La Fête de l’Epiphanie

La répétition de l’introït Ecce advenit par Bernard Lorber

Table des matières

Commentaires des pièces de cette messe par Dom Baron.

INTROÏT

LE TEXTE

Voici que vient le Souverain Seigneur ;
Et le règne est dans sa main,
Et la puissance et le commandement.

Ps.O Dieu, ton jugement, au Roi donne-le.
Et ta justice, au Fils du Roi.

Ce texte n’est pas dans l’Ecriture, encore que l’idée qu’il exprime se trouve en maints endroits notamment en Malachie III, 1. Il a toutefois été composé dans le sens et le style des prophéties royales. Dans la reproduction liturgique du mystère, cet Introït est le chant de l’Eglise saluant l’entrée en scène du Christ Roi qui va exercer pour la première fois ses prérogatives royales en recevant les hommages des peuples de l’univers. Mais, dépassant la scène historique et la splendeur des rites symboliques sous lesquels elle revit, l’Eglise y chante en même temps la manifestation toujours plus étendue de la royauté du Christ et, par delà les temps, l’Epiphanie suprême, quand au dernier jour il se montrera Maître et Seigneur, ayant en main toute puissance et exerçant le pouvoir et l’empire, non plus seulement en droit mais en fait, sur les peuples et les rois prosternés.Le Psaume est une prière qui demande pour le Christ la Sagesse et la Justice. (Ps. LXXI, 1).

LA MÉLODIE

Elle a bien l’ampleur, la puissance, la solennelle gravité d’un cortège royal ; avec des nuances de modération et de douceur qui conviennent si bien à celui qui est Prêtre en même temps que Roi.Elle prend très peu de développement ; quelques notes revenant sans cesse au fa où elles se posent longues et fortes, pour ponctuer, les uns après les autres, les attributs royaux. Rien de rigide toutefois dans cette sobre ordonnance. Le mouvement au contraire est d’une admirable souplesse. Un souffle d’enthousiasme, contenu comme il convient à un cortège liturgique, mais puissant, nous soulève dès l’intonation et, après nous avoir courbés sur advénit, en une respectueuse révérence, devant Celui qui vient, nous emporte vers dominator et, par delà les cadences de Dominus et de éjus, toutes pénétrées elles aussi de respect, vers régnum, potéstas et impérium, pour nous y faire proclamer la puissance du Roi en de splendides accents pleins de grandeur et de fierté. Ce sont ces accents toujours les mêmes – un mouvement ascendant de quarte ou de tierce venant s’étaler ferme et fort sur le fa – qui font la mélodie si parfaitement adaptée à l’imposante entrée du Souverain dans son royaume.

Bien balancer le rythme dans la première incise. Attaquer sans heurt avec fermeté la double note de dominator, qui est une bivirga épisématique ; renforcer ensuite la voix vers l’accent qui sera légèrement allongé et qui conduira le mouvement vers Dominus. Cette cadence doit demeurer forte, ce qui ne veut pas dire qu’elle soit dure. Elle ne sera que très peu ralentie.

Un bon départ sur et régnum ; l’accent tonique bien soulevé et la voix se posant ferme sur la tristropha qui ne sera pas dure ni même forte, mais sonore ; un léger crescendo la conduira vers le pressus de manu, dans un rythme bien exact. La cadence de éjus sera élargie mais sans allonger plus qu’il ne faut la clivis finale, car le mouvement ne doit pas être un instant interrompu mais aller progressant vers al double note de potestas – une bivirga épisématique – qui sera très ferme et ira elle-même vers le salicus et l’accent de impérium où commencera la cadence finale qu’on fera large.

Le Psaume est une prière. La chanter avec ferveur.

GRADUEL

LE TEXTE

Tous de Saba viendront,
De l’or et de l’encens portant,
Et la louange du Seigneur proclamant.

Verset.Lève-toi et resplendis de lumière, Jérusalem.
Car la gloire du Seigneur
Sur toi s’est levée. Isaïe LX, 6, 1.

La première partie est-elle vraiment dans Isaïe l’annonce de l’Epiphanie ? Ce n’est pas sûr, mais l’Eglise fait à cet événement l’application du texte, c’est donc que, d’une certaine manière, il y était contenu et c’est assez pour nous. Toutefois ce serait une erreur que de restreindre à ce fait d’un jour la portée de l’annonce prophétique, elle est beaucoup plus vaste. Ce que le prophète voit, c’est la venue vers Jérusalem – qu’il faut entendre ici au sens de l’Eglise – des nations et des rois de la gentilité. Cette marche des peuples vers la lumière du Christ a commencé le jour de l’Epiphanie, elle ne s’achèvera qu’au jour du second avènement, lorsque réunis autour du Christ Glorieux dans la Jérusalem céleste, ils chanteront, baignés dans sa lumière, l’éternelle louange.Le Verset, bien que faisant partie de la prophétie, n’est pas à proprement parler prophétique. Il est un appel du prophète à Jérusalem et à l’Eglise les invitant à prendre conscience de la gloire du Christ qui se lève de plus en plus éclatante et à s’en réjouir.Chantés au Graduel, ces deux versets ne sont pas une prophétie. Ils l’étaient à l’Epître dont ils sont la conclusion. Ici, c’est l’Eglise qui se les redit et qui se délecte dans la joie de les voir réalisés et dans la joie, plus profonde encore, de ce qu’ils promettent.

LA MÉLODIE

Omnes de Saba vénient, aurum et thus déférentes, et laudem Domino annuntiantes

Il y a dans toute la première phrase la même ampleur majestueuse que dans l’Introït, mais pénétrée d’une joie enthousiaste qui monte comme un chant de triomphe à travers les rythmes larges et les sonorités éclatantes ; la joie de l’Eglise qui voit le cortège des peuples, conduit par les Mages dans la splendeur des pompes orientales se développer tout au long des siècles et se perdre dans l’avenir en une perspective infinie et un éclat qui la soulève d’admiration et de fierté.C’est la même joie dans la seconde phrase, mais avec quelque chose de plus léger, de plus vif, comme si la vue des présents que chacun sellons sa nature et la richesse de son âme apporte au sacrifice de louange excitait en l’Eglise une nouvelle ardeur. Seuls les deux verbes déférentes et annuntiantes, qui riment d’ailleurs en un motif plein d e charme retiennent l’Eglise qui se complaît un instant dans le geste et la louange des Mages … et des peuples.

Le Verset.Surge et illuminare Jerusalem, quia gloria Domini super te orta est.

C’est un appel à la joie. Il reçoit tout de suite du podatus de Surge, lancé sans préparation sur la dominante, le ton direct et pressant qui lui convient, mais très tôt une nuance de douceur, voire de tendresse, le pénètre ; c’est à Jérusalem qu’il s’adresse… à l’Eglise. Il s’exalte cependant peu à peu à mesure qu’il monte sur illuminare, et s’en va faire éclater son ardeur aussi haut qu’il peut dans la sonorité brillante de la syllabe accentuée. Puis l’exaltation s’atténue et la tendresse, qui n’avait été qu’une nuance dans la formule du début, s’épanche à loisir sur le nom béni. Elle passe à la phrase suivante, jusqu’à ce que l’idée de la gloire du Christ ayant pris forme, l’exaltation l’emporte à nouveau et domine enthousiaste et vibrante sur Domini, la formule même qui chantait le triomphe futur du Nouveau-né, dans le Graduel de la Messe du jour de Noël. Alors, une fois encore l’ardeur s’efface devant la tendresse qui vient mettre sur super te un accent de ferveur infinie – notez les distrophas, la répercussion, le pressus – et enveloppe toute la fin de la phrase de sa douceur paisible et heureuse.

Le mouvement de la première partie aura de l’ampleur et il faut lui donner de l’éclat.

Garder une bonne sonorité jusqu’à la dernière syllabe de Omnes. Bien accentuer Saba et mener le crescendo en belle progression à travers la virga pointée et la tristropha qui aura bien sa valeur de trois notes. Bien lancer aurum. Crescendo délicat ans l’arsis de annuntiantes.Après l’accent léger de surgé, ne pas presser la vocalise, la montée de illuminare non plus, mais que la vie y passe ardente, exaltée, et que les notes du sommet soient brillantes, ce sont des virgas épisématiques. Ménager la transition à Jerusalem, qui sera retenu avec amour ; le pressus allongé. De même les quatre dernières notes de Domini, dont la double note est une bivirga.Ne pas faire la reprise du chœur sur orta est trop forte. Cette finale doit entrer dans l’idée générale de contemplation qui est celle de tout le Graduel.

ALLELUIA

LE TEXTE

Nous avons vu son étoile en Orient ;
Et nous sommes venus avec des présents
Adorer le Seigneur. Math. II, 2.

C’est la parole des Mages aux habitants de Jérusalem, quand ils leur demandèrent où se trouvait le Roi des Juifs.Historiquement ce sont les Mages qui parlent, mas en la circonstance ils représentaient les Gentils, de sorte que c’est toute l’Eglise qui est attitrée à dire cette parole ; et chacun de nous peut la dire en toute vérité car tous nous avons vu, non pas son étoile, mais, ce qui est mieux, la réalité dont elle était le symbole, la lumière que le Christ est venu apporter au monde. Et c’est, parce que nous l’avons vue et que nous avons cru en elle et que nous avons marché dans sa clarté, que nous venons aujourd’hui rendre au Roi des Rois l’hommage de notre foi, de notre confiance, de notre amour, qui se concentre dans le don de nous-mêmes en sacrifice comme en un présent non plus symbolique mais réel.

LA MÉLODIE

C’est encore l’Alleluia de la Messe du jour de Noël.Rien de spécial à dire sur sa structure mélodique ; les quatre phrases psalmiques sont bien là et aussi la joie simple et enthousiaste de Noël.Elle se nuance d’admiration contemplative sur vidimus puis, s’élevant comme en un épanouissement, enveloppe de tendresse le nom divin à travers éjus qui en tient la place.Vénimus répond à vidimus au commencement de la troisième phrase. C’est la même formule, avec dans l’arsis quelque chose de plus vif, qui évoque très heureusement l’empressement de l’âme à suivre la lumière.Adorare Dominum vers qui va le mouvement, comme va vers le Seigneur toute contemplation et toute action, a l’enthousiasme qui convient et évoque parfaitement dans sa courbe descendante l’adoration soumise et aimante.

Il faut lier de très près in Oriente à éjus par-dessus la grande barre.

OFFERTOIRE

LE TEXTE

Les rois de Tharse et des îles lui offriront des présents.
Les rois d’Arabie et de Saba lui apporteront des dons.
Et ils l’adoreront, tous les rois de la terre ;
Toutes les nations lui seront soumises. Ps. LXXI, 10, 11.

Le premier verset prophétise l’Epiphanie ; l’autre, la royauté universelle du Christ-Roi, telle que nous la voyons de plus en plus se manifester depuis le jour des Mages, telle qu’elle sera au jour du second avènement.L’Eglise les chante comme une contemplation du mystère annoncé par le prophète, commencé par l’adoration des Mages, réalisé de plus en plus par la soumission des peuples et par le don des âmes qui précisément se fait à ce moment avec l’offrande de la matière du sacrifice ; chacun se donnant sous le symbole du pain et du vin comme les Mages se donnèrent sous le symbole de leurs présents.

LA MÉLODIE

Un chant de contemplation baigné de joie.L’intonation est curieuse. L’auteur a-t-il voulu marquer, par ces trois temps longs et répercutés sur la dernière syllabe de Tharsis, l’éloignement fabuleux de Tharse – c’était, dit-on, une ville d’Espagne, le bout du monde pour alors – comme nous le faisons dans la diction en traînant les syllabes : « … loin …très loin » ? C’est possible. En tous cas, il a offert là une forme admirable d’expression à la pensée qui, s’en allant tout au long des siècles, et jusqu’à l’éternité, voit la suite des rois et des peuples converger vers le Christ Souverain pour l’adorer dans l’absolue soumission de leur puissance. Tout le reste de la phrase, remarquable d’ailleurs par l’élégance et le charme de la mélodie, exprime la même contemplation heureuse. A noter particulièrement la répétition sur offerent du motif de munera à la tierce inférieure par le jeu du si b qui module si naturellement. Le balancement de ces deux motifs, dans le dégradé de la thésis, donne à toute cette fin de phrase un admirable caractère de paix et de joie profonde.Il passe à la phrase suivante sans que rien d’abord ne le modifie sensiblement, mais peu à peu, à travers les rythmes somptueux d’Arabum et de Saba, le mouvement s’amplifie et s’anime en allant vers dona adducent, les deux mots de l’offrande, qu’il place au sommet de l’arsis, revêtus d’une formule de joie éclatante cette fois.Dans le deux dernières phrases, il n’y a pas de différence de style, bien que la mélodie dans l’ensemble soit plus retenue.Aussi bien ne s’agit-il plus des Mages et de la joie de la fête, mais de l’adoration universelle des rois et des peuples ; d’où le caractère de contemplation qui domine à nouveau. La dernière phrase, qui est comme la thésis de toute la pièce, est une merveille de composition. La formule de omnes est redite sur gentes, et les deux premiers neumes de sérvient exquissent une troisième répétition qui se développe en une cadence finale large, somptueuse et d’une élégance achevée.Cette dernière phrase était le refrain au temps où l’Offertoire comportait des versets ; reprise par le chœur, elle devait produire un grand effet, à la fois de puissance et de grâce.

Ne chanter ni trop vite ni trop fort. Ce serait enlever à cette mélodie si délicate toute son expression.Les répercussions de Tharsis devront être très discrètes, c’est comme une sorte d’ondulation qui doit envelopper le mot. Beaucoup de souplesse dans les rythmes de insulae, de munera, qui sera ralenti légèrement comme offerent, et dans les motifs répétés de Saba. Crescendo discrètement conduit sur dona adducent et pris dès la première répercussion de dona.Faire là une pause un peu plus marquée. Les motifs de omnes gentes légers et bien semblables. La finale gracieusement retenue.

COMMUNION

LE TEXTE

Nous avons vu son étoile en Orient
Et nous sommes venus adorer le Seigneur.

C’est le même texte que celui de l’Alleluia . L’interprétation sera aussi la même avec une nuance toutefois qui tient au moment de la communion.A la joie d’offrir des présents, s’ajoute la joie de les voir acceptés et d’en recevoir en retour. Les Mages eurent cette joie, n’est-il pas vrai ? dans les sourires de l’Enfant-Dieu et plus encore dans la grâce qui envahit leurs âmes. Nous, de même ; nous nous offrons au moment de la communion à l’influence transformante du Christ, il nous accepte et vient. C’est donc dans un sentiment de joie reconnaissante qu’il faut chanter.

LA MÉLODIE

Après l’intonation que met en relief le mot de la vision avec une nuance de contemplation, ici encore la mélodie s’élève dans un mouvement de joie simple et fraiche ; la joie de la découverte. Le même mouvement et la même joie conduisent vénimus au sommet de l’arsis avec une touche d’empressement bien à sa place comme dans l’Alleluia. Mais, aussitôt après, la mélodie descend dans le grave, comme envahie par la profondeur du mystère et c’est l’idée de l’adoration qui prévaut. Non pas que la joie ait disparu ; elle pénètre encore la dernière incise mais elle est plus tempérée. Elle rejoint celle de vidimus de l’intonation : la joie de l’âme qui se referme sur son Dieu pour être seule avec lui.

Veiller à ne pas chanter trop rapidement les porrectus de l’intonation, de même les quelques notes isolées de vénimus cum munéribus ; donner à l’accent de adorare une certaine ampleur tout en le faisant léger.

 Partitions

 

Epître, évangile et préface chantés de cette messe, voir ici