Huitième dimanche après la Pentecôte

L’introït Suscepimus Deus du VIIIe dimanche après la Pentecôte par la Schola Bellarmina

Table des matières

Commentaires des pièces de cette messe par Dom Baron.

 

INTROÏT

LE TEXTE

Nous avons reçu, ô Dieu, ta miséricorde au milieu de ton temple. Comme ton nom, ainsi ta louange s’étend jusqu’aux confins de la terre. De justice est pleine ta main. Ps. – Grand est le Seigneur et digne de louange dans le Cité de Dieu sur la montagne sainte. Ps. XLVII, 10, 11, 1.

Le Psaume XLVII est un cantique de pèlerinage à Jérusalem. Il commence par un cri d’admiration : « Grand est le Seigneur. » Suit la description de la ville. Il y a alors, pour le moment où le pèlerin est dans le Temple, une strophe qui chante sa reconnaissance. « Nous avons reçu, ô Dieu, ta miséricorde au milieu de ton Temple… Ta louange est partout car ta main est pleine de justice ». Et par ce dernier mot, est évoquée sans doute la fidélité de Dieu à ses promesses.

Évidement, il ne s’agit pas ici du Temple de Jérusalem, encore qu’il ait été le sujet des leçons de Matines. Ces versets du psaume n’ont d’autre objet que de dire à Dieu notre reconnaissance pour les grâces innombrables que nous avons reçues de lui.

En tout premier lieu, pour le don de son Esprit qui a mis en nous la vie divine et qui l’entretient et qui nous pousse, par son action incessante, à la vivre à plein…Et pour tout le reste que chacun sait pour soi.

Ces grâces, nous les avons reçues dans son Temple : qu’on l’entende des Églises matérielles ou de l’Église spirituelle ou seulement de notre âme qui est bien le Temple du Dieu vivant.

Ainsi, pour tout ce qu’il lui a dispensé, à elle et à chacun de ses membres, l’Église remercie Dieu par ce chant de louange qu’elle voudrait voir s’étendre aussi loin que son nom : jusqu’aux extrémités du monde.

LA MÉLODIE

La première phrase est douce, tranquille. C’est une évocation toute simple des heures qui furent remplies des dons de Dieu. L’âme la chante dans le joie, sur le motif du Gaudeamus et du Jubilate et de tant d’autres chants d’allégresse. Une nuance de ferveur reconnaissante s’élève sur misericordiam mais c’est la joie qui domine, fraîche, souriante; notez les fines broderies de in medio templi tui et la cadence en fa.

De ces souvenirs heureux, la louange jaillit soudain éclatante, enthousiaste. L’âme, exaltée, fait monter la mélodie en un bond hardi, pour célébrer le nom divin qu’elle enveloppe ensuite de pieux respect sur tu Deus.

Puis elle expose son souhait  ita et laus tua. Avec fermeté et emphase à la fois, notez la double note – une bivirga, – le torculus élargi, la ferveur du pressus de tua. La phrase s’achève comme la première, fines terrae rimant avec templi tui.

La troisième phrase est d’un caractère tout différent. Liée de très près à la précédente, elle est comme un témoignage à la sagesse de Dieu. La mélodie demeure dans le grave, comme si l’âme évoquait, dans sa vie intime, les innombrables fidélités du Seigneur qui fondent sa louange et sa joie.

 

GRADUEL

LE TEXTE

Sois pour moi un Dieu protecteur et un lieu de refuge, afin que tu me sauves.

Verset. – O dieu, en toi j’ai déjà espéré. Seigneur, non, je ne serai pas confondu à jamais. Ps. XXX, 3, 4, 1.

Le Psaume XXX est devenu le Psaume de l’abandon absolu dans la paix depuis que Notre-Seigneur s’est servi du verset 6e pour exprimer à son Père, au moment où il allait mourir, la remise de son âme pacifiée : In manus tuas commendo spiritum meum.

Ces trois versets forment une prière tout empreinte de confiance qui est bien à sa place après l’Épître. Saint Paul nous dit en effet que, si nous voulons suivre l’Esprit dans la voie de la mortification où il nous guide, nous serons vraiment les enfants de Dieu et ses héritiers. Cette mortification de toute notre vie pourrait nous effrayer, mais il y a le Père, et ce n’est pas un Esprit de crainte que nous avons reçu mais un Esprit de confiance filiale. Alors, nous l’appelons le Père, et nous lui demandons de nous recevoir comme un refuge où toute crainte s’évanouit.

LA MÉLODIE

« La première partie se déroule dans une atmosphère de douceur, de tendresse joyeuse, de paix abandonnée. Il n’y a pas d’angoisse, pas de supplication ardente; on sent que l’âme est sûre d’être exaucée; mieux encore, qu’elle l’est déjà… C’est moins une prière proprement dite qu’une sorte de parole d’amour dans laquelle l’âme demande uniquement pour recevoir une réponse où sera la tendresse de l’aimé. D’où le caractère d’intimité heureuse qui est partout ».

Nous écrivions ceci de l’Introït de la Quinquagésime. Nous pouvons l’écrire de ce graduel. Le texte est le même. La mélodie a une forme différente mais c’est bien le même climat. Notez la paix heureuse de la première phrase, avec sur protectorem une douce pression qui s’achève dans le grave en une nuance de bonheur profond. Un désir plus ardent monte sur refugii, mais dans la paix toujours; ce n’est pas un refuge contre l’ennemi qui menace que l’âme demande, mais un lieu de repos : les bras du Père pour s’y enfouir et y être à jamais.

La dernière phrase ut salvum me facias a bien la même joie assurée et baignée de tendresse abandonnée.

LE VERSET

Ici la joie est plus extérieure, plus exaltée. L’âme ne demande plus; elle a reçu ce qu’elle demandait, elle est dans les bras du Père, bien gardée; elle exulte. Le bel élan qui l’emporte sur Deus in te speravi, en pleine joie, en plein amour, qui s’épanouit un instant sur cette cadence suspendue do re, lumineuse et simple comme un sourire, et qui l’emmène se complaire dans une tendresse baignée de gratitude sur les neumes de Domine multipliés et retenus avec ferveur.

Puis c’est l’affirmation, la certitude absolue posée sur non et qui devient tout de suite, sur le motif de confundar la joie légère, exubérante de l’espoir enfin comblé. Le chœur reprenant sur in æternam chante l’éternité. Il y a dans cette formule finale, commune mais très belle, quelque chose de profond qui sert vraiment bien le mot.

ALLELUIA

LE TEXTE

Grand est le Seigneur et très digne de louange, dans la cité de notre Dieu, sur sa montagne sainte. Ps. XLVII, 1.

C’est l’exclamation qui commence le Psaume des pèlerins. Elle chante la grandeur de Dieu qui se dégage de la Cité, posée sur le Mont Sion comme le trône terrestre du Tout-Puissant.

Sion était l’image du ciel, la figure de cette Jérusalem céleste où nous allons, nous aussi, pèlerins de toute notre vie, pour y recueillir l’héritage du Père que nous autorise à réclamer l’Esprit qui nous a faits ses enfants. Nous la voyons dans le lointain, figurée à nos yeux par les splendeurs du monde matériel et les splendeurs, plus exaltantes encore, du monde spirituel. Ce n’est pas elle que nous chantons, c’est l’ineffable merveille que nous ne voyons pas, mais qui nous a été révélée : la beauté infinie de Dieu qui dépasse tout, la Jérusalem céleste elle-même, car il est la Cité et le Temple… Dominus enim Deus omnipotens templum illius est, et Agnus.

LA MÉLODIE

On a dit que l’Alleluia fait penser aux chansons du moyen âge. C’est bien vrai que sa montée en quinte et le retour au ré par le la et le do lui donne une teinte de musique primitive. Mais la répétition deux par deux des motifs du jubilus le rapproche plus encore des vocalises, toutes naïves mais d’une ligne et d’un rythme si purs, que l’on entend chanter parfois dans la campagne.

C’est le chant d’un enfant paisible, simple, heureux qui laisse passer son bonheur sur ses lèvres sans souci de ce qu’il chante, avec peut-être une pointe de désir qui se précisera avec le texte du verset.

Celui-ci reprend d’abord sur Magnus, les derniers neumes de l’Alleluia qui précèdent le jubilus, puis, sur Domine, jaillit une envolée de joie exubérante. Une envolée vraiment, car c’est léger comme un vol d’oiseau et souple et frais. Trois temps composés ternaires qui s’élèvent dans l’élan de l’accent tonique et qui vont, sans un ralenti, mais avec une délicatesse extrême, se poser sur la dernière syllabe du mot. Quelle louange exaltante et pure pour le nom divin ! Et Laudabilis s’y joint dans la même simplicité. Quatre temps binaires rythment la descente, puis il y a une remontée : le motif de magnus est redit sur valde qui se trouve ainsi comme en rejet, mais d’une façon si imprévue, si simple aussi « qu’on a l’impression que le compositeur arrivé là s’est aperçu qu’il n’avait pas suffisamment rendu toute la louange qui débordait de son cœur et que comme dédommagement il a ajouté ingénument ce petit valde. « Joie de l’Église à la pensée de tout ce que le Seigneur est pour elle et de l’héritage de béatitude auquel il convie les siens dans sa Cité Sainte.

Les neumes de l’Alleluia reviennent sur civitate et à nouveau sur in monte ejus. Ils prennent avec le texte, non pas de la gravité, c’est trop dire, mais comme une nuance de contemplation. L’Église est fixée sur le ciel et chante sa joie, mais en mêlant à la réalité béatifiante de demain l’espoir d’aujourd’hui de sorte qu’on décèlerait aisément sur le sommet du premier motif comme un élan de désir. Cette nuance disparaît ensuite et c’est la joie pure jusqu’à la fin de la thésis. Un nouvel élan sur in monte ravive le désir qui se mêle à nouveau à la joie sur le jubilus pour la troisième fois entendu.

On l’entendra une quatrième à la reprise de l’Alleluia, mais on ne s’en lasse pas car il berce vraiment la contemplation heureuse de la Cité sur la Sainte Montagne.

OFFERTOIRE

LE TEXTE

Le peuple qui est humble, tu le sauveras, Seigneur. Et les regards des superbes, tu les abaisseras. Car qui est Dieu en dehors de toi, Seigneur ? Ps. XVII. 28, 31.

Au centre du Psaume  XVII, dans lequel David chante sa gratitude à Dieu qui l’a délivré de la poursuite de Saül, ces deux versets sont une attestation de la justice divine agissant en toute circonstance. Dieu est bon avec ceux qui sont droits et simples et il les sauve; il est dur avec les orgueilleux, ceux qui se dressent et le regardent avec mépris; il les abaisse. Il n’en saurait être autrement car qui est Dieu en dehors de lui ? Or, ceux qui le bravent, en fait placent au-dessus de lui, et cela ne se peut ni ne se doit

Cet offertoire ne se rattache pas à l’Évangile, mais il s’harmonise si parfaitement avec l’offrande du sacrifice qu’il semble avoir été fait pour l’accompagner. Cette offrande en effet est essentiellement un acte d’humilité. In spiritu humilitatis et in animo contrito suscipiamur a te Domine…

L’homme reconnaît que Dieu est tout, qu’il lui doit tout, et il se donne à lui; en retour Dieu l’accepte et, par le fait, le faisant sien, il le sauve. Les autres, ceux qui ont leurs regards pleins d’eux-mêmes et qui ne veulent pas s’offrir, il les abaissera en les laissant ce qu’ils sont pour un temps et en les mettant, à son heure, avec le premier qui n’a pas voulu s’offrir et qui, s’étant élevé au-dessus de Dieu, a été abaissé au-dessous de toute créature.

Notons toutefois que ce texte n’est ni une prière ni une offrande. C’est une affirmation. L’Église chante sa confiance à Dieu, au moment où il accepte son oblation.

LA MÉLODIE

Un chant de joie encore, mais avec sa couleur propre.

La première incise est simple, paisible, elle a le ton d’une conversation familière. Humilem est mis en relief par le salicus et la montée à la dominante, mais sans expression particulière. Tout de suite après, et sans transition, salvum facies jaillit dans un magnifique élan de joie. La montée do la do mi re do lui donne quelque chose d’exaltant qui devient peu à peu, sur la tristropha et sur la cadence si gracieuse la do sol fa sol, une sorte de recueillement, comme si l’âme, prenant conscience un instant de toute l’idée, se laissait aller à une gratitude baignée de tendresse, laquelle d’ailleurs s’épanche à loisir sur l’admirable motif de Domine. Cette ascension lente s’épanouit sur le sommet et retombe dans une plénitude que l’intervalle de quinte, et plus encore la proximité de si et de fa, font absolue.

La deuxième phrase est moins expressive, encore que sur humiliabis il  y ait un élan assez marqué, et que le motif qui s’y développe ait une allure de joie bien assurée, voire quelque peu piquante.

Par contre la troisième phrase est une très belle proclamation de la puissance et de la justice de Dieu qui n’a personne au-dessus de lui et qui ne saurait supporter quiconque essaie de le dominer. Le mouvement monte sur quoniam dans un rythme syllabique ternaire net et ferme qui met quis Deus en pleine évidence, avec je ne sais quoi de fort qui le lance comme un défi aux superbes. Cette force, sur praeter te, devient une affirmation noble et fière pleine de grandeur. Domine est alors enveloppé dans un mouvement thétique de joie tendre qui ramène l’atmosphère de la première phrase. Notez le motif repris deux fois et esquissé encore sur la belle cadence en fa.

COMMUNION

LE TEXTE

Goûtez et voyez combien est suave le Seigneur. Heureux l’homme qui met son espoir en lui. Ps. XXXIII, 3 », 9.

Ce verset, dans  lequel le Psalmiste nous invite à profiter de son expérience, est un curieux assemblage de mots : goûtez et voyez. Et pourtant, c’est l’ordre des choses. Il y a bien un premier regard sur l’objet pour savoir ce qu’il est, mais ce regard ne nous en donne pas la connaissance profonde, ne nous fait pas communier à ce qui en lui s’harmonise avec notre être et nous donne la joie. Il faut pour y arriver le regarder longuement, l’observer, l’étudier, sympathiser avec lui, l’aimer, devenir lui-même en quelque sorte; alors, dans la joie de l’amour, il se révèle et nous en jouissons vraiment.

Ainsi en va-t-il avec Dieu. Un regard de foi superficiel, ne saurait suffire à nous le faire connaître, c’est dans la méditation silencieuse de son être, de ses opérations, de sa vie, au contact de l’amour qu’il nous porte à tout instant, dans cette sympathie profonde où se fait l’échange de nos deux êtres que nous le connaissons, que nous sentons combien il est bon. Or c’est cela le goûter.

Ainsi entendu, comme ce verset est bien à sa pace sur les lèvres de l’Église au moment de la Communion : Goûter le Christ qui se donne à nous, dans l’Eucharistie, c’est l’aimer, en nous donnant à lui. Dans cet acte amour mutuel, se réalise notre transformation en lui; recevant alors sa lumière et la puissance de son amour, nous voyons mieux combien il est bon, doux et tendre et nous comprenons quel bonheur c’est pour nous d’espérer en lui, car après cette vision de ce qu’est Dieu, déjà si délectable, mais encore obscure, viendra l’autre. A force de goûter le Seigneur nous le verrons tel qu’il est… et ce sera le rassasiement absolu.

LA MÉLODIE

Une invitation délicate chante sur Gustate mais c’est vers videte que va le mouvement comme vers le mot qui importe. Il y a là, sur la tristropha, une prolongation très expressive; comme si l’Église savourait sa vision en même temps qu’elle invite à la partager.

Cette délectation s’étend ailleurs à toute la phrase. Elle trouve sa dernière expression sur suavis est Dominus, si évocateur des délicatesses de l’amour divin.

Sortant alors de sa délectation, l’Église s’exclame : « Bienheureux l’homme qui espère en lui. » Il y a un peu plus de mouvement au début mais la jouissance mystique revient très vite et la cadence finale de eo rime avec celle de Domine dans la même atmosphère

 

Epître, évangile et préface chantés de cette messe, voir ici