Vingt-deuxième Dimanche après la Pentecôte (XXII)

Table des matières

Commentaires des pièces de cette messe par Dom Baron.

LEÇONS DES MATINES : En Octobre : Les Machabées. En Novembre : Les Prophètes.

EPÎTRE : Dieu poursuivra en nous le bien qu’il a commencé, jusqu’au jour du Christ si nous sommes fidèles à sa grâce. (Phil. I. 6-11.)

EVANGILE : Il faut rendre à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu.(Math. XXII. 15-21.)

IDÉE CENTRALE : Deux fois dans les quelques lignes de l’Epître, Saint Paul parle de l’avènement du Christ Jésus. Notre Seigneur, dans l’Evangile, à la question insidieuse des Pharisiens, lance cette parole de justice : « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu. » Nul doute que cette sentence n’ait été choisie parce que nous sommes à la veille du jour où se fera cette reddition de compte. En fait, avec les mêmes sentiments de frayeur, de contrition mais aussi de confiance en la Miséricordieuse Bonté.

INTROÏT

LE TEXTE

Si les péchés tu regardes, Seigneur,
Seigneur, qui tiendra ?
Mais en toi est le pardon,
Dieu d’Israël.

Ps. Du fond de l’abîme, j’ai crié vers toi, Seigneur.
Seigneur, entends ma voix. (Ps. CXXIX. 3, 4, 1, 2.)

Les versets 3 et 4 qui forment le corps de l’Introït sont une prière très délicate pour obtenir le pardon. Le pécheur ne le demande pas expressément. Il reconnaît même qu’il est indigne de la bienveillance divine et que si Dieu ne voyait que son péché tout espoir de pardon serait à abandonner. Mais il sait que la miséricorde est un attribut divin. Alors, courbé sous la honte mais confiant, il se tient devant le Seigneur et crie du fond de sa misère : « Exauce ma voix… »

L’Eglise, en cette fin d’année, dit cette prière avec un sens profond du besoin qu’elle en a. Elle voit dans les siècles passés, les péché des siens, innombrables et horribles en leur variété. Qui tiendrait en présence de Dieu avec un tel poids de crimes ? Le Christ lui-même en a sué le sang. Elle tremble à l’approche du jour où chacun devra rendre compte. Mais il y a la Miséricorde, cette couronne de la Justice ; alors, confiante en son pardon, elle lance son cri suppliant : De profundis

LA MÉLODIE

Un souffle d’anxiété passe dans la première phrase et en fait une supplication apeurée. Retenu d’abord dans l’intonation, (il y a toutes les chances que le punctum de tes dans iniquitátes soit un si, ce qui changerait en plainte l’assurance de cette cadence sur do) il s’avive peu à peu sur observáveris Dómine et devient une sorte d’effroi à mesure que se développe l’hypothèse d’un examen implacable du péché par Dieu. Sur Dómine, c’est un cri de détresse, mais rapide, comme si l’âme, terrifiée, secouait vite cette vision effrayante pour revenir à la confiance ; la phrase s’achève en effet en une cadence qui n’est plus que plaintive et où l’espoir déjà se fait sentir.

La deuxième phrase est toute autre. Elle chante la miséricorde. C’est un chant de paix. Le torculus élargi, la teneur sur do, les clivis allongées de la thésis, la courbe qui monte si gracieuse sur propitiátio, tout cela est calme, pénétré d’onction même. L’âme, tout en priant, dit à Dieu le bonheur qu’elle a d’être l’objet de sa miséricordieuse bonté. Sur Déus Israël, sa prière monte plus ardente, mais elle n’a plus peur, elle est pleine de confiance, une touche de joie passe même dans la thésis au contact du si et du sol.

Le psaume s’élève alors dans cette atmosphère de confiance et déjà de paix, comme une demande sûre d’être exaucée.

Le contraste entre les deux phrases est très prononcé ; il faut bien se garder de l’accuser davantage. Ne pas pousser l’anxiété dans la première ; qu’il n’y ait rien de passionné. Menez le crescendo sur toute la phrase en veillant de près à l’égalité des notes dans les temps composés ; ce qui n’empêche ni al souplesse ni le léger accelerando du mouvement dans l’arsis. La double note de Dómine à la fin de la première incise sera fortement appuyée ; c’était sans doute un podatus montant du si au do et dont la première note était allongée. Le crescendo par delà cette cadence passera à la seconde incise et s’y développera. Allongez la première note du podatus de Dómine et de même la première note de dans sustinébit.

Retenez toute la seconde phrase et chantez-la doucement, avec beaucoup d’onction. Toujours sans forcer le contraste. Le punctum qui précède le pressus de propitiátio sera quelque peu appuyé. Elargissez la thésis de Déus dans la cadence finale.

GRADUEL

LE TEXTE

Oh Oui ! Qu’il est bon et qu’il est doux d’habiter comme des frères ensemble.

Verset.C’est comme le parfum répandu sur la tête, qui descendait sur la barbe, la barbe d’Aaron.

Ps. CXXXII. 1,2.

Le Psaume CXXXII décrit le bonheur qu’avaient les Juifs à vivre comme en une seule famille, lors de leurs pèlerinages à Jérusalem. C’était « bon et doux ». En Orientaux friands de parfums, ils évoquaient pour en donner idée la consécration du Grand Prêtre qui se faisait par l’effusion sur sa tête d’une huile composée d’aromates précieux : l’effusion était abondante et elle coulait sur sa barbe, même sur son manteau, de sorte que le peuple tout à l’entour était embaumé de cette odeur de suavité.

Dans ces deux versets, l’Eglise, en une sorte de contemplation, évoque les jours tant attendus de la Jérusalem Céleste, quand nous serons un dans le Christ, et que la grâce de sa consécration éternelle descendant sur nous nous enveloppera de suavité, comme jadis le parfum du Grand Prêtre. Ecce quam bónum et quam jucúndum ! Oh ! Oui ! Que ce sera bon et doux !

LA MÉLODIE

C’est un chant de contemplation mais traversé par un désir ardent.

La première incise, très douce, est pure évocation. Dans la cadence en demi-ton de Ecce, passe quelque chose de mystérieux et de souriant à la fois qui se répand ensuite sur les neumes paisibles de bónum et jucúndum. C’est comme un regard d’admiration projeté par l’Eglise sur l’avenir si beau qui est là tout proche. Le désir s’y mêle, il va de soi, mais il est perdu dans le ravissement. Il s’éveille sur habitáre et, tout de suite, enveloppe de son ardeur les mots qui décrivent la belle réalité de demain : cette splendide fraternité de tous les hommes dans le Christ.

Notez la double note de habitáre – une bivirga – attaquée sur le do à partir de et presque sans préparation. Il y a là un mouvement mélodique qui exprime admirablement la ferveur qui soudain jaillit dans l’âme. Cette ferveur s’épanche sur frátres, et sur únum plus encore ; elle trouve là, dans le bel élan vers le pressus, l’expression chaude qui lui convient. Elle se détend ensuite peu à peu en une thésis gracieuse toute pénétrée de paix.

Le Verset. – (I) Sícut unguéntum in cápite quod descéndit in bárbam, bárbam Aaron.

La contemplation paisible du début du Graduel, revenue sur la cadence de únum, s’épanouit tout de suite sur unguéntum. L’âme se laisse aller à dire, sans souci du temps ni de l’espace, tout ce qu’elle évoque de joie, de béatitude, dans l’union qui va se réaliser. Elle le fait en de longs neumes qui se déroulent en courbes gracieuses, légers, tout en mouvement. Une sorte d’insistance se fait jour sur cápite. Est-ce pour chanter le Christ, chef de cette race nouvelle ? Peut-être. Sur descéndit c’est un enthousiasme ardent. La mélodie s’élève aussi haut que peut monter la voix, se déploie large et sonore puis descend par des neumes liés et fluides symbolisant les aromates sacrés du Grand Prêtre et plus encore la grâce qui, du Christ, descend sur les membres et les fait tous un en lui. Quelle merveille que cette thésis qui, du mi supérieur glisse au la grave, dans une paix que rien ne trouble, légère sur les notes élevées ; profonde et grave sur la formule finale, comme le mystère qu’elle chante.

On chantera la première incise dans une grande simplicité. La seconde note du podatus Ecce sera élargie ; bónum et jucúndum quelque peu retenus.

On mettra par contre beaucoup d’ardeur sur toute la seconde incise ; la double note de habitáre sera fermement posée, la voix ira se renforçant sur l’accent tonique et demeurera vibrante jusqu’au pressus de únum. Après quoi elle se détendra tout le long de la thésis dont les derniers neumes seront rythmés avec soin.

Le verset sera très léger. Un crescendo discret montera avec les derniers neumes de unguéntum. Retenez quelque peu cápite et insistez sur les neumes en faisant nettes les répercussions. Que descéndit soit large et sonore ; élargissez la première note du podatus, bárbam sera très lié et la formule finale très retenue.

ALLELÚIA

LE TEXTE

Que ceux qui craignent le Seigneur espèrent en lui ;
Il est leur aide et leur protecteur.

(Ps. CXIII. 11.)

Ces quelques mots sont pour les timides qui, même dans la contemplation de la béatitude prochaine, sentent en eux la peur des épreuves qui la précèderont. L’Eglise les réconforte : « N’ayez pas peur. Ceux qui craignent Dieu, c’est-à-dire, ceux qui ont l’habitude de porter en eux le souci de faire sa volonté et sa joie en toutes choses, le Seigneur les aide et les protège. »

LA MÉLODIE

Elle se déroule très calme, très balancée, sans une touche d’anxiété, dans l’atmosphère de confiance, de paix et de joie du Graduel; contemplative elle aussi.

Il y a sur Dómine un bel accent de tendre vénération ; une invitation qui presse doucement sur spérent et, sur toute la deuxième phrase, une insistance assez fortement marquée ; notez les pressus de adjútor et l’arsis de protéctos qui, elle aussi, s’épanouit sur un pressus. Pour finir, c’est le bel élan de joie de eórum avec la retombée gracieuse qui se poursuit tout le long de la vocalise.

La double note de le dans Allelúia est une bivirga, posez-la bien, de même la virga pointée qui suit ; si vous soulevez la voix entre les deux, vous aurez un rythme souple qui mettra, dès le début, de la vie dans cette arsis si mesurée. Epanouissez-la sur le podatus du sommet qui sera très élargi comme d’ailleurs, les trois notes qui suivent.

Faites très souple et très léger la vocalise de tíment, et élargissez la cadence de te.

Dans la deuxième phrase allez en crescendo discret vers le pressus de protéctor que vous préparerez en appuyant la voix sur la note qui précède.

OFFERTOIRE

LE TEXTE

Souviens-toi de moi, Seigneur,
De toute puissance le dominateur.
Et mets la parole qu’il faut dans ma bouche
Afin qu’elles plaisent mes paroles
En présence du prince.

(Esther XIV. 12, 13.)

Ces paroles sont inspirées de la prière que fit Esther avant d’entrer chez Assuérus. Elle allait à la vie ou à la mort, et seul, Dieu pouvait, usant de sa miséricorde pour son peuple, mettre en elle ce qui la rendrait aimable aux yeux du roi.

L’application en est heureuse ici. Devant Dieu, à qui nous aurons bientôt à rendre ce qui lui revient, comme nous en a averti Notre Seigneur dans l’Evangile, nous ne trouverons un accès favorable que si nous avons été revêtus de ce qui nous rend aimables à ses yeux : la grâce qui, nous faisant participer à la nature divine du Christ, nous fait fils devant le Père et met sur nos lèvres les paroles mêmes du Fils.

LA MÉLODIE

La première phrase est très paisible, humble aussi, mais sans rien de sombre ; ce n’est pas une prière de pénitence mais une demande faite dans un esprit de simplicité, de familiarité même. L’intonation, avec sa cadence arrêtée sur le la et retombant gracieuse, aimable sur le sol, est caractéristique de cette atmosphère filiale.

Il y a une nuance de vénération sur Dómine mais sans contention. Sur potentátui une autorité ferme.

La seconde phrase expose la demande. Le mouvement s’anime tout de suite. Lancé sur le salicus de da il va d’un jet de plus en plus puissant et sans s’arrêter, à travers réctum, sur os méum et, par-delà la demi-barre, sur ut pláceant qui est le mot important entre tous. Il y a dans cette montée une ardeur de supplication que la pensée de notre présence devant Dieu pour le jugement rend émouvante. La détente se fait lentement sur vérba méa.

Sur in conspéctu, le mouvement devient à peu près rectiligne. L’Eglise ne demande plus ; le mot l’a prise toute. Elle demeure fixée sur cette présence, sur cette vision dont elle va jouir bientôt et qui va combler ses désirs et ceux de tous ses membres depuis les siècles. Et elle la chante sur quelques notes seulement qui s’élèvent et s’abaissent à peine au rythme de la paix heureuse dans laquelle elle contemple. Il n’y a pas autre chose en effet que de délicats touchements sur fa jusqu’à ce que la dernière cadence enveloppe príncipis de tendresse.

Faites l’intonation très liée et gracieuse et toute la première phrase souple et sans aucune recherche d’effet.

Le crescendo de la seconde sera pris du début et mené discrètement. Faites une répercussion sur le premier podatus de réctum et arrondissez, en l’élargissant un peu, le sommet de pláceant.

Il faudra détailler le rythme de in conspéctu mais dans un legato très soigné, sans presser, et faire le pressus de la fin, délicat.

COMMUNION

LE TEXTE

J’ai crié parce que tu m’as exaucé, ô Dieu.
Incline ton oreille et exauce mes paroles.

(Ps. XVI. 6.)

Belle prière, simple et confiante : « Je crie parce que, en m’exauçant jusqu’ici, tu m’as encouragé », tel en est le sens précis. Prononcés dans l’intimité de la communion, elle redit au Seigneur la foi que l’âme a en lui et aussi quelque peu son angoisse, à l’annonce du cataclysme prochain.

LA MÉLODIE

Ego clamávi est tout paisible. C’est une simple constatation avec égo bien en relief. A partir de quóniam, il y a un mouvement arsique très prononcé. Commencé sur les deux podatus, il monte, insistant, sur exaudísti, s’attarde un court instant sur Déus et atteint toute sa puissance sur inclina aúrem túam. C’est une progression magnifique où l’on retrouve la supplication ardente de l’Introït , mais sans anxiété, au contraire elle est aimable et même pénétrée de joie. La détente est rapide sur et exaúdi tandis que la cadence de vérba donne une impression de paix toute reposée.

Marquez bien les podatus de Ego ; de même ceux de quóniam. Il faut qu’un souffle puissant passe dans l’arsis et mène tout jusqu’au sommet et sans aucun ralenti. Faites exaúdi très expressif. Le climacus de vérba sera retenu avec grâce.

Epître, évangile et préface chantés de cette messe, voir ici