L'introït Dum clamarem du Xe dimanche après la Pentecôte par la Schola Bellarmina
Commentaires des pièces de cette messe par Dom Baron.
INTROÏT
LE TEXTE
Versez votre rosée, cieux, d'en haut, et que le nuages pleuvent le Juste. Qu'elle s'ouvre, la terre, Et qu'elle germe le Sauveur.
Ps.- Les cieux disent la gloire de Dieu
Et l'œuvre de ses mains, il la proclame, le firmament. Isaïe, XLV, 8 - Ps. XVIII, 2.
Au chapitre XLV, Isaïe rapporte ce qu'il a entendu le Seigneur dire à Cyrus, qu'il va susciter pour être son christ, sauver le peuple et rebâtir la cité et le temple. A la vision de ce sauveur d'un moment, par delà lequel il voit le Messie et son œuvre éternelle, il est transporté et, interrompant sa prophétie, lance vers le ciel son désir ardent pour que soit bâtie la venue des deux libérateurs. Il le fait sous la forme poétique de la rosée qui fait germer la plante, symbolisant ainsi l'action divine qui fera de Cyrus et du Christ des sauveurs parfaits.
Au sens liturgique, c'est l’Église qui appelle le Messie. Rien n'est à changer dans l'image du prophète, mais il faut lui donner tout son sens divin. La rosée sollicitée du ciel, c'est l'action fécondante du Saint-Esprit ; la terre, c'est Notre-Dame, fleur de la race, qui s'ouvre au sommet de la tige de Jessé et qui, fécondée sous l'ombre mystérieuse de l'Esprit du Très-Haut, va produire son fruit divin ; le Verbe fait chair.
Cette prière admirable et tout à fait à sa place le Mercredi des Quatre-Temps, tout entier consacré à l'Annonciation. Il faut lui garder ici la même interprétation ; d'autant que, par l'Offertoire et la Communion tout au moins, le mystère continue d'être fêté. Et il faut la chanter comme la prière suprême, entendue de Dieu par delà les siècles, et qui a contribué à faire venir plus tôt l'heure du Messie et de Notre-Dame ; mais aussi, comme la supplication qui va mériter aux âmes de recevoir le Verbe fait chair quand il va revenir et de se livrer à l'influence de son Esprit comme la terre à la rosée, lui donnant ainsi ce qu'il attend d'elles pour réaliser la plénitude de son Incarnation.
Le Psaume, lui, n'est pas une prière ; il est la constatation joyeuse des merveilles de Dieu qui se réalisent dans le mystère.
LA MÉLODIE
Une prière ardente de deux phrases qui s'opposent ici, encore, suivant le texte, comme le ciel et la terre.
La première est un admirable mouvement de l'âme portant on désir, comme dans le graduel. Qui sédes, aussi haut que possible, jusqu'aux nuées fécondes d'où va venir la céleste rosée, puis redescendant douce et paisible comme descendra le Juste qu'elle chante. La supplication est ardente sur le pressus de caeli, les quilismas de désuper, le pressus de pluant, mais il n'y a pas d'inquiétude, de doute, d'angoisse ; au contraire, une grande sérénité et une joie discrète se mêlent partout à la prière dans la tonalité claire du mode de fa ; la joie de l'Eglise qui sait, car elle en jouit déjà, tout le bonheur qu'il y a pour elle dans cette pluie fécondante qu'elle sollicite.
La seconde a moins d'élan. C'est la terre que l'Eglise regarde et encore qu'il s'agisse de Notre-Dame, ce chef-d'œuvre de grâce qui va produire la nature humaine du Christ, n'est-elle pas tout en bas par comparaison avec l'infinie perfection du verbe qui va y descendre ? Et puis, c'est le mystère dont la profondeur ne saurait se chanter ; Aussi, après l'ardeur de la supplication sur aperiatur, la mélodie revient-elle au mode de ré, et en des neumes qui s'effacent de plus en plus, elle s'éteint, gracieusement d'ailleurs, sur Salvatorem, le mot du désir.
La deuxième note de ra dans Rorate doit être élargie. Le crescendo de la première incise sera ardent mais sans éclat ; c'est une prière. Bien accentuer nubes et aller sur le pressus de pluant en progression.
Veiller à ce que tur dans aperiatur ait bien sa valeur et qu'on ait le temps d'articuler. Térra sera légèrement retenu ainsi que les quatre dernières notes de gérminet.
Le Psaume sera chanté dans un bon mouvement et pénétré déjà de la joie du « Gloria in excelsis » qu'il prophétise.
GRADUEL
LE TEXTE
Il est proche, le Seigneur,
De tous ceux qui l'invoquent,
De tous ceux qui l'invoquent dans la vérité.
Verset. - La louange du Seigneur,
Elle la chantera, ma bouche,
Et que toute chair bénisse le Seigneur. Ps. CXLIV, 18, 21.
Dans la première partie, le psalmiste exprime une idée très simple ; à savoir que le Seigneur est tout disposé à écouter ceux qui le prient. Toutefois, il a précisé d'un mot : ceux qui le prient dans la vérité ; c'est-à-dire qui lui demandent, en toute sincérité, des chose vraies ; entendons : ceux qui sont conformes à sa volonté, car la vérité, c'est, en même temps, ce que Dieu pense et ce que Dieu veut.
Le Verset, lui, est un hommage de reconnaissance de l'âme qui promet à Dieu une louange sans fin en retour de la bienveillance qu'il lui témoigne.
Au sens liturgique, peut-être serait-on porté à s'appuyer sur les premiers mots Prope est Dominus pour faire entrer ce texte dans le cadre de l'Avent. Ce ne serait pas absolument exact car c'est en tout temps que le Seigneur exauce ceux qui savent le prier. Il ne faut pas non plus le rattacher à l'Epître qui vient d'être lue, mais à l'Epître du mercredi précédent pour laquelle il a été choisi. Dans cette Epître, on nous ait entendre l'histoire d'Achaz qui, par manque de confiance, refusa de demander un prodige au Seigneur et qui reçut, en réplique, d'Isaïe la fameuse prophétie qui annonçait le prodige des prodiges : « Le Seigneur vous donnera lui-même un signe : Voilà qu'une Vierge concevra et enfantera un Fils et son nom sera Emmanuel ». A la fin de ce récit, ces deux versets viennent sur es lèvres de l'Eglise comme une sorte de réflexion. Repliée sur elle-même et gardant bien présent à l'esprit tout ce qu'elle vient d'entendre, elle se dit : Achaz a eu tort...Le Seigneur est tout près de ceux qui l'invoquent et bientôt il sera plus près d‘eux encore ; car le prophète a dit que Celui qui doit venir aura nom Emmanuel, ce qui veut dire : Dieu est avec nous.
Cette annonce précise de l'Incarnation amène alors la grande louange du Verset. Laudem Domini...
LA MÉLODIE
(V) Prope est Dominus omnibus invocantibus éum omnibus qui invoquant éum in verita te.
Elle est composée de trois formules : celle de Prope est Dominus et les deux de éum. Ces formules sont reliées entre elles par les motifs presque syllabiques de omnibus invocantibus et de omnibus qui invoquant. Un seul mot est original, in veritate, encore s'achève-t-il en une formule finale commune.
Le fait qu'elle est à ce point centonisée n'empêche pas qu'elle soit très expressive. L'auteur s'est servi de formules toutes faites mais il les a choisies pour le texte et les a disposées de telle sorte qu'elles puissent en exprimer au mieux le contenu. Notez qu'elles sont placées sur les mots importants : Dominus, le nom divin, et éum qui le représente ; et que, par le contraste que font leurs neumes avec les motifs syllabiques qui les entourent, elles les mettent en particulier relief. Aussi bien est-ce le mot de l'Epître : Pete signum a Domino, dit Isaïe. Non tentabo Dominum, répond Achaz. Propter hoc dabit Dominus ipse vobis signum, réplique le prophète.
L'intonation est grave. (Cette formule n'est employée que sur le mot Dominus ; de sorte qu'elle est moins une formule centon qu'un motif réservé uniquement au nom du Seigneur, comme plusieurs autres.) Mais ce serait une erreur d'y voir la moindre tristesse. Au contraire, on y discerne déjà en une nuance discrète la joie qui se dégage du texte et qui caractérise tout le Graduel. Toute pénétrée de respect, elle se retient, s'efface, sur le nom divin, mais, sitôt après, elle se laisse aller, se développe sur omnibus invocantibus et va s'épanouir sur éum en un bel élan qui se détend dans la plénitude de la cadence en fa. Elle passe dans la seconde phrase, s'élève avec grâce sur omnibus, puis redescend dans le grave où elle se revêt à nouveau sur éum d'une certaine révérence qu'elle garde jusqu'à la fin.
Le Verset. - Laudem Domini loquétur os méum Et benedicat omnis caro nomen sanctum éjus.
La joie est ici enthousiaste. Lancée avec une ferme assurance sur la distropha de Laudem, elle se développe en une sorte de contemplation sur Domini : légère, souple, heureuse. Une nuance de tendresse plus marquée passe avec le si b, puis l'exaltation, grandissant à nouveau, va vers loquétur os méum où elle atteint toute sa puissance d'expression sur les mots mêmes qui disent la joie de pouvoir chanter à jamais.
L'enthousiasme est le même dans la seconde phrase. Sitôt qu'elle a été ramenée à la dominante, la mélodie s'élance à l'extrême limite du mode, enveloppant de toute sa puissance l'ardent souhait de l'Eglise. Elle s'y arrête d'ailleurs ensuite en un gracieux mouvement descendant, puis, pour finir, se pénètre à nouveau de tendre respect sur nomen sanctum éjus.
Comme on le voit, ce verset a un caractère de joie éclatante qui ne s'est pas encore rencontré au cours de l'Avent. L'auteur a-t-il voulu donner là comme une première annonce de la joie de Noël et en pénétrer déjà l'âme des fidèles ? On a d'autant plus de raisons de le croire que les formules 53 et 54 sont particulières à la période de la Nativité. On les trouve ailleurs, mais elles sont si fréquemment répétées au temps de Noël qu'elles contribuent, sans aucun doute, pour leur part, à créer l'atmosphère musicale. El semble que ce soit comme le début d'un crescendo de joie qui, parant du Mercredi des Quatre-Temps, jour consacré à l'Annonciation, jour de l'Incarnation, atteint toute sa puissance aux jours de Noël et de l'Epiphanie.
Ne pas chanter l'intonation avec des effet de basse, mais avec la simplicité et la douceur qui conviennent à une contemplation paisible. Le crescendo est le premier éum sera discret et mené dès le début de l'incise ; C'est une formule assez délicate mais très expressive. Il y a sur le do une distropha, puis al première note de la clivis ou du climacus ; les distrophas seront posées doucement et la voix, renforcée, ira vers la note qui suit pour la répercuter, délicatement. Il s'en suivra une onction pénétrée de ferveur qui servira admirablement le pronom éjus qui tient la place de Dominus.
Retenir quelque peu veritate ; la tristropha, douce. Bien distinguer dans la vocalise qui suit, sur le la, les deux distrophas, du pressus ; lles reçoivent doucement le posé de la voix ; de même celle qui se trouve sur le do dans la dernière incise.
C'est une bivirga qu'il y a sur Laudem au début du Verset ; qu'elle soit appuyée, forte et bien lancée. Sur Domini, deux distrophas et répercussion sur la première note de la clivis ; même interprétation que plus haut. Une bivirga avant les deux climacus qui finissent la première phrase ; bien accuser la première note du second.
La tristropha de os, légère. Bien pendre grade à donner toute leur valeur aux trois notes qui précèdent les notes doubles de méum ; les retenir légèrement évitera le danger d'en faire un triolet. Poser nettement l'épisème vertical de omnis, allonger même un peu la note. (Dans plusieurs cas, la 2ème note est un quilisma.) Un gracieux ralenti sur sanctum, qui se poursuivra sur éjus jusqu'à la fin.
ALLELUIA
LE TEXTE
Viens, Seigneur et ne tarde pas.
Pardonne les péchés de ton peuple.
Cette phrase ne se trouve pas dans l'Ecriture. L'idée en est très simple et s'applique sans difficulté à l'un ou à l'autre des sens de l'Avent. C'est une prière dont l'objet est nettement déterminé : la prière de tout le peuple de Dieu, de toute l'Eglise, suppliant le Christ de venir sauver le monde.
LA MÉLODIE
On la rencontre deux autres fois au cours de l'année : le XXe Dimanche après la Pentecôte (Alleluia Paratum cor méum) et à la messe Loquebar d'une Vierge Martyre (Alleluia Adducentur).
Elle commence dans le grave et se meut lentement dans toute la première phrase, comme la prière très humble du pécheur qui n'ose pas lever les yeux, accablé qu'il est sous ses fautes. Ce n'est que dans la seconde incise qu'elle prend un peu d'ardeur, il y a sur et noli tardare un très bel accent de pressante supplication.
Dans la seconde phrase, la prière est plus aisée sur relaxa. La longue vocalise de facinora est, en elle-même, assez indifférente, mais elle prend, avec les mots, un caractère de prière fort bien adapté. Il y a, dans la répétition du motif initial, une progression qui fait la supplication de plus en plus forte. La première fois, elle monte par trois degrés au si b ; la seconde fois, par un seul mouvement de quarte, elle atteint le do qu'elle marque d'un pressus ; la troisième, elle s'y pose sans préparation et y demeure trois temps. Il y a là une vigueur accrue du plus heureux effet. La mélodie redescend ensuite dans le grave et finit sur une formule propre à certains graduels du Ier mode, elle aussi très priante et très humble, avec une touche assez marquée de crainte révérentielle.
L'Alleluia, lui, est du IIIe mode, mais l'unité demeure parfaite et l'expression y trouve son bien. L'Alleluia ayant en lui-même un caractère de louange que le contraste rend plus marqué encore.
Prendre garde de faire trop longue la double note initiale de l'Alleluia, lequel doit avoir un certain mouvement. Bien balancer le rythme de l'arsis ; la vocalise légère.
Veni Domine tranquille et discret. Crescendo sur noli ; tardare sans éclat. Noter que, dans les thésis de la seconde phrase, toutes les notes doubles sont des distrophas, légères donc ; de même les deux qui précèdent la clivis sur le do, à la dernière reprise du motif. Par contre plé dans plébis est une bivirga. Lier avec soin les grands intervalles de l'avant-dernière incise.
OFFERTOIRE
LE TEXTE
Salut, Marie, de grâce remplie,
Le Seigneur (est) avec toi.
Bénie (es-)tu entre les femmes,
Et béni le fruit de ton sein.
C'est la salutation de l'Ange Gabriel à Notre-Dame et celle d'Elisabeth combinées en un seul texte, lequel forme la première partie de la Salutation angélique. Il n'y manque que le dernier mot, Jésus, qui d'ailleurs ne fut pas dit par Elisabeth.
Au sens liturgique toutefois, ce n'est ni l'Archange ni Elisabeth qui saluent Notre-Dame ; la combinaison des deux salutations en un seul texte s'y oppose. C'est toute l'Eglise qui, au moment où est commémorée la Conception de Notre Seigneur, fait monter sa louange vers celle que Dieu a choisie pour sa mère. Elle a entendu, au cours de la semaine écoulée, le mercredi, le récit de l'Annonciation, le vendredi, celui de la Visitation ; elle recueille, sur les lèvres de l'Archange et d'Elisabeth, les paroles inspirées pour les redire à Notre-Dame, comme l'hommage le plus parfait qu'elle puisse rendre à sa sainteté incomparable et à sa maternité divine.
Bien noter que c'est une salutation. Ceci implique que les chanteurs soient en communication directe avec Notre-Dame : qu'ils chantent pour elle et qu'ils aient conscience que du haut du ciel, elle les écoute et reçoit leur hommage dans la joie de son cœur maternel.
LA MÉLODIE
Quatre phrases (Ave Maria gratia plena ne forme qu'une seule phrase. La grande barre qui suit Maria doit être considérée comme une demi-barre). Les trois premières, en progression l'une sur l'autre, conduisent l'idée jusqu'à Benedicta tu, point culminant de la louange. La quatrième redescend vers le grave où elle s'achève dans la contemplation du mystère.
Il n'y a pas d'éclat dans l'Ave de l'intonation ; c'est un salut gracieux enveloppé de vénération profonde et tendre. Tout le long de la première phrase, l'âme se complaît dans cette attitude d'humble hommage ; elle s'anime seulement, d'un accent de ferveur, sur le nom béni. Un bel élan, habilement préparé, porte la syllabe accentuée de Maria à la dominante où les notes doubles et répercutées mettent un peu plus d'ardeur, d'admiration et d'amour. Mais ce n'est qu'en passant. Elle revient au grave sur gratia pléna et s'y enveloppe plus encore de contemplation ; aussi bien y a-t-l ici quelque chose de plus que la salutation. C'est déjà le mystère, le mystère indicible de l'Immaculée. La phrase s'achève sur pléna par un pressus qui met bien en valeur ce mot de plénitude, qui ne peut se dire que du Christ et de sa Mère.
Dès le début de la seconde phrase, la mélodie, établie sans préparation sur la dominante, prend tout de suite une allure de louange éclatante. C'est une qualité nouvelle que l'Eglise salue en Notre-Dame : son union avec Dieu. La plénitude de la grâce, c'est déjà le Seigneur avec l'âme ; mais, sur les lèvres de l'Archange, le Dominus técum indiquait une modalité spéciale de l'union divine. Le Seigneur est avec Notre-Dame comme il n'est avec personne. C'est de cette union merveilleuse que l'Eglise félicite Marie. La mélodie la sert admirablement. Le s'épanouit sur Dominus en un beau motif plein d'élan, deux fois répété, qui dit l'admiration enthousiaste que provoque l'infinie grandeur de Dieu, tandis que, sur técum, elle se retient comme recueillie, étonnée, confondue d'admiration, devant l'ineffable sainteté de Notre-Dame.
Elle se reprend sur Benedicat tu pour s'élancer cette fois à la limite de son étendue. C'est le troisième mot de a louange. Il est la conséquence des deux autres. C'est parce qu'elle est pleine de grâce et que le Seigneur est avec elle que Marie est bénie entre toutes les femmes ; nouvelle Eve, celle que toutes les nations diront Bienheureuse. La mélodie le met au-dessus de tout ; elle dépasse la dominante, monte et plane, à loisir, dans les hauteurs, s'appuyant sur des notes doubles et des pressus qui lui permettent de déployer toute sa puissance et de colorer d'accents de ferveur ce mot de bénédiction. Il s'achève sur le pronom tu en une belle cadence pleine et large qui va tout droit à Notre-Dame avec une nuance délicate de tendresse. La seconde incise ramène à la dominante le mot muliéribus. L'admiration s'y prolonge, toujours fervente ; notez le pressus et le torculus avec son mouvement hardi de quarte retombant sur la bivirga de la syllabe accentuée. D'une façon assez inattendue, la phrase s'achève par une cadence en demi-ton sur si qui laisse la mélodie en suspens, comme si l'Eglise, évoquant en une sorte de contemplation toutes les femmes de la race, les voyait se perdre en une perspective infinie, tendues en un geste de bénédiction vers Notre-Dame qui, de très haut, enveloppée dans la gloire du Verbe Incarné, les domine toutes de l'éclat de sa maternité.
La quatrième phrase est, de toutes, la plus profonde. Ici, c'est le mystère ; le mystère du Verbe fait chair dans le sein de Notre-Dame. La mélodie abandonne les hauteurs, descend par degrés, sur benedictus qu'elle souligne seulement d'un pressus, descend encore sur fructus, puis demeure dans le grave, presque sans se mouvoir. Un motif deux fois répété de quelques notes qui montent et descendent par degrés conjoints sur véntris, un dernier pressus sur tui comme pour faire rejaillir la gloire du Fils sur la Mère - car c'est pour le Fils qu'est toute la louange dans cette dernière phrase - et c'est tout. L'ineffable ne saurait s'exprimer.
Il faut chanter avec beaucoup de souplesse. On y veillera particulièrement dans l'intonation. Le climacus qui s'achève sur la première note pointée sera légèrement retenu pour donner à cette demi-cadence sur mi toute sa valeur d'admiration gracieuse et tendre.
Chanter Maria avec beaucoup de ferveur. Les deux premières notes de ri bien appuyées, assez fortes, avec l'élan de l'accentuation : ce sont deux virgas ; les deux autres sont des distrophas ; la répercussion en sera délicate et il y aura un crescendo jusqu'à la répercussion, très délicate aussi, de la virga. La cadence sur sol très peu ralentie, de façon à rattacher Maria à gratia pléna. Une pause.
Discret a tempo au départ de Dominus dont les thésis seront légères, comme le sera la tristropha de técum, qu'on renforcera toutefois pour la lier au climacus. Sur ne dans Benedicta, une bivirga, bien l'appuyer et mener le crescendo e un bel enthousiasme vers le pressus. Conduire avec mesure l'admirable descente de benedictus fructus, sans que la voix perde brusquement de sa sonorité. Véntris tui très lien avec le salicus bien doux.
COMMUNION
LE TEXTE
Voici qu'une Vierge concevra
Et enfantera un Fils,
Et il sera appelé de son nom Emmanuel. Isaïe, VII, 14.
Cette parole fut dite comme une prophétie par Isaïe à Achaz. « Le Seigneur vous donnera lui-même un signe : voici qu'une vierge enfantera... » Le signe promis arrivera le jour de l'Annonciation. C'est le mot même du prophète en effet que l'Archange dit à Notre-Dame : « Voici que vous concevrez et enfanterez un Fils et vous lui donnerez le nom de Jésus ».
Ce texte est tout à fait à sa place le jour où est commémorée l'Annonciation. Toutefois il ne semble pas qu'il doive être chanté ici comme une prophétie ; c'est l'Eglise qui après avoir entendu la parole du Prophète à l'Epître, et celle de l'Ange à l'Evangile, y revient, au moment de la communion. Contemplant dans la lumière de la grâce sacramentelle, l'Incarnation qui se prolonge par l'Eucharistie dans tout le Corps Mystique, elle chante la joie de l'Emmanuel, du Dieu avec nous, en même temps que le mystère de Noël dans lequel à nouveau va s'accomplir mystiquement la parole divine.
LA MÉLODIE
Une joie émerveillée ; on en caractériserait bien ainsi, en deux mots l'expression. Elle est très discrète dans sa première incise, avec quelque chose de recueilli, de contemplatif, répandu sur toute la thésis de concipiet. Dans une sorte de jouissance profonde, l'âme admire le mystère de la Vierge Mère.
Et voilà qu'elle s'anime et que son admiration prend de l'ampleur. Un souffle puissant passe, qui emporte les mots dans l'enthousiasme, Filium après pariet, comme si l'âme, de plus en plus éclairée, réalisait ce qu'est le mystère de la maternité divine.
Mais, à peine a-t-elle saisi cette seconde merveille, qu'une troisième s'offre à elle : le mystère de Dieu avec nous cette fois, et vocabitur Emmanuel... Elle n'a pas le temps de s'arrêter si peu que ce soit ; de la première phrase, le souffle d'allégresse passe dans la seconde, l'entraînant dans la progression jusqu'à la distropha de vocabitur. Là quelque chose change. Le mystère s'étend. Il s'étend jusqu'à l'âme. Elle sent qu'elle y entre, en ce moment de la communion. Elle se recueille, se refermant sur les merveilles qui s'opèrent en elle. La mélodie la suit dans sa contemplation. Elle n'a plus le souci des notes éclatantes, ni des mouvements à grand espace ; elle se retient. Notez les clivis allongées de vocabitur, elle descend peu à peu vers le grave, jusqu'à ce qu'elle arrive à Emmanuel, le mot du mystère. Elle s'y complaît, en une formule qui, comme celle du véntris tui de l'Offertoire, se contente de quelques notes conjointes qui descendent et montent mais où passe toute la tendresse de l'âme pour l'Hôte divin qui est avec elle.
L'intonation paisible ; de même concipiet dont les podatus seront bien posés. Ceux de pariet aussi, tout le sommet en sera élargi. Le lier étroitement à Filium qui sera à peine retenu afin que l'enthousiasme aille croissant sur et vocabitur. C'est une bivirga qu'il y a sur vo. Retenir quelque peu tur. Beaucoup de grâce et de ferveur sur Emmanuel, qui sera très ralenti.
- Polyphonies pour l'Avent
- L'hymne Creator alme siderum en alternance grégorien/polyphonie
- L'hymne Creator alme siderum en grégorien
- Les cantiques de l'Avent (CD)
- Les cantiques de l'Avent (Partitions)
Epître, évangile et préface chantés de cette messe, voir ici
Commentaires des pièces de cette messe par Dom Baron.
LEÇONS DES MATINES : Mort de Jézabel. Règne d’Athalie. (IV Rois. IX. X)
ÉPÎTRE : le Saint-Esprit inspire tout en nous pour l’utilité commune. En dehors de lui rien de bon ne peut venir de nous. (I Cor. XII. 2-11).
ÉVANGILE : Le Pharisien et le publicain. (Luc. XVIII. 91. 4)
IDÉE CENTRALE : Il semble que l’on peut tout ramener autour de l’épître. Rien de bon ne se fait en dehors de l’Esprit du Christ qui est en nous pour nous guider et nous utiliser en vue du bien commun. Nos propres actions peuvent avoir des effets heureux, mais qui passent.
L’exemple de Jézabel celui d’Athalie et celui du Pharisien sont typiques. Ils ont agi par orgueil; ils finissent mal. Le Publicain par contre est justifié et exalté parce qu’il a utilisé l’Esprit qui l’inspirait. La collecte elle-même peut être entendue dans ce sens, car nous ne « courrons vers les biens promis » que sous l’inspiration et la conduite de l’Esprit; c’est donc la docilité à l’entendre et à le suivre que nous demandons en fait à la Toute-Puissance de Dieu.
INTROÏT
LE TEXTE
Comme j’invoquais le Seigneur, il entendit ma voix (et me mit à l’abri) de ceux qui me cherchaient. Et il les a humiliés, lui qui est avant les siècles et demeure éternellement. Jette ta pensée sur le Seigneur et lui-même prendra soin de toi. Ps. – Exauce, Dieu, ma prière et ne dédaigne pas ma supplication. Écoute-moi et exauce-moi. Ps. LIV. 17, 18, 20, 29, 2.
Le Psalmiste qui, dans la première partie du Psaume, s’est lamenté sur le mal que lui font ses ennemis, se remémore, pour se donner confiance, ce que le Seigneur a fait pour lui dans le passé et s’exhorte à tout lui abandonner une fois de plus : « jette ta pensée, ton souci sur le Seigneur… »
Au sens liturgique, l’Église se rappelant, elle aussi, les bienfaits répétés du Seigneur, s’exhorte, et exhorte les siens, à s’en remettre à lui ou plus précisément à son Esprit qui a mission de nous guider et de nous garder.
LA MÉLODIE
Les deux premières phrases, comme dans le texte, ne sont qu’un récitatif, mais l’auteur l’a voulu très orné et très expressif.
La succession de quatre temps composés ternaires en mouvement arsique donne au début de la première phrase quelque chose de décidé, de vif même, et de joyeux aussi, comme si après une longue délibération l’âme mettait en pratique, sur le champ, la décision qu’elle vient de prendre : « tu as été exaucée jadis, jette encore ton souci sur le Seigneur ». Le mouvement s’épanouit sur la tristropha de exaudi en une nuance délicate qui évoque les souvenirs heureux Après une légère détente il rebondit sur appropinquant; la bivirga y met comme une touche de terreur, au souvenir des ennemis menaçants.
Dans la deuxième phrase, la mélodie, d’abord très calme, s’anime peu à peu sur humiliaviteos. Ce sont les souvenirs heureux qui continuent. Mais sur qui est ante saecula et manet in æternum à l’idée de l’éternité de Dieu, si magnifiquement décrite en ces quelques mots, une sorte de grandeur mystique la pénètre. Notez les deux doubles notes de qui est ante saeculamanet qui fixent la mélodie sur do et les deux pressus qui, par degré, la ramènent à la tonique. C’est noble, grand, somptueux comme un cortège royal.
Tout autre est la dernière phrase. On sent l’âme comme déchargée du poids de son souci et heureuse de faire partager aux autres son expérience. Son chant s’allège; il monte joyeux vers Domino qu’il enveloppe d’un motif aimable puis met te en un admirable relief; soit qu’elle se parle à elle-même ou qu’elle s’adresse à un ami, elle sait et dit avec insistance combien, malgré sa petitesse et son indignité, elle est précieuse devant le Seigneur. Ce texte est celui du graduel du IIIe Dimanche après la Pentecôte. Dans un genre différent l’expression est la même. On aura profit à le constater, notamment sur te, où l’insistance est également remarquable.
La prière se fait alors, dans le psaume, légère et riche d’espoir.
GRADUEL
LE TEXTE
Garde-moi? Seigneur, comme la pupille de l’œil. Sous l’ombre de tes ailes protège-moi. Verset. – De ton visage que ma justification sorte, que tes yeux voient l’équité. Ps. XVI. 8.
Ces versets par lesquels, sous des images si expressives, David demandait à Dieu de le garder, comme son bien précieux, dans la chaleur de son amour et de le juger avec un visage plein de la joie de son innocence, servent ici à l’Église pour solliciter la même protection et la même justice. Elle a bien des dangers autour d’elle, bien des attirances mauvaises s’exercent sur ses membres par les idoles muettes dont parle Saint Paul dans l’Épître; elle voudrait qu’ils demeurent sous cette conduite de l’Esprit qui les fasse penser, juger, vouloir selon Dieu. Prière de l’Église. Prière de chacun de nous… Custodi me Domine.
LA MÉLODIE
La première phrase a un caractère d’intimité très marqué. C’est comme une prière du fond de l’âme, confiée, murmurée à un ami. La mélodie ne dépasse pas la tierce dans la première incise; mais, dans cette réserve humble et familière à la fois, quelle pression sur l’être cher qui peut aider ! Notez la double note de me qui fait la voix s’y appuyer comme en un accent de détresse et la thésis qui suit; plainte délicate qui devient prière intense sur les longs neumes de Domine. Il y a sur pupillam un petit élan qui entraîne la mélodie vers le sib, mais si retenu, si timide, avec cette plainte à peine émise, émouvante, et qui s’étend jusqu’à la dernière note de oculi.
Dès le début de la seconde phrase il y a un changement. L’arsis est mouvementée, avec de grands intervalles qui portent la prière sur les pressus de umbra et de alarum. Ce n’est pas que la supplication soit angoissée ni même plus intense : la mélodie s’est seulement éclairée. La sérénité du mode de fa pénètre tout et, sur alarum, se dessine le motif des grandes allégresses du Ve mode. Incontestablement, c’est la joie. La cadence en mi de tuorum apporte à cette joie une nuance de repos qui se poursuit sur protege, s’étale, s’élargit jusqu’à la cadence qui ramène tout en re, mais seulement pour finir. C’est comme si l’âme se trouvait enfin dans le refuge sollicité et, blottie dans les bras du Père, lui disait, tranquille désormais, apaisée, joyeuse, sous cette protection divine: « sous tes ailes étendues garde-moi bien ».
Le verset
La prière continue, mais différente; ce n’est ni le murmure d’intimité, ni la joie parfois éclatante de la première partie. Il y a ici plus de paix et de sérénité. C’est d’abord pour chanter vultu tuo comme un bercement léger sur la sol puis sur do la et une cadence paisible sur fa. L’âme contemple le visage aimé, c’est tout. Cette contemplation se prolonge sur Judicium meum. Ce n’est que sur prodeat que monte un accent de supplication, très beau d’ailleurs dans sa simplicité.
Dans la seconde phrase, la joie revient. Elle est aussi marquée que sur sub umbra dans la première partie mais, ici, toute contemplative. Notez plutôt la douce paix de la vocalise de tui qui monte et descend par degrés conjoints sur des rythmes d’une grâce exquise.
Ces deux premières phrases chantaient la joie de la Rédemption entrevue par-delà le péché, dans le Graduel de la messe du Mercredi des Cendres.
Sur videant le mouvement s’amplifie et la supplication domine à son tour, fervente, avec une nuance de plainte assez marquée sur la dernière syllabe
ALLELUIA
LE TEXTE
A toi convient, un hymne, ô Dieu, dans Sion. Et à toi on acquittera un vœu dans Jérusalem. Ps. LXIV. 2.
Après la demande du Graduel, l’action de grâces. L’âme a trouvé un chaud refuge sous les ailes protectrices; elle peut dire maintenant sa louange et le vœu qu’elle accomplira pour témoigner de sa gratitude.
On attendait sur ce texte qui évoque Jérusalem et les cérémonies du Temple une joie plus exubérante, celle-ci est sans emphase, simple, intime comme celle du Graduel.
LA MÉLODIE
Les podatus de la première incise ne font en somme que conduire le mouvement vers Deus, enveloppé, lui, d’une belle révérence, aimable, gracieuse et d’une grande délicatesse par la cadence en si. L’incise qui suit est toute consacrée à Sion qui, comme toujours, est chantée avec amour. L’âme contemple la Cité Sainte, l’Église, le Ciel, et s’enflamme peu à peu de désir; notez le pressus, la distropha, la répercussion, les deux notes doubles, et le pressus; il y a là un mouvement dont l’ardeur monte, encore qu’elle soit retenue.
La deuxième phrase est plus développée. Chaque mot a son motif, si l’on peut dire. Tibi, bien en relief au sommet, s’achève sur la même nuance délicate de Deus, une quarte au-dessus; reddetur a la ferveur de la promesse et de la gratitude à la fois, sur la distropha, la répercussion et la cadence en demi-ton par la clivis allongée et le pressus; votum, hanté comme Sion et Jérusalem, déroule sa longue vocalise contemplative dans un rythme d’une ordonnance admirable où la joie et l’amour se mêlent en des motifs simples à travers lesquels passe le désir de la Cité Sainte… et du Ciel où tout ne sera que louange et gratitude.
OFFERTOIRE
C’est celui du Ier Dimanche de l’Avent . Son caractère de prière très humble convient admirablement ici après la parabole du Pharisien et du Publicain. Il est l’expression de cette âme très simple priant au bas du Temple, et qui fut justifiée et exaltée. Il doit être l’expression de notre confiance abandonnée montant avec le sacrifice vers le Père qui nous donnera en retour l’Esprit et ses dons pour nous guider vers la Cité Sainte, où, dans la Gloire du Christ, nous serons à jamais exaltés pour avoir partagé son abaissement.
COMMUNION
LE TEXTE
Tu accepteras le sacrifice de justice, les oblations et les holocaustes sur ton autel, Seigneur. Ps. L. 21.
Très belle adaptation à la Communion du dernier verset du Miserere. Et quelle belle conclusion de toute la messe ! Nous avons jeté nos soucis sur le Seigneur à la fin de l’Introït, nous lui avons demandé, dans le Graduel, de nous couvrir de l’ombre de ses ailes, nous lui avons dit notre gratitude dans l’Alleluia, à l’Offertoire, nous offrant avec son Fils, nous avons affirmé notre confiance en sa venue. Nous avons maintenant l’âme telle qu’il la veut. Il peut venir prendre en nous la place du Maître et recevoir nos holocaustes et nos oblations. Il ne saurait les refuser, car elles lui viennent à travers son Fils qui nous a transformés en lui.
LA MÉLODIE
Elle est aimable, familière, douce. Il n’y a pas de sentiment particulièrement marqué mais une égalité d’âme paisible. C’est le mot altare qui l’emporte; il a une belle expression de respect, de révérence profonde et aimante.
Epître, évangile et préface chantés de cette messe, voir ici