La Fête-Dieu

L’introït Cibavit eos interprété par la Schola Bellarmina

Table des matières

Commentaires des pièces de cette messe par Dom Baron.

INTROÏT

C’est celui du lundi de Pentecôte.
Il n’y  rien à ajouter au commentaire qui en a été écrit car ce jour-là comme aujourd’hui c’est l’Eucharistie qu’il chante.

GRADUEL

LE TEXTE

Les yeux de tous les êtres en toi espèrent, Seigneur, Et tu leur donnes la nourriture en temps opportun.

Verset.Tu ouvres, toi, ta main et tu remplis tout animal de bénédiction. Ps.CXLIV.15,16.

Le Psalmiste, dans ces deux versets, loue le Seigneur du soin qu’il prend de nourrir tous les êtres qu’il a créés. Sous des images splendides, le psaume en lui-même ne dit rien de plus. C’est dans ce sens purement littéral que l’Eglise s’en sert pour la bénédiction des peuples, des champs, des moissons, du bétail, en temps de famine.
Dans le Graduel du XXe Dimanche après la Pentecôte, ces mêmes versets n’ont pas d’autre sens : ils paraphrasent le conseil de Saint Paul qui achève l’épître : « Soyez remplis du Saint-Esprit…chantant, psalmodiant dans vos cœurs au Seigneur et lui rendant grâce pour toutes choses. »
Mais, de très bonne heure, on eut l’idée d’appliquer ce passage à l’Eucharistie. Saint Jean Chrysostome le recommandait déjà en ce sens : « parce qu’il contient des paroles que les initiés entendent du banquet Eucharistique. » Saint Thomas, lorsqu’il composa l’office du Saint-Sacrement, eut l’idée très heureuse de prendre dans ce sens Eucharistique le Graduel du XXe Dimanche après la Pentecôte, et sans rien y changer.
Après, l’épître, qui nous rapporte le récit de l’institution du sacrement, il est, sous l’image émouvante des yeux levés vers le Seigneur, un très bel hommage au Père qui, par son Fils, a voulu nous nourrir du pain qui entretient en nous la vie divine et nous est un gage de la plénitude de notre être dans la béatitude pour l’éternité.

LA MÉLODIE

Il y a dans la première incise comme une religieuse gravité. L’Église se complait dans l’image des yeux pleins d’espoir fixés sur Dieu et se laisse prendre par un sentiment d’admiration émue. Cette image ne tarde pas d’ailleurs à l’exalter, dès le début de la seconde incise, le mouvement s’anime; une ardeur y passe qui enveloppe les mots et les emporte vers la clivis allongée de Domíne où l’exaltation s’épanouit, large et sonore, en un splendide accent de louange reconnaissante.
La deuxième phrase commence dans le même élan enthousiaste sur le pronom tu, très en relief, mais, tout de suite, sur la clivis allongée de illis et plus encore sur la période thétique de escam toute retenue, passe quelque chose de plus recueilli, de plus intérieur. Ce sont les mots qui disent la bonté de Dieu pour ses créatures, et nous en sommes; l’âme envahie par le souvenir de tout ce qu’elle a reçu, s’y complait dans un sentiment de tendre reconnaissance; Le mouvement s’allège ensuite sur temporé puis s’élargit à nouveau sur opportúno pour chanter la sagesse de Dieu qui sait ce qu’il faut faire pour chacun et à quel moment le faire.
Le verset  – Le motif de Aperis est ravissant de grâce aimable dans le balancement de ses rythmes souples et légers. L’Église, fixée sur l’image des mains divines ouvertes sur elle, chante dans la paix sa gratitude et sa confiance abandonnée. Elle s’exalte peu à peu en reprenant sur manum le motif de Dómine, dans la première partie, et le développant sur tuam
en une très belle cadence qui prolonge sa joie.
La seconde phrase, plus ample, se déploie, sur les mots de plénitude, dans une atmosphère de bonheur grave, recueilli, profond. Ce n’est que sur le dernier mot que le mouvement redevient léger, sans perdre d’ailleurs la gravité qui va si bien au mot de la bénédiction.
Il faut, il va de soi, commencer doucement afin de ménager le crescendo qui va vers Dómine. Les deux doubles notes de Oculi pourront être allongées. Balancez-en bien le rythme, comme aussi celui des deux podatus de in te dont la première note sera bien posée et élargissez toute la vocalise de Dómine.
La première note de tu sera allongée, de même la montée sur escam et les dernières notes de la descente avant la demi-barre. Ménagez bien le crescendo sur opportúno en le prenant dès les premiers podatus qui seront bien scandés.
Aperi, premier mot du verset, sera léger, ce qui ne veut pas dire rapide; au contraire,  on retiendra quelque peu les punctum marqués d’un épisème vertical; par contre, on accélèrera légèrement les huit dernières notes en les reliant, par un crescendo discret, à manum qui s’amplifiera comme Dómine dans la première partie. Retenez les trois notes de tuam qui précèdent le quilisma.
Et sera bien élargi, au début de la troisième phrase, et la première note de  ples dans imples, posée comme si elle avait un épisème horizontal. Sur benedictióne, même interprétation que sur opportúno.

ALLELUIA

LE TEXTE

Ma chair vraiment est une nourriture.
Et mon sang vraiment est un breuvage.
Qui mange ma chair et boit mon sang,
En moi demeure et moi en lui. Jean VI. 56,57.

Ces paroles sont comme la réplique de Notre Seigneur à ce que l’Église vient de chanter à Dieu dans le Graduel. Elle l’a loué pour la nourriture qu’il dispense aux créatures et tout particulièrement pour le Pain Vivant dont il alimente ses membres. Il répond : « la vraie nourriture c’est bien ma chair, le vrai breuvage c’est bien mon sang car qui les prend demeure en moi qui suis la vie, et moi en lui.»

LA MÉLODIE

Elle est calquée sur l’Alleluia Laetabítur Justus qui n’est plus en usage. Il servait autrefois pour un Martyr Pontife, on le trouve notamment dans les manuscrits, à la fête de Saint Hippolyte, le 13 Août. Le texte en est celui-ci : « Il se réjouira, le juste, dans le Seigneur et espèrera en lui, et ils chanteront des louanges, tous les cœurs droits. » L’idée ici, on le voit, est très différente: l’application ne saurait donc être parfaite.
La première phrase est très satisfaisante. Il y a sur caro un accent de ferveur qui dit bien l’amour intense de Notre Seigneur pour nous. Cette ardeur se développe ensuite sur les notes élevées de sanguis et de potus de la façon la plus heureuse. Qui mandúcat, au début de la seconde phrase, se déploie dans la même atmosphère ardente et est encore excellent, mais la cadence de carnem est trop conclusive et la liaison entre meum et sánguinem pas assez serrée. Quand à la dernière incise et ego in eo, le caractère de joie extérieure en est bien fortement marquée pour des paroles aussi graves.
Il faut évidemment chanter dans un mouvement assez lent et sans forcer la voix pour garder à ces paroles divines, si pleines de tendresse, la suavité qui leur convient.
La première incise sera très calme et très liée. Sur et sanguis, commencera un crescendo discret qui s’épanouira sur potus et sur mandúcat, mais sans éclat, animant seulement cette très belle ligne musicale qui plane, comme immatérielle, sur les hauteurs.
Faites la liaison serrée entre carnem et bibit, ralentissez manet et, plus encore, et ego in eo et vous en atténuerez le caractère de joie trop marqué qui serait ici un contresens musical.

SEQUENCE

LE TEXTE

Loue, Sion, le Sauveur
Loue le Chef et le Pasteur
Par des hymnes et des cantiques.

Autant que tu peux, ose,
Car il est plus grand que toute louange
Et, à te louer, tu ne suffis pas.

De la louange le thème spécial,
C’est le pain vivant et vivifiant
Qu’aujourd’hui on te propose.

Le pain qui sur la Table de la Sainte Cène,
Au groupe des douze frères,
Fut donné, il n’y a pas à en douter.

Que la louange soit pleine, qu’elle soit sonore,
Qu’elle soit joyeuse ; qu’elle soit belle,
La jubilation de l’âme.

Nous fêtons en effet le jour solennel
Qui rappelle de ce banquet
La première institution.

A cette table du nouveau Roi,
La nouvelle Pâques de la nouvelle loi
Finit l’ancienne Pâque.

Le nouveau chasse l’antique,
La vérité chasse l’ombre,
La lumière dissipe la nuit.

Ce que le Christ a fait à la Cène,
Il a ordonné de le faire
En mémoire de Lui.

Instruits par ces ordres sacrés,
Nous consacrons le pain et le vin
En hostie de salut.

C’est un dogme proposé aux Chrétiens,
Que le pain devient la Chair
Et le vin le Sang du Christ.

Ce que tu ne saisis pas, ce que tu ne vois pas,
La foi vive l’atteste
Malgré le cours ordinaire des choses.

Sous des espèces diverses,
Signes et non substances,
Se cachent les sublimes réalités.

La Chair est nourriture, le Sang breuvage,
Mais le Christ demeure entier
Sous chaque espèce.

Par celui qui le prend, non divisé,
Non brisé, non rompu,
Mai, tout entier, il est reçu.

Un le reçoit, mille le reçoivent ;
Ceux-là l’ont autant que celui-là,
Et, absorbé, il n’est pas consommé.

Les bons le reçoivent, les méchants le reçoivent ;
Mais leur sort diffère :
C’est la vie et la mort.

Il est, mort pour les mauvais, vie pour les bons.
Vois comme la même manducation
A des effets différents.

Parce que le sacrement est divisé, ne le trouble pas,
Mais souviens-toi qu’il est autant
Dans une parcelle que dans le tout.

Il n’y a pas e division de la réalité,
Il n’y a fraction que du signe ;
Ni l’état, ni la grandeur de la réalité ne sont diminués.

Voici le pain des Anges
Devenu la nourriture de l’homme pèlerin ;
Vrai pain des enfants
Qu’il ne faut pas donner aux chiens.

Le texte de cette Séquence est l’œuvre de Saint Thomas d’Aquin, chacun le sait. La mélodie est celle d’une séquence d’Adam de Saint-Victor qui se chantait sans doute à la fête de l’Invention de la Sainte Croix, le 3 Mai, à la suite de l’Alleluia Dulce lignum dont elle emprunte le thème pour ses premières notes.
Ni dans le Laudes Crucis, ni dans le Lauda Sion il ne faut chercher pour chaque verset une expression propre dans la mélodie. Celle-ci d’ailleurs se prête d’elle-même assez facilement aux mots et aux idées.
On la chantera dans un bon mouvement, pas trop vite et en la rythmant bien.

OFFERTOIRE

LE TEXTE

Les prêtres du Seigneur
Le pain et l’encens offrent à Dieu.
C’est pourquoi Saints ils seront devant leur Dieu.
Et ils ne souilleront pas son nom.
Allelúia.

Cette prescription du Seigneur à Moyse, au sujet des prêtres, est d’un heureux choix comme Offertoire car elle se réalise au moment où on la chante; le prêtre offre en effet alors le pain et l’encens. Mais, par delà l’acte liturgique de l’offrande, c’est le sacerdoce, et le sacrifice, son acte essentiel, que l’Eglise chante comme une sorte d’action de grâces au Seigneur pour le  sacrement qui perpétue son propre sacerdoce et son propre sacrifice.

LA MÉLODIE

Elle est calquée sur celle de l’Offertoire Confirma hoc du Dimanche de la Pentecôte. Le calque est très réussi. Le caractère recueilli, intime, contemplatif de l’original va bien à ces paroles graves qui sont en fait comme une contemplation de l’Église reconnaissante devant l’acte qui se déroule à l’autel.
Les mots importants sont bien en relief; Dómini, dans la première phrase, ófferunt surtout, qui reçoit de la tristopha et de toute l’arsis qui s’y épanouit, une bel élan de ferveur.
Dans la seconde phrase, Deo suo a pris la place de Jérúsalem et reçoit, des neumes gracieux, la même tendresse délicate.
La dernière phrase a été malheureusement amputée de quelques neumes, mais, malgré cette fin d’incise un peu brusquement amenée, en fa, sur ejus, elle garde, grâce à l’Allelúia, la même expression de contemplation paisible.
Dans l’ensemble, les conseils d’exécution donnés pour le Confirma hoc valent ici. Les nuances devront toutefois varier avec les mots. Le punctum de mi, dans Dómini, par exemple, n’aura pas l’élan soulevé qu’avait le De de Déus; tandis que le podatus de Deo, dans la seconde phrase, l’aura au contraire. Donnez un peu d’ampleur à non au début de la troisième phrase et ralentissez bien les cinq notes de nomen pour pallier à l’arrivée un peu brusque de la cadence en fa sur ejus.

COMMUNION

LE TEXTE

Toutes les fois que vous mangerez ce pain et boirez ce calice La mort du Seigneur vous annoncerez jusqu’à ce qu’il vienne. C’est pourquoi quiconque mangera le pain ou boira le calice du Seigneur indignement, ccoupable sera du Corps et du Sang du Seigneur. Allelúia. I. Cor. XI. 26,27.

Le sens de ces paroles de Saint Paul est clair. Celui qui communie prend part au Sacrifice Eucharistique; il reçoit du Père la victime qu’il lui a offerte au préalable. Il contribue donc à prolonger jusqu’à la fin des temps la Passion et la mort du Christ et, s’il le fait indignement, il a la même culpabilité que ceux qui mirent Notre Seigneur à mort en pleine conscience du crime qu’ils accomplissaient; il est déicide.
Cet exposé dogmatique et moral sérait quelque peu déplacé au moment de la Communion si on ne le voyait que comme un avertissement. Il faut l’entendre comme une médiation de l’Église qui se redit les graves paroles de Saint Paul pour entrer plus pleinement dans l’esprit du Sacrement.

LA MÉLODIE

C’est une mauvaise adaptation de la Communion de la Pentecôte. Dans ce chef-d’œuvre incomparable qu’est le Factus est repénte, la mélodie fait corps avec les paroles à un tel point qu’elle ne saurait s’appliquer à aucun autre texte. Elle décrit le drame et c’est de cette description qu’est fait son rythme et son expression. Ici, sur le texte de Saint Paul, elle sonne faux.
La descente brusque de repénte, qui peignait si bien l’émotion des Apôtres, donne à quotiescúm que une sorte d’essoufflement qui  se communique en fait à toute la pièce car la mélodie est toute en mouvement et, sur ces paroles si calmes et si graves, elle donne l’impression de quelqu’un qui les prononcerait soit avec un enthousiasme qui n’a aucune raison d’être, soit avec une précipitation qui non plus n’est pas de mise.
Un seul mot est expressif, et encore, par hasard : donec véniat. On y trouve enfin le lyrisme qui nous fait entrevoir, à partir de ce mot mystérieux, la vision du Christ Glorieux qui nous rassasiera à jamais quand elle nous sera offerte sans sacrement.
Pour faire cette mélodie acceptable, il n’est pas d’autre moyen que de lui donner de l’ampleur. Elle prendra ainsi quelque gravité. Retenez tout le motif de donec véniat de même indigne, et Dómini à la fin.

 

Epître, évangile et préface chantés de cette messe, voir ici