre de ses mains, il la proclame, le firmament. Isaïe, XLV, 8 - Ps. XVIII, 2.
Au chapitre XLV, Isaïe rapporte ce qu'il a entendu le Seigneur dire à Cyrus, qu'il va susciter pour être son christ, sauver le peuple et rebâtir la cité et le temple. A la vision de ce sauveur d'un moment, par delà lequel il voit le Messie et son œuvre éternelle, il est transporté et, interrompant sa prophétie, lance vers le ciel son désir ardent pour que soit bâtie la venue des deux libérateurs. Il le fait sous la forme poétique de la rosée qui fait germer la plante, symbolisant ainsi l'action divine qui fera de Cyrus et du Christ des sauveurs parfaits.
Au sens liturgique, c'est l’Église qui appelle le Messie. Rien n'est à changer dans l'image du prophète, mais il faut lui donner tout son sens divin. La rosée sollicitée du ciel, c'est l'action fécondante du Saint-Esprit ; la terre, c'est Notre-Dame, fleur de la race, qui s'ouvre au sommet de la tige de Jessé et qui, fécondée sous l'ombre mystérieuse de l'Esprit du Très-Haut, va produire son fruit divin ; le Verbe fait chair.
Cette prière admirable et tout à fait à sa place le Mercredi des Quatre-Temps, tout entier consacré à l'Annonciation. Il faut lui garder ici la même interprétation ; d'autant que, par l'Offertoire et la Communion tout au moins, le mystère continue d'être fêté. Et il faut la chanter comme la prière suprême, entendue de Dieu par delà les siècles, et qui a contribué à faire venir plus tôt l'heure du Messie et de Notre-Dame ; mais aussi, comme la supplication qui va mériter aux âmes de recevoir le Verbe fait chair quand il va revenir et de se livrer à l'influence de son Esprit comme la terre à la rosée, lui donnant ainsi ce qu'il attend d'elles pour réaliser la plénitude de son Incarnation.
Le Psaume, lui, n'est pas une prière ; il est la constatation joyeuse des merveilles de Dieu qui se réalisent dans le mystère.
LA MÉLODIE
Une prière ardente de deux phrases qui s'opposent ici, encore, suivant le texte, comme le ciel et la terre.
La première est un admirable mouvement de l'âme portant on désir, comme dans le graduel. Qui sédes, aussi haut que possible, jusqu'aux nuées fécondes d'où va venir la céleste rosée, puis redescendant douce et paisible comme descendra le Juste qu'elle chante. La supplication est ardente sur le pressus de caeli, les quilismas de désuper, le pressus de pluant, mais il n'y a pas d'inquiétude, de doute, d'angoisse ; au contraire, une grande sérénité et une joie discrète se mêlent partout à la prière dans la tonalité claire du mode de fa ; la joie de l'Eglise qui sait, car elle en jouit déjà, tout le bonheur qu'il y a pour elle dans cette pluie fécondante qu'elle sollicite.
La seconde a moins d'élan. C'est la terre que l'Eglise regarde et encore qu'il s'agisse de Notre-Dame, ce chef-d'œuvre de grâce qui va produire la nature humaine du Christ, n'est-elle pas tout en bas par comparaison avec l'infinie perfection du verbe qui va y descendre ? Et puis, c'est le mystère dont la profondeur ne saurait se chanter ; Aussi, après l'ardeur de la supplication sur aperiatur, la mélodie revient-elle au mode de ré, et en des neumes qui s'effacent de plus en plus, elle s'éteint, gracieusement d'ailleurs, sur Salvatorem, le mot du désir.
La deuxième note de ra dans Rorate doit être élargie. Le crescendo de la première incise sera ardent mais sans éclat ; c'est une prière. Bien accentuer nubes et aller sur le pressus de pluant en progression.
Veiller à ce que tur dans aperiatur ait bien sa valeur et qu'on ait le temps d'articuler. Térra sera légèrement retenu ainsi que les quatre dernières notes de gérminet.
Le Psaume sera chanté dans un bon mouvement et pénétré déjà de la joie du « Gloria in excelsis » qu'il prophétise.
GRADUEL
LE TEXTE
Il est proche, le Seigneur,
De tous ceux qui l'invoquent,
De tous ceux qui l'invoquent dans la vérité.
Verset. - La louange du Seigneur,
Elle la chantera, ma bouche,
Et que toute chair bénisse le Seigneur. Ps. CXLIV, 18, 21.
Dans la première partie, le psalmiste exprime une idée très simple ; à savoir que le Seigneur est tout disposé à écouter ceux qui le prient. Toutefois, il a précisé d'un mot : ceux qui le prient dans la vérité ; c'est-à-dire qui lui demandent, en toute sincérité, des chose vraies ; entendons : ceux qui sont conformes à sa volonté, car la vérité, c'est, en même temps, ce que Dieu pense et ce que Dieu veut.
Le Verset, lui, est un hommage de reconnaissance de l'âme qui promet à Dieu une louange sans fin en retour de la bienveillance qu'il lui témoigne.
Au sens liturgique, peut-être serait-on porté à s'appuyer sur les premiers mots Prope est Dominus pour faire entrer ce texte dans le cadre de l'Avent. Ce ne serait pas absolument exact car c'est en tout temps que le Seigneur exauce ceux qui savent le prier. Il ne faut pas non plus le rattacher à l'Epître qui vient d'être lue, mais à l'Epître du mercredi précédent pour laquelle il a été choisi. Dans cette Epître, on nous ait entendre l'histoire d'Achaz qui, par manque de confiance, refusa de demander un prodige au Seigneur et qui reçut, en réplique, d'Isaïe la fameuse prophétie qui annonçait le prodige des prodiges : « Le Seigneur vous donnera lui-même un signe : Voilà qu'une Vierge concevra et enfantera un Fils et son nom sera Emmanuel ». A la fin de ce récit, ces deux versets viennent sur es lèvres de l'Eglise comme une sorte de réflexion. Repliée sur elle-même et gardant bien présent à l'esprit tout ce qu'elle vient d'entendre, elle se dit : Achaz a eu tort...Le Seigneur est tout près de ceux qui l'invoquent et bientôt il sera plus près d‘eux encore ; car le prophète a dit que Celui qui doit venir aura nom Emmanuel, ce qui veut dire : Dieu est avec nous.
Cette annonce précise de l'Incarnation amène alors la grande louange du Verset. Laudem Domini...
LA MÉLODIE
(V) Prope est Dominus omnibus invocantibus éum omnibus qui invoquant éum in verita te.
Elle est composée de trois formules : celle de Prope est Dominus et les deux de éum. Ces formules sont reliées entre elles par les motifs presque syllabiques de omnibus invocantibus et de omnibus qui invoquant. Un seul mot est original, in veritate, encore s'achève-t-il en une formule finale commune.
Le fait qu'elle est à ce point centonisée n'empêche pas qu'elle soit très expressive. L'auteur s'est servi de formules toutes faites mais il les a choisies pour le texte et les a disposées de telle sorte qu'elles puissent en exprimer au mieux le contenu. Notez qu'elles sont placées sur les mots importants : Dominus, le nom divin, et éum qui le représente ; et que, par le contraste que font leurs neumes avec les motifs syllabiques qui les entourent, elles les mettent en particulier relief. Aussi bien est-ce le mot de l'Epître : Pete signum a Domino, dit Isaïe. Non tentabo Dominum, répond Achaz. Propter hoc dabit Dominus ipse vobis signum, réplique le prophète.
L'intonation est grave. (Cette formule n'est employée que sur le mot Dominus ; de sorte qu'elle est moins une formule centon qu'un motif réservé uniquement au nom du Seigneur, comme plusieurs autres.) Mais ce serait une erreur d'y voir la moindre tristesse. Au contraire, on y discerne déjà en une nuance discrète la joie qui se dégage du texte et qui caractérise tout le Graduel. Toute pénétrée de respect, elle se retient, s'efface, sur le nom divin, mais, sitôt après, elle se laisse aller, se développe sur omnibus invocantibus et va s'épanouir sur éum en un bel élan qui se détend dans la plénitude de la cadence en fa. Elle passe dans la seconde phrase, s'élève avec grâce sur omnibus, puis redescend dans le grave où elle se revêt à nouveau sur éum d'une certaine révérence qu'elle garde jusqu'à la fin.
Le Verset. - Laudem Domini loquétur os méum Et benedicat omnis caro nomen sanctum éjus.
La joie est ici enthousiaste. Lancée avec une ferme assurance sur la distropha de Laudem, elle se développe en une sorte de contemplation sur Domini : légère, souple, heureuse. Une nuance de tendresse plus marquée passe avec le si b, puis l'exaltation, grandissant à nouveau, va vers loquétur os méum où elle atteint toute sa puissance d'expression sur les mots mêmes qui disent la joie de pouvoir chanter à jamais.
L'enthousiasme est le même dans la seconde phrase. Sitôt qu'elle a été ramenée à la dominante, la mélodie s'élance à l'extrême limite du mode, enveloppant de toute sa puissance l'ardent souhait de l'Eglise. Elle s'y arrête d'ailleurs ensuite en un gracieux mouvement descendant, puis, pour finir, se pénètre à nouveau de tendre respect sur nomen sanctum éjus.
Comme on le voit, ce verset a un caractère de joie éclatante qui ne s'est pas encore rencontré au cours de l'Avent. L'auteur a-t-il voulu donner là comme une première annonce de la joie de Noël et en pénétrer déjà l'âme des fidèles ? On a d'autant plus de raisons de le croire que les formules 53 et 54 sont particulières à la période de la Nativité. On les trouve ailleurs, mais elles sont si fréquemment répétées au temps de Noël qu'elles contribuent, sans aucun doute, pour leur part, à créer l'atmosphère musicale. El semble que ce soit comme le début d'un crescendo de joie qui, parant du Mercredi des Quatre-Temps, jour consacré à l'Annonciation, jour de l'Incarnation, atteint toute sa puissance aux jours de Noël et de l'Epiphanie.
Ne pas chanter l'intonation avec des effet de basse, mais avec la simplicité et la douceur qui conviennent à une contemplation paisible. Le crescendo est le premier éum sera discret et mené dès le début de l'incise ; C'est une formule assez délicate mais très expressive. Il y a sur le do une distropha, puis al première note de la clivis ou du climacus ; les distrophas seront posées doucement et la voix, renforcée, ira vers la note qui suit pour la répercuter, délicatement. Il s'en suivra une onction pénétrée de ferveur qui servira admirablement le pronom éjus qui tient la place de Dominus.
Retenir quelque peu veritate ; la tristropha, douce. Bien distinguer dans la vocalise qui suit, sur le la, les deux distrophas, du pressus ; lles reçoivent doucement le posé de la voix ; de même celle qui se trouve sur le do dans la dernière incise.
C'est une bivirga qu'il y a sur Laudem au début du Verset ; qu'elle soit appuyée, forte et bien lancée. Sur Domini, deux distrophas et répercussion sur la première note de la clivis ; même interprétation que plus haut. Une bivirga avant les deux climacus qui finissent la première phrase ; bien accuser la première note du second.
La tristropha de os, légère. Bien pendre grade à donner toute leur valeur aux trois notes qui précèdent les notes doubles de méum ; les retenir légèrement évitera le danger d'en faire un triolet. Poser nettement l'épisème vertical de omnis, allonger même un peu la note. (Dans plusieurs cas, la 2ème note est un quilisma.) Un gracieux ralenti sur sanctum, qui se poursuivra sur éjus jusqu'à la fin.
ALLELUIA
LE TEXTE
Viens, Seigneur et ne tarde pas.
Pardonne les péchés de ton peuple.
Cette phrase ne se trouve pas dans l'Ecriture. L'idée en est très simple et s'applique sans difficulté à l'un ou à l'autre des sens de l'Avent. C'est une prière dont l'objet est nettement déterminé : la prière de tout le peuple de Dieu, de toute l'Eglise, suppliant le Christ de venir sauver le monde.
LA MÉLODIE
On la rencontre deux autres fois au cours de l'année : le XXe Dimanche après la Pentecôte (Alleluia Paratum cor méum) et à la messe Loquebar d'une Vierge Martyre (Alleluia Adducentur).
Elle commence dans le grave et se meut lentement dans toute la première phrase, comme la prière très humble du pécheur qui n'ose pas lever les yeux, accablé qu'il est sous ses fautes. Ce n'est que dans la seconde incise qu'elle prend un peu d'ardeur, il y a sur et noli tardare un très bel accent de pressante supplication.
Dans la seconde phrase, la prière est plus aisée sur relaxa. La longue vocalise de facinora est, en elle-même, assez indifférente, mais elle prend, avec les mots, un caractère de prière fort bien adapté. Il y a, dans la répétition du motif initial, une progression qui fait la supplication de plus en plus forte. La première fois, elle monte par trois degrés au si b ; la seconde fois, par un seul mouvement de quarte, elle atteint le do qu'elle marque d'un pressus ; la troisième, elle s'y pose sans préparation et y demeure trois temps. Il y a là une vigueur accrue du plus heureux effet. La mélodie redescend ensuite dans le grave et finit sur une formule propre à certains graduels du Ier mode, elle aussi très priante et très humble, avec une touche assez marquée de crainte révérentielle.
L'Alleluia, lui, est du IIIe mode, mais l'unité demeure parfaite et l'expression y trouve son bien. L'Alleluia ayant en lui-même un caractère de louange que le contraste rend plus marqué encore.
Prendre garde de faire trop longue la double note initiale de l'Alleluia, lequel doit avoir un certain mouvement. Bien balancer le rythme de l'arsis ; la vocalise légère.
Veni Domine tranquille et discret. Crescendo sur noli ; tardare sans éclat. Noter que, dans les thésis de la seconde phrase, toutes les notes doubles sont des distrophas, légères donc ; de même les deux qui précèdent la clivis sur le do, à la dernière reprise du motif. Par contre plé dans plébis est une bivirga. Lier avec soin les grands intervalles de l'avant-dernière incise.
OFFERTOIRE
LE TEXTE
Salut, Marie, de grâce remplie,
Le Seigneur (est) avec toi.
Bénie (es-)tu entre les femmes,
Et béni le fruit de ton sein.
C'est la salutation de l'Ange Gabriel à Notre-Dame et celle d'Elisabeth combinées en un seul texte, lequel forme la première partie de la Salutation angélique. Il n'y manque que le dernier mot, Jésus, qui d'ailleurs ne fut pas dit par Elisabeth.
Au sens liturgique toutefois, ce n'est ni l'Archange ni Elisabeth qui saluent Notre-Dame ; la combinaison des deux salutations en un seul texte s'y oppose. C'est toute l'Eglise qui, au moment où est commémorée la Conception de Notre Seigneur, fait monter sa louange vers celle que Dieu a choisie pour sa mère. Elle a entendu, au cours de la semaine écoulée, le mercredi, le récit de l'Annonciation, le vendredi, celui de la Visitation ; elle recueille, sur les lèvres de l'Archange et d'Elisabeth, les paroles inspirées pour les redire à Notre-Dame, comme l'hommage le plus parfait qu'elle puisse rendre à sa sainteté incomparable et à sa maternité divine.
Bien noter que c'est une salutation. Ceci implique que les chanteurs soient en communication directe avec Notre-Dame : qu'ils chantent pour elle et qu'ils aient conscience que du haut du ciel, elle les écoute et reçoit leur hommage dans la joie de son cœur maternel.
LA MÉLODIE
Quatre phrases (Ave Maria gratia plena ne forme qu'une seule phrase. La grande barre qui suit Maria doit être considérée comme une demi-barre). Les trois premières, en progression l'une sur l'autre, conduisent l'idée jusqu'à Benedicta tu, point culminant de la louange. La quatrième redescend vers le grave où elle s'achève dans la contemplation du mystère.
Il n'y a pas d'éclat dans l'Ave de l'intonation ; c'est un salut gracieux enveloppé de vénération profonde et tendre. Tout le long de la première phrase, l'âme se complaît dans cette attitude d'humble hommage ; elle s'anime seulement, d'un accent de ferveur, sur le nom béni. Un bel élan, habilement préparé, porte la syllabe accentuée de Maria à la dominante où les notes doubles et répercutées mettent un peu plus d'ardeur, d'admiration et d'amour. Mais ce n'est qu'en passant. Elle revient au grave sur gratia pléna et s'y enveloppe plus encore de contemplation ; aussi bien y a-t-l ici quelque chose de plus que la salutation. C'est déjà le mystère, le mystère indicible de l'Immaculée. La phrase s'achève sur pléna par un pressus qui met bien en valeur ce mot de plénitude, qui ne peut se dire que du Christ et de sa Mère.
Dès le début de la seconde phrase, la mélodie, établie sans préparation sur la dominante, prend tout de suite une allure de louange éclatante. C'est une qualité nouvelle que l'Eglise salue en Notre-Dame : son union avec Dieu. La plénitude de la grâce, c'est déjà le Seigneur avec l'âme ; mais, sur les lèvres de l'Archange, le Dominus técum indiquait une modalité spéciale de l'union divine. Le Seigneur est avec Notre-Dame comme il n'est avec personne. C'est de cette union merveilleuse que l'Eglise félicite Marie. La mélodie la sert admirablement. Le s'épanouit sur Dominus en un beau motif plein d'élan, deux fois répété, qui dit l'admiration enthousiaste que provoque l'infinie grandeur de Dieu, tandis que, sur técum, elle se retient comme recueillie, étonnée, confondue d'admiration, devant l'ineffable sainteté de Notre-Dame.
Elle se reprend sur Benedicat tu pour s'élancer cette fois à la limite de son étendue. C'est le troisième mot de a louange. Il est la conséquence des deux autres. C'est parce qu'elle est pleine de grâce et que le Seigneur est avec elle que Marie est bénie entre toutes les femmes ; nouvelle Eve, celle que toutes les nations diront Bienheureuse. La mélodie le met au-dessus de tout ; elle dépasse la dominante, monte et plane, à loisir, dans les hauteurs, s'appuyant sur des notes doubles et des pressus qui lui permettent de déployer toute sa puissance et de colorer d'accents de ferveur ce mot de bénédiction. Il s'achève sur le pronom tu en une belle cadence pleine et large qui va tout droit à Notre-Dame avec une nuance délicate de tendresse. La seconde incise ramène à la dominante le mot muliéribus. L'admiration s'y prolonge, toujours fervente ; notez le pressus et le torculus avec son mouvement hardi de quarte retombant sur la bivirga de la syllabe accentuée. D'une façon assez inattendue, la phrase s'achève par une cadence en demi-ton sur si qui laisse la mélodie en suspens, comme si l'Eglise, évoquant en une sorte de contemplation toutes les femmes de la race, les voyait se perdre en une perspective infinie, tendues en un geste de bénédiction vers Notre-Dame qui, de très haut, enveloppée dans la gloire du Verbe Incarné, les domine toutes de l'éclat de sa maternité.
La quatrième phrase est, de toutes, la plus profonde. Ici, c'est le mystère ; le mystère du Verbe fait chair dans le sein de Notre-Dame. La mélodie abandonne les hauteurs, descend par degrés, sur benedictus qu'elle souligne seulement d'un pressus, descend encore sur fructus, puis demeure dans le grave, presque sans se mouvoir. Un motif deux fois répété de quelques notes qui montent et descendent par degrés conjoints sur véntris, un dernier pressus sur tui comme pour faire rejaillir la gloire du Fils sur la Mère - car c'est pour le Fils qu'est toute la louange dans cette dernière phrase - et c'est tout. L'ineffable ne saurait s'exprimer.
Il faut chanter avec beaucoup de souplesse. On y veillera particulièrement dans l'intonation. Le climacus qui s'achève sur la première note pointée sera légèrement retenu pour donner à cette demi-cadence sur mi toute sa valeur d'admiration gracieuse et tendre.
Chanter Maria avec beaucoup de ferveur. Les deux premières notes de ri bien appuyées, assez fortes, avec l'élan de l'accentuation : ce sont deux virgas ; les deux autres sont des distrophas ; la répercussion en sera délicate et il y aura un crescendo jusqu'à la répercussion, très délicate aussi, de la virga. La cadence sur sol très peu ralentie, de façon à rattacher Maria à gratia pléna. Une pause.
Discret a tempo au départ de Dominus dont les thésis seront légères, comme le sera la tristropha de técum, qu'on renforcera toutefois pour la lier au climacus. Sur ne dans Benedicta, une bivirga, bien l'appuyer et mener le crescendo e un bel enthousiasme vers le pressus. Conduire avec mesure l'admirable descente de benedictus fructus, sans que la voix perde brusquement de sa sonorité. Véntris tui très lien avec le salicus bien doux.
COMMUNION
LE TEXTE
Voici qu'une Vierge concevra
Et enfantera un Fils,
Et il sera appelé de son nom Emmanuel. Isaïe, VII, 14.
Cette parole fut dite comme une prophétie par Isaïe à Achaz. « Le Seigneur vous donnera lui-même un signe : voici qu'une vierge enfantera... » Le signe promis arrivera le jour de l'Annonciation. C'est le mot même du prophète en effet que l'Archange dit à Notre-Dame : « Voici que vous concevrez et enfanterez un Fils et vous lui donnerez le nom de Jésus ».
Ce texte est tout à fait à sa place le jour où est commémorée l'Annonciation. Toutefois il ne semble pas qu'il doive être chanté ici comme une prophétie ; c'est l'Eglise qui après avoir entendu la parole du Prophète à l'Epître, et celle de l'Ange à l'Evangile, y revient, au moment de la communion. Contemplant dans la lumière de la grâce sacramentelle, l'Incarnation qui se prolonge par l'Eucharistie dans tout le Corps Mystique, elle chante la joie de l'Emmanuel, du Dieu avec nous, en même temps que le mystère de Noël dans lequel à nouveau va s'accomplir mystiquement la parole divine.
LA MÉLODIE
Une joie émerveillée ; on en caractériserait bien ainsi, en deux mots l'expression. Elle est très discrète dans sa première incise, avec quelque chose de recueilli, de contemplatif, répandu sur toute la thésis de concipiet. Dans une sorte de jouissance profonde, l'âme admire le mystère de la Vierge Mère.
Et voilà qu'elle s'anime et que son admiration prend de l'ampleur. Un souffle puissant passe, qui emporte les mots dans l'enthousiasme, Filium après pariet, comme si l'âme, de plus en plus éclairée, réalisait ce qu'est le mystère de la maternité divine.
Mais, à peine a-t-elle saisi cette seconde merveille, qu'une troisième s'offre à elle : le mystère de Dieu avec nous cette fois, et vocabitur Emmanuel... Elle n'a pas le temps de s'arrêter si peu que ce soit ; de la première phrase, le souffle d'allégresse passe dans la seconde, l'entraînant dans la progression jusqu'à la distropha de vocabitur. Là quelque chose change. Le mystère s'étend. Il s'étend jusqu'à l'âme. Elle sent qu'elle y entre, en ce moment de la communion. Elle se recueille, se refermant sur les merveilles qui s'opèrent en elle. La mélodie la suit dans sa contemplation. Elle n'a plus le souci des notes éclatantes, ni des mouvements à grand espace ; elle se retient. Notez les clivis allongées de vocabitur, elle descend peu à peu vers le grave, jusqu'à ce qu'elle arrive à Emmanuel, le mot du mystère. Elle s'y complaît, en une formule qui, comme celle du véntris tui de l'Offertoire, se contente de quelques notes conjointes qui descendent et montent mais où passe toute la tendresse de l'âme pour l'Hôte divin qui est avec elle.
L'intonation paisible ; de même concipiet dont les podatus seront bien posés. Ceux de pariet aussi, tout le sommet en sera élargi. Le lier étroitement à Filium qui sera à peine retenu afin que l'enthousiasme aille croissant sur et vocabitur. C'est une bivirga qu'il y a sur vo. Retenir quelque peu tur. Beaucoup de grâce et de ferveur sur Emmanuel, qui sera très ralenti.
- Polyphonies pour l'Avent
- L'hymne Creator alme siderum en alternance grégorien/polyphonie
- L'hymne Creator alme siderum en grégorien
- Les cantiques de l'Avent (CD)
- Les cantiques de l'Avent (Partitions)
Epître, évangile et préface chantés de cette messe, voir ici
Commentaires des pièces de cette messe par Dom Baron.
INTROÏT
LE TEXTE
Le cri de joie, lancez-le et qu’il soit entendu.
Allelúia.
Lancez-le jusqu’aux extrémités de la terre.
Il a libéré son peuple, le Seigneur.
Allelúia, Allelúia.
Ps. – Acclamez Dieu, toute la terre.
Un psaume chantez à son nom, donnez de l’éclat à sa louange. Isaïe XLVIII. 20 – Ps. LXV. 1,2.
C’est aux Juifs captifs à Babylone que le Prophète s’adresse. Il vient de leur dire qu’enfin le Seigneur va bientôt les délivrer, lorsque tout à coup, comme s’il voyait dans l’avenir se dérouler la scène de la libération et qu’il y était avec la mission de porter à ses compatriotes la bonne nouvelle de leur délivrance, il s’écrie : « Sortez de Babylone, fuyez les Chaldéens. Lancez le cri de joie et qu’il soit entendu et faites-le parvenir jusqu’aux extrémités de la terre. Dites : le Seigneur a racheté son serviteur Jacob. »
Dans l’Introït tout ce qui avait trait au peuple Juif a disparu : l’ordre de fuir, au début et « son serviteur Jacob », à la fin qui a été remplacé par « son peuple ». Aussi bien ce n’est plus Isaïe qui prophétise, c’est la prophétie qui se réalise. En effet, par-delà la libération des Juifs, ce que le Prophète voyait, c’était la Rédemption du monde, et la voix qu’il entendait et dont il reproduisait les accords était celle de l’Eglise invitant ses membres à proclamer sans cesse que le Seigneur a sauvé son peuple par sa mort et sa résurrection. C’est cette voix qui chante ici.
Quel sens exact donner à vócem jucunditátis ? Le mot de la joie ? Ce n’est pas assez. Le cri de la joie dit bien l’enthousiasme de la libération, mais crier ce n’est pas liturgique ; pour entrer dans le jeu sacré, il faut que le cri soit stylisé, or c’est le chant qui donne au cri le style qui convient ; le sens qui paraît le mieux adapté serait donc : lancez le chant qui annonce la joie ardente de Pâques.
LA MÉLODIE
C’est un chant d’enthousiasme, mais très nuancé.
La première phrase commence par un salicus, comme si l’Eglise voulait un instant savourer sa joie sur cette double note avant de la laisser aller au souffle de l’enthousiasme. Celui-ci la saisit d’ailleurs tout de suite et l’emporte de plus en plus ardente vers l’accent tonique de jucunditátis et la tristropha de nuntiáte où elle s’épanouit, vibrante et pressante, certes, mais douce aussi, faisant de cet impératif une aimable invitation plutôt qu’un ordre. Elle se détend ensuite tout au long de la thésis en une nuance de bonheur intime et profond. Mais la phrase n’est pas achevée ; il y a une reprise de mouvement sur audiátur. L’élan de joie y est beaucoup moins marqué, c’est plutôt l’impératif qui domine ici ; l’Eglise soucieuse de ce que ses enfants mettent à profit la bonne nouvelle, veut qu’on la fasse entendre et qu’elle soit écoutée. La cadence qui se prolonge dans l’Allelúia revêt la même nuance qu’à la fin de l’incise précédente.
La seconde phrase reprend l’invitation. Nuntiáte reproduit exactement l’intonation avec le même souffle ardent, mais, passé ce premier mot, l’Eglise, toute prise par l’idée de faire se répandre jusqu’au bout du monde la joie de la Résurrection, élargit son chant à la mesure de sa vision et de son désir. Ce mouvement est parmi les plus beaux du répertoire. D’abord mesuré, presque scandé, sur les torculus de nuntiáte, il se dégage sur úsque en un élan hardi qui le porte du la au ré puis, balançant la joie sur les clivis allongées de extrémum térræ il se fait souple, léger, plus large aussi, comme pour se préparer à s’épanouir sur le torculus si gracieux et si expressif du sommet avant de s’achever sur la cadence pleine et ferme du VIIIe mode.
C’est dans cette tonalité nouvelle que débute la troisième phrase. Il faut d’abord en préciser le sens car elle peut s’entendre de deux façons selon qu’on la considère ou non comme une citation : « Annoncez ceci : « Le Seigneur a libéré son peuple » « ; ou bien : « Annoncez (la joie) ; le Seigneur a libéré son peuple « . Or, il semble bien que ce soit cette seconde interprétation qu’il faille lui donner. En effet, dans le texte d’Isaïe il y a: « Dites : le Seigneur a libéré son serviteur Jacob », et, dans l’Introït , « dites » ayant été supprimé, il reste « annoncez(la joie) : le Seigneur a libéré son peuple. » La mélodie confirme d’ailleurs cette interprétation. Elle est toujours joyeuse, ardente, enthousiaste mais l’élan léger des deux premières phrases n’y est plus. Dès le début, dans l’arsis de liberávit on la sent qui se retient ; c’est une joie plus intérieure, plus profonde qu’elle exprime. Cette nuance – car ce n’est qu’une nuance – est surtout sensible dans le mouvement thétique, qui commence d’ailleurs tout de suite ; depuis la tristropha et la clivis de Dóminus jusqu’au salicus de pópulum qui ramène si délicatement la mélodie au la, tout est enveloppé de vénération, de gratitude, de tendresse. Les Allelúia eux-mêmes sont discrets, retenus ; non seulement le premier, qui se complait dans l’admirable descente vers le ré, mais le second aussi dont tous les neumes ralentis par le quilisma s’imprègnent de plus en plus de contemplation à mesure qu’ils approchent de la cadence qui achève si bien de dire ces sentiments délicats.
Le psaume retrouve l’élan joyeux du début sur le mot même de la joie : Jubiláte.
Cet Introït est difficile à bien chanter. On est exposé en effet à en marquer trop les nuances. Ce serait une erreur qui donnerait un caractère recherché, précieux alors qu’il est au contraire ferme et fort. Il faut faire les nuances, mais de telle sorte qu’elles découlent comme naturellement les unes des autres. Que les thésis en particulier ne soient pas d’une douceur qui tranche sur la force de l’arsis ; c’est dans un dégradé presque insensible qu’il faut les faire. D’autre part, on est assez tenté de le chanter fort à cause de son caractère enthousiaste ; rien ne s’y oppose, au contraire, mais à la condition expresse que les voix ne soient pas poussées et qu’elle demeurent souples. C’est de la vie beaucoup plus que de la force qu’il lui faut.
Une technique rigoureuse permettra d’éviter ces deux écueils.
Que les doubles notes n’aient que leur valeur et qu’elles demeurent bien dans le mouvement. Celle du début est un salicus ; attaquer doucement la première note. Les deux podatus de Jucunditátis ont leur première note légèrement allongée. Faites une légère accélération vers le sommet et évitez de faire la distropha trop dure. Pas de ralenti à la cadence de annuntiáte.
Le neume de úsque sera très lié et très léger, les clivis de extrémum, à peine pesantes, le torculus du sommet, gracieusement élargi. Peu de ralenti à la cadence.
La tristopha de Dóminus sera douce. Reliez l’Allelúia à súum. Posez bien la première note des podatus du second Allelúia : crescendo discret dans l’arsis, la thésis très retenue.
ALLELÚIA I
LE TEXTE
Il est ressuscité le Christ et il (nous) a éclairés nous qu’il a rachetés de son sang.
Ces paroles ne se retrouvent nulle part dans l’Ecriture.
Elles ne se rattachent pas directement à l’Epître encore que l’illúxit nóbis puisse s’entendre de la parole du Christ que Saint Jacques nous invite à entendre. L’Eglise s’en sert simplement comme d’un thème général pour chanter le Christ ressuscité éclairant de sa lumière ceux qu’il a rachetés.
LA MÉLODIE
Elle a très peu d’étendue dans la première incise ; quelques notes qui vont et viennent du ré au fa serrées les unes contre les autres ; mais quelle belle expression de l’âme recueillie dans la contemplation du mystère et qui laisse sa joie et sa gratitude monter en touches délicates ! Sur et illúxit elle prend conscience de la clarté que le Christ ressuscité projette en elle et de tout ce qu’elle y trouve de sécurité et de paix. Sa joie s’anime. D’un seul mouvement de quinte la mélodie monte au la mais elle ne s’extériorise pas pour autant ; elle demeure contemplative et c’est d’un pas mesuré qu’elle redescend vers la tonique, soulignant seulement illúxit d’une touche de ferveur.
Mais voici l’idée de la Rédemption. L’âme cette fois se laisse aller à l’exaltation. La joie d’être rachetée, sauvée, ressuscitée un jour, la fait clamer au monde – comme le demandait l’Introït – le bonheur infini qu’elle doit au Christ. La mélodie de la dominante où elle s’est établie tout de suite, gagne les hauteurs et s’y déploie à loisir en un motif léger, vif, plein d’une allégresse qui s’avive. Celle-ci toutefois ne dure que le temps du mot redémit ; tout de suite, sur sánguine, la mélodie redescend en ré. Le mot est très en relief par ce brusque passage au grave et plus encore par les pressus mais ce n’est pas de la tristesse qu’il exprime. A l’évocation des souffrances du Christ, l’âme est seulement revenue à sa contemplation recueillie et, sur ces deux pressus, comme sur ceux du surréxit, c’est l’ardeur de sa gratitude qu’elle fait monter vers le Seigneur. Le motif d’ailleurs, pour finir, rime très heureusement avec celui de illúxit nóbis.
Le mouvement sera très tranquille et très lié dans la première phrase, allant vers les pressus qu’on fera très expressifs. Bien faire l’élan ré la sur et mais garder le mouvement paisible.
On l’animera sur quos redémit mais sans forcer le contraste : ne pas le forcer non plus sur sánguine. Il faudra bien veiller aux transitions pour garder à toute la pièce son unité.
ALLELÚIA II
LE TEXTE
Je suis sorti du Père
Et je suis venu dans le monde
Maintenant je quitte le monde
Et je vais à mon Père. Jean XVI. 28.
Il y a deux façons d’interpréter ici ces paroles prononcées par Notre Seigneur après la Cène. On peut les mettre sur les lèvres de l’Eglise qui se les chanterait à elle-même en une sorte de contemplation pour se préparer au départ du Christ vers son Père. On peut aussi entendre Notre Seigneur lui-même les chanter ; non pas dans le cadre du Cénacle, le Jeudi Saint, mais dans l’atmosphère des jours qui précèdent l’Ascension. Il n’est pas rapporté dans l’Evangile qu’il les prononça de nouveau après sa Résurrection, mais il n’est pas invraisemblable qu’il le fit pour préparer ses disciples à la séparation prochaine. Cette seconde interprétation fait le texte beaucoup plus expressif, il devient vivant, actuel car et le Christ et nous nous nous trouvons ainsi dans le cadre même des jours que la liturgie fait revivre et comme dans le prélude du drame de l’Ascension qui se prépare.
Quelle que soit l’interprétation que l’on choisisse, il faut bien donner aux mots tout leur sens, Notre Seigneur parlait de lui-même en disant qu’il était venu du Père et qu’il retournait au Père mais il ne le disait pas sans penser à ses membres qui ne font qu’un avec lui. Eux aussi viennent de Dieu en ce sens qu’ils ont été de toute éternité portés dans la pensée divine et prédestinés à vivre la vie du Christ à telle époque, dans telle contrée ; et, leur vie achevée, ils quittent le monde et vont vers le Père pour leur éternelle béatitude. Nous pouvons donc, tout en les mettant sur les lèvres du Christ, faire nôtres ces paroles et chanter sur elles le cycle de notre vie errante.
LA MÉLODIE
Elle est faite d’un motif qui va du ré au sol et du sol au ré, presque toujours par degrés conjoints. Ce motif revêt deux formes. Le pressus du sommet rend la seconde beaucoup plus expressive.
A travers ces montées et ces descentes légères, fluides, toujours les mêmes et ans cesse répétées ; (15 fois dans l’ensemble de l’Allelúia et du verset) la voix du Christ nous vient comme de très haut, planant au-dessus du temps, au-dessus des évènements, au-dessus de ses disciples, au-dessus de la peine qu’ils ont de le voir partir, au-dessus de nos désirs trop humains à nous aussi, qui voudrions tant qu’il fût là avec son corps de chair. Et elle chante la seule chose qui importe : le mouvement dans lequel tout être doit avoir son mouvement s’il veut atteindre sa fin : venir du Père, aller au Père. Et pour la chanter, elle a l’expression de ce qui ne change pas, de ce qui ne passe pas, de ce qui dure : de la joie qui a sa plénitude. C’est une voix de contemplation, la voix de quelqu’un qui est fixé sur son objet, sur son bien ; la voix du Christ ressuscité qui juge tout dans sa sagesse infinie, du Christ heureux dans la volonté du Père qui l’a envoyé et qui le rappelle.
Ce n’est pas que la mélodie soit sans expression ; de beaux accents de tendresse pour le Père montent sur les pressus de a Pátre de vádo de Pátrem ; d’autres, chargés de désirs et d’amour pour nous, sur véni et múndum. Mais ce qui le caractérise c’est, par delà les mots et les neumes, comme une tendre mélodie ; la mélancolie de tous les départs mais ici tempérée, dominée même par une douceur qui voudrait consoler ; la douceur inexprimable du discours après la Cène. « Mes petits enfants, encore un peu de temps je suis avec vous…que votre cœur ne se trouble pas…je ne vous laisserai pas orphelins. Je vais mais je reviendrai vers vous. Il vaut mieux que je parte…Là où je suis, je veux que vous soyez aussi. Il y a beaucoup de places dans la maison de mon Père. Je vous laisse ma Paix, je vous donne ma Paix… »
Pour que cette mélodie ait vraiment son expression juste il faut la chanter dans un mouvement modéré, très souple et sans aucune recherche d’effet. Les crescendo seront très discrets, la voix effacée, toutes les notes bien égales, le rythme très prononcé de façon à donner cette impression de continuité indéfinie, de calme, de paix absolue si caractéristique de la contemplation. Les pressus seront eux aussi, peu poussés encore qu’un accent délicat de ferveur doive y être posé.
OFFERTOIRE
LE TEXTE
Bénissez, peuples, le Seigneur notre Dieu.
Et faites retentir le chant de sa louange.
Lui qui a posé mon âme pour la vie
Et n’a pas permis de chanceler à ms pieds.
Béni soit le Seigneur qui n’a pas repoussé ma prière et sa miséricorde de moi.
Allelúia. Ps. LXV. 8, 9, 20.
Dans les versets 8 et 9 du Psaume LXV, qui forment la première partie de cet Offertoire, le peuple juif invite les nations à louer le Seigneur qui l’a sauvé d’une catastrophe où il devait périr et dans laquelle il n’a même pas été ébranlé. Le verset 20 est une formule de bénédiction dans laquelle il remercie lui-même le Seigneur de l’avoir exaucé dans sa miséricorde. A eux trois, ils forment un très beau chant d’action de grâces.
C’est le Christ et ses membres qui le chantent ici.
Le Christ en tout premier lieu. Il a bien le droit d’inviter les peuples à bénir et à louer son Père car il vient de les conquérir sur la mort. La conquête a été dure, mais elle s’est achevée dans l’éclatant triomphe de la résurrection. Le Père lui a donné à nouveau son âme pour la vie ; non seulement pour qu’elle anime son corps mais pour que la vie divine qu’ila en plénitude passe de lui dans tous ceux que la grâce de la Résurrection lui incorporera. Pour tout cela : pour le triomphe, pour le secours dans l’épreuve, pour sa prière qu’il a répandue sur tous les siens ; Benedictus Dóminus. Que son Père soit béni.
Avec le Christ, toute l’Eglise chante Benedícite géntes. Elle peut bien inviter les nations à la louange ; n’est-elle pas le Christ qui se prolonge sur la terre ? N’a-t-elle pas été, elle aussi, sauvée et combien de fois au cours des siècles ?
Et dans l’Eglise chacun chante pour soi : appelant les peuples à célébrer ce que le Seigneur a fait pour son âme. Il nous a donné la vie : la sienne ; bien souvent peut-être il nous l’a rendue et comme il sait tenir de sa main ferme et forte dans les épreuves variées qui font la trame de nos jours ! Pour avoir si souvent exaucé notre prière, selon la promesse que votre Fils vient de nous rappeler dans l’Evangile, pour votre miséricorde qui ne cesse d’être sur nous, Seigneur, soyez béni…
LA MÉLODIE
Elle a très peu d’étendue : le retour répété des notes longues sur fa, la fixe sur une ligne d’où elle ne s’écarte que par échappée. Elle n’a pas d’éclat ; ni l’invitation n’est pressante, ni la formule de bénédiction ardente. Elle se développe dans une atmosphère de douceur, de paix, de sérénité joyeuse surtout qui est bien celle dans laquelle on se plait à évoquer le Christ, entre la Résurrection et l’Ascension.
La voix demeure dans le grave sur Benedícite géntes, mais elle fait l’invitation aimable et douce. Sur Dóminum Déum elle se revêt d’un accent de ferveur joyeuse. On notera que le motif de cette incise se rapproche de très près de celui de Dóminus díxit ad me dans l’Introït de la Messe de minuit.
A part l’arsis do mi sol du début qui lui donne une nuance de joie plus extériorisée, c’est bien la même tendresse heureuse, simple, abandonnée ; la tendresse du Fils, content jadis de venir dans le monde, content aujourd’hui de retourner au Père.
Obaudíte vócem éjus a quelque chose de ferme qui fait l’intonation plus pressante et l’incise s’achève sur une cadence aimable qui rappelle ici encore celle de méus es tu dans l’Introït de Noël.
La deuxième phrase chante les bienfaits reçus. La vie d’abord. Le qui pósuit vitam évoque l’in splendóribus qui chantait la génération éternelle dans le Graduel de la Messe de minuit.
Ce n’est qu’un rappel ici encore car la seconde note du second torculus enlève au motif l’autorité majestueuse qu’il prend à Noël sur les lèvres du Père. Elle lui donne par contre quelque chose de plus simple, de plus doux, de plus joyeux aussi qui va bien avec l’amabilité, la bénignité si humaines du Fils. Le même motif est à nouveau esquissé sur ánimam et le mouvement de joie un moment animé par le torculus se fixe presque immobile sur la distropha, comme si le Christ demeurait un instant en admiration devant la merveille de son âme, chef d’œuvre de la nature et de la grâce où se concentre toute la vie. Heureuse inspiration vraiment que de faire ainsi le Christ chanter son action de grâces, pour la vie qui lui a été de nouveau donnée, sur le motif dont se servait le Père pour chanter sa génération éternelle le jour de sa nativité.
La fermeté est la nuance de l’incise suivante. Le motif de dédit bien appuyé sur la double note qui le termine, repris sur commovéri, esquissé une troisième fois sur pédes avec la tristropha donne une impression de sécurité, de solidité qui traduit parfaitement l’idée.
La troisième phrase est toute consacrée à l’action de grâces. Le Christ a fini d’inviter à la louange et d’énumérer les bienfaits qu’il a reçus. Il semble désormais fixé sur le Père, il ne voit que lui et c’est à lui seul qu’il chante sa gratitude. Elle jaillit en une mouvante exclamation : Benedíctus Déus… La mélodie, tout en gardant sa joie délicate, épouse cette immobilité de l’âme. Onze fois en trois lignes les distrophas et les tristrophas reviennent se poser sur le fa, chargées d’amour reconnaissant, rivées elles aussi, à cette teneur comme le regard du Fils sur le Père. Les motifs sont d’ailleurs très gracieux dans leur simplicité réduite à l’extrême. Benedíctus Dóminus, avec le torculus qui amène la tristropha en un mouvement de paix si doux, est repris sur non amóvit. Il y a une insistance sur deprecatiónem par la double note, qui est une bivirga épisématique. Enfin brisant un instant la ligne mais sans troubler la contemplation, la joie retrouve son élan sur le mot qui porte en lui tout l’amour de Dieu pour nous : misericórdiam súam ; et tout s’achève sur l’Allelúia qui prolonge jusqu’au silence où elle se perd la gratitude du Fils… et la nôtre.
Il faut chanter dans un bon mouvement pas rapide mais vivant et joyeux : ce n’est pas une joie extatique qui pénètre la mélodie mais une joie très humaine qui, pour être profonde, n’en est pas moins pleine de vie.
Allongez la première note du podatus de Benedícite. L’arsis de Dóminum sera très souple ; la voix lancée sur le podatus retombera douce sur la tristropha ; la double note de obaúdite et celle de laúdis sont des bivirgas épisématiques.
Un bon départ a tempo, avec une joie plus marquée au début de la seconde phrase. Posez avec une certaine force la double note de pósuit, qui est une bivirga épisématique ; mais que les neumes qui suivent soient très légers, comme toute l’incise d’ailleurs. Très peu de ralenti à vítam. Dans l’incise suivante, allongez légèrement la première note des podatus de dédit, de commovéri et le punctum qui précède la virga de pédes. Un bon temps de silence à la fin de la phrase pour marquer le changement d’idée.
Toute la troisième phrase gragnera à être un peu plus lente, tout en demeurant aussi souple et aussi vivante, il va de soi. Non est une virga allongée dans les manuscrits. Retenez légèrement le podatus de vit dans amóvit. La double note de deprecatiónem est une bivirga épisématique. Retenez quelque peu les trois premières notes de súam. Tout le dernier Allelúia élargi.
COMMUNION
LE TEXTE
Chantez au Seigneur, Allelúia.
Chantez au Seigneur, bénissez son nom.
Avec zèle annoncez jour après jour
Le salut qui vient de lui Allelúia Allelúia. Ps. XCV. 2.
Il se pourrait que le Psaume XCV, ait été chanté lors de l’introduction de l’Arche de l’Alliance dans la tente que David avait préparée pour elle à Jérusalem dès qu’il eut achevé la conquête de son royaume. Il se trouve en effet sous forme à peu près semblable sitôt après le récit de la fête au premier livre des Chroniques (I Par. XIII. 26). Il est vraisemblable aussi qu’il fit partie du programme musical de la dédicace du Temple après le retour de la captivité comme l’indiquent les Septante. Ce n’est pas seulement en ces deux circonstances d’ailleurs qu’il fut sur les lèvres du peuple. Les Juifs eurent tant de fois à remercier le Seigneur de les avoir sauvés que des occasions innombrables leur étaient offertes de le chanter. Il était le psaume par excellence de l’action de grâces enthousiaste.
Il est particulièrement bien à sa place au temps de Pâques. L’intronisation à Jérusalem de l’Arche qui fut captive des Philistins, comme d’ailleurs la dédicace du Temple, était en effet la figure du retour à Dieu de tous les hommes rachetés, ressuscités sous la conduite du Christ, fils de David. C’est donc dans cet esprit d’action de grâces pour le salut de l’humanité, que l’Eglise le chante ici. Notons bien qu’elle ne demande pas de louer le Seigneur d’une façon générale, comme dans l’Introït ; elle précise la forme de sa louange : Cantáte, benedícite, annuntiáte. Chanter, c’est à dire lui exprimer les transports d’allégresse que font jaillir dans l’âme le salut du monde et plus particulièrement sa présence Eucharistique en nous, gage de résurrection et de vie éternelle. Bénir son nom, du nom nouveau, du nom au-dessus de tout nom que le Père lui a donné parce qu’il s’est fait obéissant jusqu’à la mort, comme nous le chantions, en espérance, au Graduel du Jeudi Saint, et qui est Emmanuel : Dieu avec nous. Enfin proclamer le salut qu’il apporte à chacun, avoir le zèle de faire savoir combien il a été et demeure miséricordieux.
LA MÉLODIE
Une joie ardente et qui veut se communiquer la pénètre toute.
Elle est alerte et entrainante dans l’intonation enveloppant en même temps Dómino d’une nuance de tendresse qui se prolonge discrète et paisible sur les beaux rythmes ternaires de l’Allelúia.
Il y a plus d’ardeur sur le début de la seconde phrase ; la joie est plus extériorisée si l’on peut dire ; Dómino lui-même entre dans l’élan. Mais peu à peu, sur benedícite, revient la discrétion ; il s’agit ici de louer Dieu dans les profondeurs de l’âme et c’est vraiment une touche d’intimité qui est répandue sur nómen éjus ; notez plutôt l’exquise délicatesse de la clivis allongée et de la cadence de éjus.
Vient alors l’admirable motif de béne. C’est moins une invitation qu’une exhortation heureuse, aimable, discrète, comme si l’Eglise voulait nous garder dans le recueillement de l’action de grâces. Nous avons traduit par « de votre mieux » précisément pour tâcher de rendre cette expression très particulière de la mélodie si différente de l’annuntiáte de l’Introït qui, lui, poussait à l’action immédiate. Cette modération ce souci de ne pas distraire de la présence divine caractérise d’ailleurs toute la phrase ; le mouvement est partout retenu ; sur nuntiáte, sur díem et jusque sur le rythme qu’on pourrait bien dire quinaire 3-2, 3-2, de salutáre. La joie légère du début revient pour finir sur les Allelúia mais ici encore tempérée.
Pour chanter cette antienne dans son expression exacte, il va de soi qu’il faut se faire communicatif ; vouloir entrainer à la joie. Beaucoup d’élan donc dans les arsis, bien qu’elles soient très brèves ; bien lancer l’accent de cantáte et de Dómino. Beaucoup de souplesse dans les thésis.
Chanter la première phrase d’un seul mouvement et ne ralentissez pas la thésis de la seconde.
Balancez béne avec grâce et ralentissez les quatre notes qui précèdent le quilisma de nuntiáte. Bien rythmer salutáre en veillant à l’unité du mot. Reprise de joie sur le premier Allelúia.
Cantiques pour Pâques
Ecoutes de pièces
Epître, évangile et préface chantés de cette messe, voir ici