Commentaires des pièces de cette messe par Dom Baron.
LECONS DES MATINES :En août : Eccles. Sag. Ecclésiastique. En septembre : Job, Tobie.
EPITRE : Ce n’est pas la loi qui donne la vie, mais la foi (Gal. III. 16. 22)
EVANGILE : Les dix lépreux guéris. Un seul rend grâce. Notre-Seigneur lui dit que sa foi l’a sauvé (Luc XVII. 11, 19).
IDEE CENTRALE : On peut tout grouper, si l’on veut, autour de la foi, condition de salut.
La collecte nous en fait demander l’augmentation. Saint Paul, dans l’Épître, montre avec insistance que c’est la foi dans la promesse du Messie, une foi pénétrée d’espoir et d’amour, et non la loi, qui a sauvé les hommes depuis Abraham jusqu’à Jésus-Christ. Des dix lépreux dont l’Évangile nous rapporte la guérison, un seul eut la foi vive, qui lui fit exprimer sa gratitude et rendre gloire à Dieu. Ce fut aussi le seul à qui Notre-Seigneur dit : « Ta foi t’a sauvé. »
INTROÏT
LE TEXTE
Souviens-toi, Seigneur, de ton alliance, et les âmes de tes pauvres ne les délaisse pas à jamais. Lève-toi Seigneur, et justifie ta cause. Et n’oublie pas la voie de ceux qui te cherchent.
Ps. – Pourquoi, ô Dieu, nous as-tu repoussés à jamais ? Est-elle allumée, ta fureur, contre les brebis de ton pâturage ?
Ps. LXXIII. 20, 19, 23, 1.
Dans le psaume, les versets qui forment ici le corps de l’Introït sont la fin d’une prière très émouvante inspirée par la détresse des malheureux qui semblent abandonnés. Le Psalmiste la présente très habilement en faisant, comme Moyse, appel à l’alliance jadis contracté entre le Seigneur et son peuple.
Il n’y a rien à changer à ce texte pour le faire entrer dans l’esprit de la loi nouvelle; l’alliance demeura, scellée même à nouveau, dans le sang du Christ. Bien plus, il entre de plein pied dans l’idée centrale de cette messe, car cette alliance n’a de valeur que dans la foi. C’est donc en fait la foi de ses membres que l’Église demande au Seigneur de regarder pour qu’il se décide enfin, dans sa miséricorde, à les sortir de leur détresse, et à les aider à le trouver pour vivre avec lui dans la joie de la promesse réalisée.
LA MÉLODIE
La prière est ardente dès le début. La mélodie en partant du sol par un mouvement de quinte puis de tierce, Respice Domine, la revêt en effet d’un accent d’intense supplication. Elle se détend ensuite sur testamentum qu’elle met aussi en relief, mais par une courbe gracieuse, et sans pression, tous les neumes se succédant par degrés conjoints. Sur animas pauperum, l’âme, comme en un retour sur elle-même, prend conscience de ses misères et leur poids la tient comme courbée sur la détresse; peut-être aussi sous la honte, toujours est-il que son chant ne monte plus, il demeure fixé dans le grave. Il n’en est pas moins suppliant. Il y a même quelque chose de prenant dans cette insistance sur le do qui va en progression vers ne derelinquas et qui trouve enfin, sur le pressus l’ardeur qu’elle cherche, laquelle d’ailleurs se détend aussitôt en plainte délicate sur in finem par la cadence en demi-ton.
Alors, au début de la deuxième phrase, un appel émouvant jaillit : Exsurge Domine. D’abord retenu sur les premières notes de Exsurge par le quilisma, il monte comme un cri véhément sur la bivirga de Domine. On y sent l’âme chargée d’angoisse, toute tendue vers la miséricorde de son Dieu. Le calme revient vite sur et judica. Il se continue jusque dans la troisième phrase où obliviscaris vient répondre à judica. Un accent plus vif sur quaerentium, qui se détend peu à peu pour envelopper te de douce vénération, et la prière est finie.
Elle reprend sur le Psaume, ardente encore, bien servie d’ailleurs par les formules du VIIe mode.
GRADUEL
LE TEXTE
Souviens-toi, Seigneur, de ton alliance. Et les âmes de tes pauvres ne les délaisse pas à jamais.
Verset. – Lève-toi, Seigneur, et justifie ta cause. Souviens-toi des opprobres de tes serviteurs. Ps. LXXIII, 20, 19, 23.
Ce sont les paroles mêmes de l’Introït. Seule la dernière phrase a été changée, mais l’idée est à peu près la même : une prière pour demander au Seigneur d’aider ceux qui luttent pour demeurer dans la foi vive et s’élever au-dessus de la lettre de la loi qui , à elle seule, ne peut rien.
Belle paraphrase du dernier mot de l’Épître. « L’Écriture a tout renfermé sous le péché afin que la promesse fût réalisée pour les croyants dans la foi en Jésus-Christ ». L’effet de la promesse se fait attendre et c’est dur d’espérer dans la nuit : « Seigneur, rappelle-toi tes promesses… »
LA MÉLODIE
La première incise est paisible et douce, mais la prière y est déjà. On la sent dès le début, ferme et insistante sur la bivirga de Respice qui coïncide si heureusement avec l’accent tonique. Elle monte peu à peu à travers la vénération qui enveloppe Domine et sitôt passé le nom divin, se laisse aller sur testamentum à une ardeur qui ne cesse plus de croître jusqu’à la fin de la phrase.
A peine retenue un instant par la cadence en la, elle passe dans la phrase suivante où, tout de suite, la demande précise est lancée, en pleine force et sans préparation, sur la dominante. C’est un motif d’une très grande beauté et très expressif. La voix, toute en élan sur la double note de et, retombe douce sur la dernière syllabe de animas, s’y renforce légèrement puis se détend sur pauperum en une nuance délicate de plainte amenée par la cadence sur la et prolongé par le sib. Cette détente n’est qu’une nuance; le mouvement reprend sur les triples notes de tuorum trois fois répétées, avec une vigueur qui plaide instamment près du Seigneur en faveur de « ses » pauvres.
Ici encore, cette vigueur ne s’éteint pas sur la cadence, elle passe sur ne obliviscaris s’y renforce le long de la montée syllabique, qui rappelle celle de in testamentum et, après une détente légère, s’en va éclater sur in finem en un cri lent et véhément à la fois qui devient, sur ce mot si terrible, une émouvante supplication.
Le verset
Au lieu du cri de détresse de l’Introït, un chant lent et doux s’élève sur Exsurge Domine. Le motif est très beau. C’est celui qui chante la miséricorde dans le Graduel du IIe Dimanche après l’Épiphanie . On peut y déceler ici une plainte délicate. Mais l’âme ne chante-t-elle pas plutôt sur cette magnifique formule, paisible et mesurée, la bonté infinie de son Dieu sur laquelle, pour un instant, elle demeure comme fixée en contemplation ?
Elle revient à la supplication, dans la seconde phrase, utilisant des motifs, parfois employés à d’éclatantes louanges mais qui se prêtent bien aussi à la prière ardente; telle cette montée vers la bivirga de judica qui est de la plus haute expression. La même formule est reprise sur causam mais, au lieu de s’achever en un cri violent, elle se détend sur tuam en une plainte qui se fait insistante et qui s’achève en une cadence bien mineure, où vraiment s’épanche la tristesse.
La dernière phrase, dès le début, s’établit en fa. Il s’en suit comme un soulagement. C’est encore la prière; on la sent monter sur memor esto et insister sur opprobrii, mais il ne s’y mêle plus d’angoisse, et, sur la formule finale, l’âme est toute paisible et abandonnée.
ALLELUIA
LE TEXTE
Seigneur, un refuge tu as été pour nous de génération en génération. Ps. LXXXIX.1
C’est Moyse qui adresse à Dieu ces paroles. Elles résument la gratitude de tout le peuple, pour ne pas dire de toute l’humanité.
Elles viennent bien après l’Épître où Saint Paul rappelle les promesses faites à Abraham et ses descendants, et leur accomplissement. Nous aussi, nous sommes fils d’Abraham, vrai fils d’Abraham, ayant hérité de lui la foi et les promesses en Jésus-Christ. Grâce à l’asile que nous trouvons à chaque instant ouvert en Dieu, nous allons, indemnes de tout ce qui nous touche, à leur heureuse réalité, tandis que de génération en génération la famille du Patriarche atteint le nombre des étoiles. C’est donc bien notre gratitude à nous aussi et celle de toute l’Église que ces mots portent à Dieu.
LA MÉLODIE
Elle est toute pénétrée de joie, et c’est bien ainsi pour une action de grâces. Cette joie ne s’exprime pas par de grands élans mais par une ligne mélodique très souple et très légère. Elle monte sur Domine, retenue à dessein sur le nom divin pour un épanchement de gratitude aimante, mais en une progression splendide, appuyée et renforcée délicatement par les quilismas, les pressus, les clivis allongées et qui prend du mouvement à mesure qu’elle atteint le sommet. Elle se détend sur refugium en des neumes qui s’étirent, se retiennent, comme si l’âme ne voulait pas finir de chanter ce titre qu’elle donne au divin protecteur et qui pour elle dit tant de choses. Le mot achevé, elle se ressaisit et, par une remontée de quarte, repart sur factus est nobis, s’attardant d’ailleurs à nouveau très vite dans le même sentiment de gratitude heureuse.
La seconde phrase est liée de très près à la première; c’est la même idée. La joie y est peut-être plus extériorisée, moins extatique, si l’on peut dire, notamment sur la vocalise de generatione dont les deux torculus font un si beau rythme ternaire et sur celle de la finale, merveille de souplesse et de grâce.
OFFERTOIRE
LE TEXTE
En toi j’ai espéré, Seigneur, j’ai dit : tu es mon Dieu, dans tes mains, mes années.
Ps. XXX. 15, 16.
Dans le Psaume, ces deux versets se terminent par : « délivre-moi »; ils sont là une prière. Ici, « délivre-moi » ayant été omis, ils disent seulement la confiance de l’âme qui, dans un acte d’abandon, remet entre les mains de Dieu ses années, avec la puissance de souffrance et de joie qui se trouve en elles : toute sa vie.
Comme ces simples paroles traduisent bien le geste reconnaissant du lépreux tombant le visage contre terre devant le Christ-Jésus qui vient de le guérir !… et le nôtre à nous aussi, qui avons si souvent reçu le même bienfait de la santé et de la vie rendues.
C’est l’offertoire de la messe de mariage. Il prend là un sens quelque peu différent, mais plus beau encore, émouvant même, car il est la remise que les époux, en plein bonheur, font entre les mains de Dieu de leur destinée, à l’instant même où elle commence.
LA MÉLODIE
C’est plus la paix que la joie qu’elle chante. Il n’est pas de paix qui ne soit mêlée de joie, mais il y a dans cette mélodie une tranquillité si marquée que c’est vraiment l’abandon heureux, sans souci du bonheur qui l’accompagne.
Dès l’intonation, on est dans cette atmosphère de paix. Sur ce mot qui dit la confiance que l’âme a toujours eue dans le Seigneur, la mélodie monte lentement, retenue à dessein par le salicus, la note pointée, le quilisma, la clivis allongée, puis, se détend, tout à l’aise, sur la distropha et le long des neumes qui, sans le moindre heurt se joignent à ceux de Domine pour atteindre, comme en glissant, la fin de la phrase. Mais à travers ce legato que rien ne trouble passe la reconnaissance baignée de tendresse de l’âme. C’est elle, en fait, qui retient le mouvement, comme si elle voulait plus de temps pour dire à Dieu son bonheur.
C’est dans la même paix heureuse qu’elle va chanter les mots de confiance qui vont engager toute sa vie. Dixi, qui les annonce, reçoit du podatus et de la distropha un très beau caractère de fermeté, renforcé encore par le podatus allongé qui monte au la. Mais, bien plus que l’assurance de sa fidélité, c’est la joie d’amour qu’elle ressent à chanter ce qu’elle a tant de fois exprimé à l’Hôte Divin dans l’intimité, que l’âme fait passer dans ces quelques notes. Et c’est très beau; si naturel, si simple, si spontané ! Cet élan de bonheur intense se détend sur Deus meus avec une grâce exquise. L’âme se complait sur ces quatre mots, qui vont en progression sur le pressus de meus poussés par l’élan d’amour délicat qui les fait s’achever sur une cadence en demi-ton toute de tendresse.
Cet épanouissement n’est pas une fin, la progression continue sur in manibus tuis. C’est ici le sommet de l’idée : la formule même du don total. La mélodie dans la tonalité claire du mode de fa, touche le la par un motif léger, joyeux où passe un rien d’enthousiasme, revient au fa et s’y appuie, se balançant entre les notes doubles ou triples en des ondulations souples qui chantent le bonheur de l’âme, profond toujours, mais bien près d’éclater. La cadence finale en ré n’a elle-même rien de sombre, amenée qu’elle est par le torculus do-mi-ré.
COMMUNION
LE TEXTE
Un pain qui vient du ciel, tu nous as donné, Seigneur, ayant toute délectation et toute la saveur de la suavité. Sag. XVI. 20.
Dans le sens littéral du livre de la Sagesse, c’est de la manne qu’il s’agit, aliment qui vraiment venait du ciel et qui était toute saveur. C’était la figure de l’Eucharistie.
Ici c’est la réalité qui est chantée, le Pain Eucharistique. Vrai pain du ciel, car il est le corps du Verbe Incarné dont la vision rassasie dans l’éternité les Anges et les Bienheureux. Nourriture de notre vie spirituelle aussi, en ce sens que la grâce du sacrement, en augmentant la foi, l’espérance et la charité, entretient en nous la pensée du Christ-Jésus et nous incite à nous donner de plus en plus à lui. Placés ainsi sans cesse, de toute la force de notre libre vouloir, sous son influence, ne n’est plus nous qui vivons, c’est lui qui vit en nous, nourrissant notre intelligence et notre volonté de sa propre lumière et de sa propre joie.
C’est cette lumière et cette joie que l’Église communiante chante ici.
LA MÉLODIE
Une belle phrase, d’abord réservée, qui monte en joie enthousiaste sur Domine et qui se détend sur omne delectamentum en un motif très gracieux, retenu par la tristropha, le salicus, la clivis allongée, le porrectus, comme pour évoquer à loisir toutes les joies de l’amour. Elle se relie très étroitement à la suivante qui reprend l’idée de délectation et la développe sur suavitatis en un motif d’une exquise suavité.
Le torculus la-do-fa, relié au salicus et les quatre notes qui suivent, retenues par le quilisma, sont admirables de grâce souple et légère.
Epître, évangile et préface chantés de cette messe, voir ici